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Billet de blog 25 janvier 2025

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Boulevard Épée-Cuchet

La sottise qui exaspère Flaubert est la sottise « intellectuelle ». La cuistrerie, le conformisme, la loi de la majorité. L’opinion. Cet oxymore de la pensée éteinte. Cette puissance du simplisme, de l’imposture, des charlatans, des Diafoirus en tous domaines. Ce qui fait du roman, le dernier de Flaubert, inachevé,  « infini », une œuvre éternelle, et donc actuelle, très actuelle.

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J’ai promis, après celui-ci, deux autres articles sur une socio-psycho-anthropo-ethnologie de la connerie. Le premier était consacré à l’introduction, et aux cons célèbres de la BD et de la littérature populaire. Le deuxième devait être consacré à Bouvard et Pécuchet. Bravement, je me suis attelé à cette tâche : analyse des glissements progressifs de l’esprit chez deux lambdas pas si cons que ça. Je comptais extraire successivement les étapes-clé de cette initiation.
Eh ben c’est pas possib. Tout est clé ! Et puis, c’est d’un touffu ! Parce que les vrais cons ne sont pas notre duo d’amis. C’est les autres ! Souvent cons, et même salauds, les autres ! La bêtise et la méchanceté vont toujours très bien ensemble. Alors, que choisir ? Quels passages privilégier ? En fin de compte, je coupe rien ! Voici le roman entier, avec quelques annexes très utiles, y compris le fameux et rigolo Dictionnaire des idées reçues

Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert (pdf, 1.3 MB)

La sottise qui exaspère Flaubert est la sottise « intellectuelle ». La cuistrerie, le conformisme, la loi de la majorité. L’opinion. Cet oxymore de la pensée éteinte. Cette puissance du simplisme, de l’imposture, des charlatans, des Diafoirus en tous domaines. Ce qui fait du roman, le dernier de Flaubert, inachevé,  « infini », une œuvre éternelle, et donc actuelle, très actuelle. 

Illustration 2

On connaît son projet d’une fresque de la sottise contemporaine, complexe, multiforme, par exemple avec une lettre à Louise Colet de décembre 1852 :

...en attendant, une vieille idée m’est revenue, à savoir celle de mon Dictionnaire des idées reçues (sais-tu ce que c’est ?) ; la préface surtout m’excite fort, et de la manière dont je la conçois (ce serait tout un livre), aucune loi ne pourrait me mordre quoique j’y attaquerais tout. Ce serait la glorification historique de tout ce qu’on approuve : j’y démontrerais que les majorités ont toujours eu raison, les minorités toujours tort ; j’immolerais les grands hommes à tous les imbéciles, les martyrs à tous les bourreaux, et cela dans un style poussé à outrance, à fusées. Ainsi, pour la littérature, j’établirais, ce qui serait facile, à savoir que le médiocre étant à la portée de tous est le seul légitime, et qu’il faut donc honnir toute espèce d’originalité comme dangereuse, sotte, etc. Cette apologie de la canaillerie humaine sur toutes ses faces, ironique et hurlante d’un bout à l’autre, pleine de citations, de preuves (qui prouveraient le contraire) et de textes effrayants (ce serait facile), est dans le but d’en finir une fois pour toutes avec les excentricités, quelles qu’elles soient. Je rentrerais, par là, dans l’idée démocratique moderne d’égalité, dans le mot de Fourier : que les grands hommes deviendront inutiles, et c’est dans ce but, dirais-je, que ce livre est fait. On y trouverait donc par ordre alphabétique, sur tous les sujets possibles, tout ce qu’il faut dire en société pour être un homme convenable et aimable.

L’œuvre n’était au départ qu’une préface au Dictionnaire ! Mais c’est la préface qui deviendra opus, l’opus prévu devenant annexe. 
Bouvard et Pécuchet, j’avais commencé, y a longtemps. J’avais laissé tomber. La première partie donne une impression de répétition. Il y a un effet d’ennui, dû à la répétition des bêtises de nos deux copistes retournant à la terre, citadins qui ne connaissent pas les arts ruraux, et dont l’enthousiasme irraisonné amène des échecs qui deviennent vite pénibles. De cette lecture partielle j’avais gardé l’impression que les deux apprentis fermiers étaient définitivement cons. La peinture d’une sottise. Et que toute l'œuvre fonctionnerait sur ce schéma. Grave erreur.

Après avoir dans cet article, pseudonymé « Boulevard Épée-Cuchet » le blog d’un con authentique de mes connaissances, et toujours sous l’emprise de cette erreur que les deux ronds de cuir étaient des espèces de Dupondt, j’ai eu l’idée de cette étude de la connerie, sous le patronage de Bouvard et Pécuchet. J’ai donc été conduit à reprendre l’œuvre. J’ai trouvé une bonne version numérisée (Flaubert est depuis longtemps dans le domaine public). J’en ai corrigé une ou deux erreurs de scan, et donc, je l’ai lue en entier ! Je me suis aperçu que j’aurais dû continuer ma première lecture ! Et que les cons, les vrais cons, les graves cons, c’était pas eux ! Car les deux bobos, devant leurs échecs très concrets dans le métier de fermier, pour tâcher d’y remédier, dans une démarche très rationnelle, se mettent à étudier des disciplines de plus en plus abstraites. Ils se « cultivent » pour améliorer leur agriculture ! Les deux bobos se mettent à penser, d’autant plus juste quand ils tombent sur des auteurs qui ne pensent pas. Actuel, je vous dis. Lire les cons, c’est formateur.

Que le roman soit inachevé, c’est peut-être heureux : l’inachèvement du livre est aussi celui de l’apprentissage. En effet, on arrête jamais d’apprendre. Et on n’arrête jamais de réduire sa sottise ( « on » dans un aspect pas forcément globalisant. )

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