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Billet de blog 25 mars 2020

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Didier Raoult et la chloroquine : approche psycho et socio

Billet à l'intention de tous ceux qui sautent sur leur clavier comme un cabri en criant "Raoult ! Raoult ! Raoult ! " et exigent la mise à disposition immédiate de la chloroquine dans les supermarchés. Première partie.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

ABSTRACT

   Le Pr Raoult est une figure scientifique incontestée.
   Cependant, sa personnalité narcissique et querelleuse le conduit à des modes de communication contre-productifs (qu'on pourrait qualifier de trumpiens).
   Sa propension à vouloir s'afficher à contre-courant l'avait ainsi conduit fin janvier à proclamer que l'épidémie de Wuhan n'avait aucune importance.
   Puis il a repris à son compte l'affolement croissant pour proclamer, en l'absence de résutats confirmés, que l'hydroxychoroquine était un traitement à l'efficacité spectaculaire, et qu'il n'y avait rien de plus à attendre des études méthodiques préconisées par l'ensemble de la communauté scientifique internationale.
   Il est légitime d'informer la communauté médicale de résultats préliminaires encourageants, à la fois annoncés par certains chercheurs chinois et suggérés par sa petite étude. De même qu'en l'état actuel des choses, en l'attente des résultats fiables sur un traitement efficace, il est légitime que des médecins essaient sous surveillance adéquate l'hydroxychloroquine, médicament connu et dont les effets secondaires à court terme sont bénins à doses thérapeutiques, chez certains patients, notamment les cas graves ou les cas risquant de s'aggraver.
   Mais la volonté de Didier Raoult de se mettre en avant en s'adressant directement au grand public, en préconisant sans preuve établies la prescription d'hydroxychloroquine, et en annonçant qu'il la distribue au sein de son unité hospitalière, ne peut que susciter un emballement irrationnel et altérer la légitimité de la recherche scientifique rigoureuse.
   Il n'en est pas à une contradiction près, puisque pour distribuer l'hydroxychloroquine il brandit l'urgence et l'éthique, alors qu'il va répétant que la situation est inutilement dramatisée comparée aux autres infections respiratoires, et que le SARS-CoV-2 n'est pas plus dangereux que les autres virus.
   Les médecins et les chercheurs spécialisés en infectiologie, en France ou ailleurs, tout comme l’ensemble du personnel soignant, espèrent évidemment que les études en cours vont conclure à un effet positif de l'hydroxychloroquine. Mais en attendant, ils sont dans l'ensemble effondrés par le mode de communication de Didier Raoult.

PLAN

Qui c'est Raoult ?
 Sa dimension scientifique
 Ses vertus prophétiques
 Son retournement
 Son ego

Quid de son étude sur l'hydroxychloroquine ?
 L'essai
 La comm' de Raoult
 Les risques de cet emballement
  L'influence pas toujours cohérente des rézos socios
  La question de la légitimité de la recherche scientifique
  La problème de la disponibilité de l'hydroxychloroquine
Les réactions
  La réaction des milieux scientifiques et médicaux
  La réaction des médias
  La réaction des autorités françaises
  La réaction de Donald
  La réaction des laboratoires pharmaceutiques

Bref (conclusion)

Lien vers la deuxième partie de l'article



Didier Raoult, dont le nom est maintenant quotidiennement cité dans les médias, se présente comme le sauveur face au SARS-CoV-2 (virus du COVID-19), qu'une méchante chauve-souris est suspectée d'avoir transmis aux humains.

Illustration 1


Qui c'est Raoult ?

Sa dimension scientifique

Soyons clairs : Didier Raoult, directeur de l’Institut Hospitalo-Universitaire Méditerranée Infection à Marseille, est un chercheur internationalement reconnu.
Il est à ce jour, depuis l'an 2002, co-auteur de quelque 1800 publis scientifiques d'après la base de données PubMed (le principal moteur de recherche de données bibliographiques en matière de biologie et de médecine), ce qui est honorable, surtout quand on n'est pas un chercheur étatsunien.
C'est d'ailleurs pour ça que le gouvernement en a fait un membre du "Conseil scientifique" sur le COVID-19, mis en place tardivement (le 11 mars) par le Ministère de la Santé. Didier Raoult vient cependant de se barrer le 24 mars du Conseil scientifique, ce qui a dû soulager celui-ci !

