Jean-Max Sabatier (avatar)

Jean-Max Sabatier

autoentrepreneur

Abonné·e de Mediapart

512 Billets

2 Éditions

Billet de blog 16 août 2025

Jean-Max Sabatier (avatar)

Jean-Max Sabatier

autoentrepreneur

Abonné·e de Mediapart

Éterniser, poétiser

« Au commencement était le verbe faire »

Jean-Max Sabatier (avatar)

Jean-Max Sabatier

autoentrepreneur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Au commencement était le verbe. » Ça a intrigué très tôt. Ça a fait rigoler, aussi. Lequel, de verbe ? Le verbe, le seul mot marqué par le temps, vous noterez. Et pis alors, le nom ? L’adjectif ? Jamais ? Puis, notre vocabulaire s’étoffant, on a su qu’il s’agit là de la parole. « verbal », « verbeux », « verbiage », jusqu’au fameux « verbigérer », si prisé de Michel Onfray l’appliquant à Plenel.

La parole, au commencement. C’est plus « normal », mais c’est toujours intrigant : on comprend bien que c’est la parole qui permet à dieu de créer le reste. « Fiat Lux ». Mais justement, cette fois-ci, c’est la logique que ça interroge. On en arrive aussi sec aux fameuses « causes premières* ». Si dieu parle et crée, c’est qu’il est. Qui l’a créé ? C’est peut-être l’existence de cette aporie des causes premières, gravée dans le marbre par Épicure, attribuée à Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », qui a permis à des faisans de se faire chamans, charlatans, alchimistes, gourous, prophètes, et de « guider » les tribus, puis les peuples. Quand nul ne peut comprendre, quand nul ne peut savoir, tous sont tentés de croire. L’empirisme et la science viendront plus tard.
Une façon de cacher la Mère Dauchat est d’assurer que « Dieu est incréé ». 
Enfin de toute façon, Il est éternel. C’est d’ailleurs un de ses noms.

C’est de nouveau la lecture de la Théorie de Jésus, de Michel Onfray, qui m’inspire cet article. 
À la fin de son « préambule » (la première section de l’œuvre est constituée d’une « préface », d’un « préambule », et d’une « introduction »), on trouve ceci :
Jean inaugure son évangile en écrivant : « Au commencement était le verbe », une autre traduction, que je préfère, dit : « Au principe était le Logos. » J’ajouterai : ensuite aussi, plus tard également, aujourd’hui plus que jamais. Car il n’y a jamais eu que Verbe — le Logos. La réalité de Jésus c’est son idéalité. Ce livre propose une biographie de cette idéalité.

Je rejoins Onfray pour préférer « logos » à « parole » ou à « verbe ». « principe » au lieu de commencement, pourquoi pas, en effet (« principe au sens premier et étymologique, « cause, origine, ou élément constituant »). D’une part parce que ça va bien avec l’aspect logique (ou illogique) que j’ai souligné, aporie, paradoxe, obligation de déboucher sur l’éternité des choses. Une des traductions du « logos » grec est « discours », avec toutes ses connotations logiques, dialectiques, linguistiques. 

Mythe et réalité

Je m’étonne par contre qu’il raille ainsi cette idée, qui pour le coup, n’est pas si conne. Il passe en effet à côté de quelque chose de puissant. Avec mauvaise foi, je devrais dire « avec mauvais athéisme », il  assimile « logos » et « mythe », deux « paroles » essentiellement différentes, l’une fondée, l’autre non. En passant à côté des multiples langages qui fabriquent et font vivre la nature, l’univers, la réalité. 

Alphabets fractals

Les molécules sont écrites avec un alphabet d’une centaine de lettres que sont les éléments. Qui eux-mêmes sont écrits avec un alphabet de trois lettres, proton, neutron, électron. Qui eux-mêmes sont écrits avec un alphabet plus hermétique, celui des « particules élémentaires », frontière actuelle de la science entre le connu et l’inconnu en matière d’infiniment petit. On en est à présent à imaginer les « cordes », lettres encore plus infinitésimales.
En remontant vers le vivant et la complexité, la nature est elle aussi un langage, multiple et fractal. La vie est une recopie d'ADN, molécules géantes écrites avec un alphabet de quatre lettres, quatre molécules, quatre bases que sont adénine, guanine, thymine et cytosine, et puis l'exécution d'instructions, un peu comme en informatique. Elle évolue grâce à des variations, des erreurs. Exactement comme une société, et comme une langue humaine. 
Le fait même que le cosmos et la nature obéissent à des lois relève encore de cette nécessité langagière, qui fait donc partie de l'essence des choses, et qui préexiste donc à tout. Et le décodage de la nature se fait en découvrant la mathématique, qui est également un langage.

Un « dieu » poétique et mimétique

Illustration 1

Au niveau des sociétés, il en va de même. L'instinct animal est un langage. L'instinct et la raison humains, aussi. La vie, et plus spécialement la vie humaine, qui semble être un projet de la Nature, « recopie » elle aussi. Chaque être « recopie » les comportements qui lui sont vitaux, et la part à faire entre l’inné et l’acquis dans ce savoir est encore un grand mystère. L’être humain invente les arts, qui consistent souvent à copier (mimesis, c’est à dire imitation). La poésie est « faire ». L’histoire est Histoire, ou histoire. L’enfant reproduit les comportements des adultes. Onfray a raison de dire que le logos, ça va être tout le temps, et de plus en plus. Là où il se trompe, c’est quand il prend ça ironiquement. Car il semble poser l’identité suivante : « logos » = « mythe ». Il oublie toute la partie « Logos » = « création », programme, projet, travail, architecture, construction. Il ne s’intéresse pas à ce « principe » créateur qu’est le « logos ».
La suite de son propos montre qu'il ne prend pas cette voie. "Logos" = mythe, lui semble-t-il.

_______________

* La question philosophique numéro 2 (après « qui suis-je ?») : comment est-il possible que quoi que ce soit existe ? Comment se fait-il que quelque chose existe, plutôt que rien ? Car y a pas à tortiller du cervelet pour penser droit : s’il y a une cause première, comment se peut-ce ? Quelle est la cause de la cause première, qui donc ne l’est plus ? Tout existant dans son ensemble est impossible, logiquement. À tel point que philosophie et littérature s’amusent parfois à nier nature et vie. C’est un thème très baroque. La vie est un songe de Calderon. L’illusion comique de Corneille, mise en abime qui à elle seule répond à notre question : le théâtre engendre le théâtre, la vie engendre la vie, point. Résoudre le mystère a juste débouché sur un autre : celui de l’infini du temps, celui d’un passé éternel, et d’un avenir itou.  La secte des égoïstes d’Éric-Emmanuel Schmidt crée une philosophie égoïste, selon laquelle le monde extérieur n’existe pas, seul « moi » ayant une réalité. 

J’ai tenté de résoudre mathématiquement l’impossibilité de construire quelque chose avec rien, ici.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.