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Billet de blog 15 septembre 2022

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Pour une écologie du climat non-alignée

Alors que la scène internationale est captivée par les crises de la mondialisation, 33 millions de paysans pakistanais fuient leurs villages submergés. Le sursaut face à la catastrophe climatique annoncée depuis 1992 viendra-t-il des non-alignés ? Et qu’y pouvons-nous ? That is the questions que nous lançons avec l’ami Pena-Vega.

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Le Pakistan sous les eaux © DawnNewsTV

Avec l’inversion de la mondialisation et son cortège de crises, de nationalismes et de guerres, la scène diplomatique se polarise à nouveau. La diplomatie du climat risque d’être une victime majeure de cette nouvelle guerre froide. Le dissensus des blocs rivaux nuit au consensus global, aux actions coordonnées des 175 états signataires des conventions de l’écologie globale, négociées à Rio de Janeiro en 1992.

Une diplomatie climatique en panne ?

La diplomatie climatique est cependant réaliste. Si elle essaie de limiter au maximum le dérèglement climatique, elle cherche aussi à nous adapter aux nouveaux climats, adaptation qui exigera plus d’efforts si la réduction des émissions des gaz à effet de serre reste insuffisante. Celle-ci dépend pour l’essentiel de peu d’acteurs, la Chine, les Etats-Unis et l’Union européenne émettant plus de la moitié des gaz nocifs.

Or, leurs relations se détériorent au point de mettre en cause leur coopération contre le changement climatique. Depuis l’élection de Barack Obama en 2008, les Etats-Unis ont progressivement durci leurs relations avec la Chine, craignant que son enrichissement, voulu par Bill Clinton en l’intégrant dans l’OMC, mette en cause leur leadership. Barack Obama, Donald Trump et Joe Biden, au-delà de leurs profondes divergences, partagent la même volonté d'endiguer la Chine, attestant de la gravité de l’enjeu pour les élites nord-américaines.

Inévitablement, ce refroidissement des relations internationales, impacte négativement la diplomatie du climat. Après la visite de Nancy Pelosi, la n°3 américaine, à Taïwan, la Chine a arrêté de discuter en tête à tête avec les Etats-Unis sur le climat.

L’exemple de Macky Sall

En ces temps troubles, les manieurs d’analogie négligent trop facilement le rôle des non-alignés durant la guerre froide. La guerre d’Ukraine qui booste la tripartition de la scène diplomatique mondiale est un test des capacités des nouveaux non-alignés. Quand le blocus russe des ports ukrainiens a provoqué des pénuries de céréales et un risque de famine en Afrique et en Asie, le président de l’Union Africaine et du Sénégal, Macky Sall, a pris l’avion afin de rencontrer Vladimir Poutine pour qu’il débloque le blocus, permettant à la Turquie, à l’ONU et aux belligérants de rétablir la navigation dans la mer Noire.

Y a-t-il place pour une écologie globale non-alignée ?

De quels atouts disposent les non-alignés pour desserrer l’étau sino-américain sur la diplomatie du climat ? Les bassins fluviaux de l’Amazone et du Congo sont des lieux stratégiques du dérèglement climatique. D’où le choix de Rio de Janeiro en 1992 pour signer la Convention sur le climat, les forêts luxuriantes de l’Amazonie stockent en effet des quantités impressionnantes de carbone. Leur rejet dans l’atmosphère par la déforestation exige des efforts supplémentaires de réduction des émissions dans le monde entier alors même que nous ne parviendrons pas à tenir l’objectif de limiter la hausse des températures à + 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle; ce seuil sera franchi dans les prochaines années sauf si, prévient le GIEC, les émissions nocives chutent de 43% d’ici 2030…

Pour une justice climatique

Les pays d’Amérique latine, « non-alignés » pour la plupart, peuvent-ils relancer la diplomatie du climat ? C’est l’engagement de Gustavo Petro et de Gabriel Boric, les nouveaux présidents de la Colombie et du Chili. Le président de l’Argentine, Alberto Fernandez, se joint à leurs efforts. Les yeux sont maintenant tournés vers Brasilia qui attend le verdict de l’élection présidentielle début octobre où Lula fait figure de favori. Marina Silva, figure iconique des luttes pour la forêt amazonienne, le soutient et pousse à un « pacte pour le climat ». Les choix écologiques et diplomatiques des électeurs et du futur président du Brésil seront cruciaux pour entraîner plus largement le continent latino-américain et les non-alignés des autres continents.

Les intelligentsias, les institutions du savoir peuvent-elles renforcer cette dynamique ? Adossées aux réseaux globaux de chercheurs qui depuis une quarantaine d’années documentent le changement climatique, les directions d’universités de ces pays débattent de leur implication.

Les non-alignés peuvent-ils défendre avec succès la justice climatique ? Les dérèglements climatiques accentuent les inégalités entre les plus opulents et les plus démunis. La désertification des zones arides, les moussons évoluant en déluges, les cyclones et les typhons plus destructeurs, les dérèglements climatiques affectent de façon disproportionnée les habitants des zones tropicales et équatoriales lesquels ont de surcroît moins de moyens pour s’adapter que ceux des pays opulents – un état de fait d’autant plus injuste que les pays riches portent la plus grande responsabilité dans la surcharge de l’effet de serre et le réchauffement global, en ayant bâti leur industrialisation avec des technologies qui brûlent massivement des énergies fossiles carbonées.

Le système-Terre est un megaorganisme vivant. Les cieux et les océans réagissent à nos excès de plus en plus vivement. Alors que des milliards d’humains sont frappés par les plaies des canicules et des tempêtes, des incendies ou des inondations diluviennes, les non-alignés peuvent-ils limiter la casse, lancer un pont entre les blocs rivaux et ramener de la raison et de la justice dans notre manière d’habiter le monde ?

Espérons-le.

Alfredo Pena-Vega, enseignant-chercheur IIAC-EHESS, directeur scientifique du Global Youth Climate Pact, et Jean-Marc Salmon, sociologue.

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Oregon été 2021

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