Bien sûr, ses publications sont hétéroclites.
Certaines découvertes sont marquantes, comme l'identification par son équipe en 2003 des "mimivirus " (Mimicking Microbe Virus), découverte qui a secoué la taxonomie des micro-organismes.
Mais beaucoup des publications qu'il co-signe au milieu de moults co-signataires n'ont pas d'impact particulier. Co-signer les publications des associés qui travaillent sous sa coupe ou des sous-fifres qui travaillent dans son unité est un moyen bien connu des pontes du monde de la recherche pour amplifier leur nombre de publis, la distinction qui compte avant tout au sein de ce monde.

Et ceci peut conduire à faire de lourdes bavures. En 2006, après une publication falsifiée, Raoult et 4 autres membres de son équipe furent bannis durant un an des publications de l'American Society for Microbiology, comme le décrit un article de 2012 du magazine Science (la revue scientifique généraliste la plus citée au monde avec Nature), et comme le reprend dans son ouvrage Malscience : de la fraude dans les labos (2016) Nicolas Chevassus-au-Louis (qui collabore par ailleurs depuis 10 ans à Mediapart).    

Ses vertus prophétiques

Pour autant, il n'est peut-être pas infaillible, comme le montre une vidéo qu'il avait mise en ligne le 21 janvier, au moment même où l'OMS commençait à s'inquiéter du nouveau coronavirus, et dont voici juste quelques extraits :

L'épidémie ? Quelle épidémie ?? © Jean-Paul Richier


« Le monde est devenu complètement fou : il s'passe un truc où y a trois Chinois qui meurent, et ça fait une alerte mondiale, l'OMS s'en mêle, ça passe à la radio à la télévision ! »

Il confirmait le 26 février dans La Marseillaise (quotidien régional du sud) que les rumeurs sur l'épidémie étaient des foutaises :
« La Marseillaise : Le coronavirus Covid-19 est-il plus dangereux qu’un virus responsable d’une épidémie de grippe saisonnière ?
   Didier Raoult : Il ne l’est pas. »

Il faut dire que le Professeur Raoult aime à balayer du haut de ses certitudes les angoisses du monde contemporains. Il s'affiche ainsi comme climatosceptique, les experts du GIEC n'étant bien entendu qu'une poignée de phobiques incultes.

Il d'ailleurs publié en 2016 un livre intitulé Arrêtons d'avoir peur !

Illustration 3

Son retournement

Mais quelques semaines plus tard, il changait de ton, voyant là une bonne occasion de se mettre en avant.
Il publiait ainsi le 25 février, sur la chaîne Youtube de l'institut qu'il dirige, une vidéo intitulée Coronavirus : vers une sortie de crise ?
Et le titre initial était tout simplement : Coronavirus : fin de partie !, avant qu'il ne le change vu l'ampleur des critiques.

Il y martelait :
« C'est un scoop de dernière minute
[…]
l'efficacité de la chloroquine sur les coronavirus, ça vient de sortir : c'est efficace sur les coronavirus"
[…]
il y a une amélioration spectaculaire et c'est recommandé pour tous les cas cliniquement positifs d'infection au coronavirus chinois
[…]
C'est une excellente nouvelle, c'est probablement l'infection respiratoire la plus facile à traiter de toutes, et donc c'est pas la peine de s'exciter
[…]
Faites attention, y aura bientôt plus de chloroquine dans les pharmacies ! »

Son ego

Avoir des compétences scientifiques ne préjuge pas des qualités dans les autres domaines mentaux.
Ainsi, cet homme apparaît surtout soucieux de se mettre en avant, quitte à s'opposer aux autres

Raoul(t) © Jean-Paul Richier


Il met en avant ses honneurs et distinctions sur son website.
Il met en avant sa place dans la communauté scientifique internationale sur le site de l'IHU (Institut Hospitalo-universitaire) Méditerranée Infection, dont le nouveau bâtiment, sur le terrain de l'hôpital de la Timone à Marseille, a été inauguré il y a tout juste 2 ans (le 27 mars 2018) et dont il est le directeur. Peut-être pour se venger que son unité ne soit pas validée par l'INSERM et le CNRS.
Il se met systématiquement en avant sur les plus de 1000 vidéos mises en ligne par la chaîne Youtube de cet IHU depuis 2018.
Et sur la page Wikipedia qui lui est consacrée, il apparaît que plusieurs morceaux élogieux ont été écrits  par des contributeurs… dont ce sont les seules contributions sur l'encyclopédie en ligne !

Un interview publié le 22 mars dans Le Parisien situe le personnage. Extraits :

  • Le Parisien : Le gouvernement a autorisé un essai clinique de grande ampleur pour tester l’effet de la chloroquine sur le coronavirus. C’est important pour vous d’avoir obtenu cela ?
    Didier Raoult : « Non, je m’en fiche. Je pense qu’il y a des gens qui vivent sur la Lune »
  • Le Parisien : Qu’attendez-vous des essais menés à plus grande échelle autour de la chloroquine ?
    Didier Raoult : « Rien du tout. »
  • « J’ai produit plus de données en maladies infectieuses que n’importe qui au monde. »
  • « les opinions des uns et des autres, si vous saviez comme ça m’est égal. »
  • « dans ce pays […] les gens qui parlent sont d’une ignorance crasse. »
  • « La communication scientifique de ce pays s’apparente aujourd’hui à de la conversation de bistrot. »
  • « même Donald Trump a tweeté sur les résultats de nos essais. Il n’y a que dans ce pays qu’on ne sait pas très bien qui je suis ! »

Un interview publié le 21 mars dans La Provence allait dans le même sens :

  • « Dans mon monde, je suis une star mondiale »
  • « Je me fous de ce que pensent les autres. Je ne suis pas un outsider, je suis celui qui est le plus en avance. »

On imagine que même au sein de l'IHU qu'il dirige, Didier Raoult doit être loin de faire l'unanimité...
D'accord, il est loin d'être bêta, mais il n'est pas obligé de se comporter comme le mâle alpha d'une meute de loups. Ce qui est d'ailleurs paradoxal, puisque la molécule qu'il prône, l'hydroxychloroquine, est principalement utilisé contre le lupus (blague à trois balles pour les initiés 😛).

L'article de 2012 de la revue Science qui nous citions plus haut était intitulé "Sound and Fury in the Microbiology Lab" (Bruit et Fureur au Laboratoire de Microbiologie). Donc ce n'est pas la première fois que son unité génère des polémiques. D'ailleurs cet article décrivait déjà la personnalité narcissique et arrogante de Didier Raoult et les conflits qu'il génère à répétition.

Quid de son étude sur l'hydroxychloroquine ?

L'essai

L'expérience qu'il a menée à l'hôpital de la Timone consistait donc à administrer de l'hydroxychloroquine, médicament dérivé de la chloroquine (antipaludéen) et prescrit pour certaines maladies auto-immunes.

En deux mots, cette étude rapide conduite en mars conclut qu'au sixième jour, 70% des 20 patients ayant reçu de l'hydroxychloroquine ne présentaient plus de virus au test de détection par la méthode dite PCR, sur écouvillonnage naso-pharyngien, contre 12,5% chez 16 patients n'ayant pas reçu d'hydroxychloroquine, qui tenaient lieu de groupe "contrôle". Et les 6 patients ayant reçu en plus de l'azithromycine (un antibiotique) pour éviter une surinfection bactérienne présentaient tous une absence de virus lors de ce test.

Nous verrons dans l'article suivant ce qu'on peut penser de cet essai.

La comm' de Raoult

Didier Raoult s'est empressé de diffuser ces résultats sur Youtube dès le 16 mars (1,4 million de vues à ce jour).

Et il les a proposés le 16 mars à une revue d'infectiologie (International Journal of Antimicrobial Agents) qui les ont acceptés et publiés dès le 20 mars ! Les chercheurs pourront s'étonner d'un délai d'acceptation d'une étude à la méthodologie aussi bancale par un journal dont les publications sont censées être évaluées par les pairs (peer-reviewed). L'explication est peut-être liée au fait que le rédacteur en chef de cette revue, Jean-Marc Rolain, est… membre de l'IHU Méditerranée Infection, et co-signataire de l'étude ! Rolain et Raoult avaient d'ailleurs déjà publié un article dans le numéro de mars annonçant les promesses de la chloroquine, publié le 4 mars un article en ligne un peu plus détaillé, et publié le 12 mars un article encore plus détaillé décrivant les modes d'action potentiels de la chloroquine. 🙂

Et le 22 mars, l'IHU Méditerranée Infection enfonçait le clou en annonçant qu'elle proposait pour tous les patients infectés un traitement de 10 jours par hydroxychloroquine et azithromycine !
Du coup les files d'attente s'amplifient devant l'IHU…

Illustration 5

Que ces résultats soient communiqués à la sphère scientifique, de même que des chercheurs chinois ont attiré l'attention sur la possible efficacité de ce médicament, et qu'éventuellement certains médecins ou services hospitaliers essaient l'hydroxychloroquine chez des cas graves ou risquant de s'aggraver, sous surveillance étroite, pourquoi pas.

Mais à partir d'une étude préliminaire à la méthodologie foutraque qui porte sur une poignée de patients, Didier Raoult clame partout qu'il a trouvé le remède miracle à l'épidémie. J'imagine qu'outre les 20 patients sur lesquels il a publié, il a essayé la chloroquine sur d'autres patients et s'est conforté dans ses convictions.
Un chercheur digne de ce nom suit les voies scientifiques et s'en tient aux règles de l'EBM (Evidence based medicine, cf article suivant), il ne cherche pas à communiquer à tout bout de champ pour se mettre en avant.

Illustration 6

Sa référence à l'urgence et à l'éthique est pipeau de sa part, puisque tout en profitant de la crise coronavirale, il va répétant que la situation n'est pas dramatique.
Ainsi, dans un article mis en ligne le 19 mars intitulé "SARS-CoV-2, la peur versus les données", il argumentait que la situation est inutilement dramatisée comparée aux autres infections respiratoires, et que ce virus n'est pas plus dangereux que les autres (article probablement écrit le 9 mars, puisqu'il fait référence à 4000 morts dans le monde).
Le 21 mars il assénait encore dans le journal La Provence :
  « en France, c’était en 2017 : 10 000 morts supplémentaires en hiver, on ne sait pas même pas si c’est de la grippe. 10 000 morts, c’est beaucoup. Mais là, on en est à moins de 500 [*] »
   [...]
  « pour l’instant, on a plus de chance de mourir d’autres choses que du Covid-19. »
([*] NB 1 : à ce jour du 25 mars, on est officiellement à 1331 morts.
       NB 2 : on ne saura les conséquences sanitaires réelles (notamment en termes de morts) de cette pandémie, par rapport aux pandémies précédentes, qu'après coup. En attendant, c'est en tout cas une pandémie politique, médiatique, réticulaire (les rézosocios), sociale et économique absolument inédite par son ampleur planétaire.)

Les risques de cet emballement

- L'influence pas toujours cohérente des rézos socios

Je suis un partisan des réseaux sociaux, qui permettent au peuple de s'exprimer hors des instances politiques et des médias conventionnels, en France comme ailleurs. Mais à la fois je suis conscient des thèses irrationnelles qui peuvent s'y déployer.
Si les gens se mettent à utiliser l'hydroxychloroquine à tort et à travers, voilà ce qui va se passer : il va y avoir des tas de gens présentant quelques symptômes de rhume, de pharyngite ou de grippe, inquiets à cause du contexte de COVID-19, qui vont prendre de l'hydroxychloroquine, qui vont guérir en quelques jours, et qui vont dire « Formidable, la chloroquine m'a guéri !!! ».
A ceci près que l'immense majorité des personnes qui ont ce genre de symptômes guérissent spontanément, qu'il s'agisse d'un rhume, d'une pharyngite banale, d'une grippe, ou d'une forme bénigne (la plus courante) de COVID-19.
On connaît la fameuse formule attribuée à Raymond Devos : La grippe, ça dure huit jours si on la soigne et une semaine si on ne fait rien.

C'est ainsi que des tas de gens croient à l'efficacité de certaines médecines "parallèles", à commencer par l'homéopathie, parce qu'ils ont été, ou leur cousin, ou leur voisin, "guéri" d'un trouble quelconque.
Précisons qu'il y a aussi pour certains types de troubles l'effet dit "placebo", qui est un effet scientifiquement digne d'intérêt, mais hélas peu efficace dans les maladies infectieuses. 

  • . NB 1 : Je sais qu'en critiquant l'homéopathie et les médecines parallèles je vais me mettre à dos plein de Français, mais pour le coup je me mets en mode Raoult : je m'en fiche ! 😛
    . NB 2  : Pour ceux qui me penseraient à la solde de Big Pharma, je les invite à lire cet article : Le Trouble Dysphorique du Lundi Matin 😉

- La question de la légitimité de la recherche scientifique

Au cas où l'hydroxychloroquine se révèlerait vraiment efficace, ceci accréditerait l'idée selon laquelle les études de confirmation ne servent à rien et que les intuitions de gourous à partir d'expériences à la mords-moi-le-noeud doivent être privilégiées.
Entendons-nous bien : j'ai précisé plus haut que j'étais favorable à ce que certains médecins ou services hospitaliers essaient l'hydroxychloroquine chez des cas graves ou risquant de s'aggraver, sous surveillance étroite, en attendant les résultats fiables.

- La problème de la disponibilité de l'hydroxychloroquine

Les personnes souffrant de PR (polyarthrite rhumatoïde) ou de LED (Lupus erythémateux disséminé) sont inquiètes de voir les pharmacies risquant d'être dévalisées sans avertissement.

Les réactions

La réaction des milieux scientifiques et médicaux

Les milieux scientifiques et médicaux n'ont guère apprécié l'opération de comm' de Didier Raoult.

Parmi les exceptions, citons Jean-Dominique Michel, anthropologue de la santé et expert en santé publique en Suisse, dont l'article du 18 mars en soutien à Didier Raoult a fait le buzz sur les rézosocios (malgré sa longueur !)
Son article est globalement pertinent et bien documenté. Il reprend notamment l'avis selon lequel « La seule stratégie qui fasse sens est de dépister massivement, puis confiner les positifs » (avis judicieux puisque c'est le mien 😉 )
Ceci dit, il reprend la dissonance de Didier Raoult, en écrivant à la fois « il s’agit d’une épidémie  banale.[…] Nous sommes très très loin d'avoir un effet statistiquement significatif au regard de la mortalité habituelle et en particulier de la surmortalité saisonnière. », puis plus loin « nous sommes dans une situation d’urgence […]  des vies sont en jeu jour après jour ! »

Mais la plupart des réactions mettaient l'accent sur les biais de l'étude, son caractère préliminaire, et l'emballement médiatique inopportun.
Le commentaire le plus perspicace et le mieux documenté que j'ai trouvé est cet article de Florian Gouthière, que j'invite à lire dans le détail, mis en ligne le 22 mars sur son site "curiologie" :

Illustration 7

Et les médecins, à commencer par les médecins spécialisés dans les maladies infectieuses, sont dans l'ensemble réticents, voire exaspérés par l'opération de comm' de Raoult.
Une illustration est est donnée par la réaction du Pr Karine Lacombe, chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine de Paris, le 23 mars lors du JT de 13 heures de France 2 :

Karine Lacombe versus Didier Raoult © Jean-Paul Richier

La réaction des médias

Les médias dans leur ensemble étaient également réservés, mais le problème est qu'en parlant à qui mieux mieux du Pr Raoult, de ses positions, et de son étude, ils lui ont fait une pub considérable.

La réaction des autorités françaises

Les autorités françaises sont embarrassées à propos de l'attitude à adopter vis à vis de l'hydroxychloroquine :
- elles avaient nommé Raoult membre du Conseil scientifique mis en place par le ministère de la Santé le 11 mars (même si heureusement il a décidé ne ne plus y participer depuis ce 24 mars) ;
- et elles sont prises entre deux feux :
   . le feu du monde scientifique, qui appelle à la prudence méthodologique et aux risques d'un emballement prématuré,
   . le feu des rézos socios, dont certains courants encensent le Pr Raoult et la chloroquine.

Deux décisions ont été finalement prises :
- l'inclusion en dernière minute de l'hydroxychloroquine dans le vaste essai clinique européen Discovery sur le traitement des formes graves du COVID-19 à l'hôpital, essai qui a débuté le 22 mars ;
- l'autorisation du recours à la chloroquine dans le traitement des formes graves du COVID-19 à l'hôpital (annonce d'Olivier Véran dans son point presse du 23 mars, et inclusion, très restrictive, dans les nouvelles recommandations du HCSP).

La réaction de Donald

Un des thuriféraires de l'hydroxychloroquine a été Donald Trump. Il l'a mentionnée plusieurs fois lors d'une conférence de presse dès le 19 mars.
Et le 21 mars, il a mis en avant l'association chloroquine+azythromicinedans un tweet, son mode de communication privilégié.

Illustration 9

Didier Raoult allait s'empresser de faire état de ce ralliement dans son interview du 22 mars dans Le Parisien : « même Donald Trump a tweeté sur les résultats de nos essais. Il n’y a que dans ce pays qu’on ne sait pas très bien qui je suis ! »

Il faut dire que Donald Trump et Didier Raoult ont des points communs.
Pour devenir président du pays le plus influent du monde, comme pour devenir chef d'une équipe qui a publié autant d'études dans des revues internationales, il faut avoir certaines formes de compétence mentale hors du commun.
Mais en même temps, on peut avoir une personnalité narcissique et querelleuse extrêmement problématique.

D'ailleurs, constatant qu'il y avait encore mieux que Youtube, Didier Raoult a ouvert un compte twitter le 24 mars.
De même que Donald a décidé de communiquer sans s'encombrer des institutions officielles ou des médias traditionnels, Didier à décidé de communiquer sans s'encombrer des institutions scientifiques ou des autorités sanitaires.

Cependant, Stephen Hahn, le dirigeant de la FDA (Food and Drug Administration), puis Anthony Fauci, le directeur du NIAID (National Institute of Allergy and Infectious Diseases), deux agences publiques de premier plan, ont tenu à préciser qu'à ce stade des études de confirmation étaient nécessaires.
Et deux agences fédérales concernées dépendant du ministère de la Santé américain allaient officiellement préciser que des études de confirmation étaient attendues : la FDA le 19 mars, et le CDC (Centers for Disease Control and Prevention) le 21 mars.  

La réaction des laboratoires pharmaceutiques

Le laboratoire français Sanofi s'est dit prêt à offrir des millions de comprimés d'hydroxychloroquine aux autorités françaises, de même que dans la foulée, le laboratoire israélien Teva et le laboratoire allemand Bayer se sont dits prêts à offrir des millions de comprimés aux autorités étatsuniennes, et que Novartis-Sandoz s'est dit prêt à offrir des millions de comprimés au monde, etc.

Bref, on est dans la même course aux dons, afin de communiquer positivement sur son image de marque, qu'Arnault, Pinault, Bettencourt & Co lors de l'incendie de Notre-Dame… 😇

Bref

Didier Raoult est une sommité du monde infectiologique.

Et il ne dit pas que des bêtises.
Ainsi, il dénonce l'absurdité du confinement total et met en avant la stratégie de pays ou territoires périphériques de la Chine : dépistage de masse (recommandé d'ailleurs par l'OMS, mais qui n'a pas été appliqué par la France), et mesures d'isolement ou de quarantaine en fonction des résultats.
Et quand il envoie balader les médias qui s'agitent comme des nuées d'étourneaux ou les spécialistes des plateaux-télé qui la jouent messieurs-je-sais-tout, on ne peut que le comprendre (bon, à ceci près qu'il se sert desdits médias pour se mettre en avant dès que l'occasion se présente).

De nombreux essais contrôlés sur l'action de la chloroquine ou l'hydroxychloroquine sont en cours, en Chine, en Europe et aux États-Unis, dont chaque médecin espère que les résultats seront positifs.

En attendant, l'utilisation par Didier Raoult d'une simple étude préliminaire pour s'afficher en sauveur est irresponsable.
Quand bien même les données préliminaires de son essai (qu'il a dû étendre à d'autres patients que ceux inclus dans sa publication), comme celles des essais chinois, peuvent être encourageantes, l'attitude responsable consiste à les communiquer à ses pairs pour inciter à des études rapides de confirmation. Elle ne consiste pas à profiter de la situation de crise pour gorger son ego, quitte à susciter plus d'effets contre-productifs que de bénéfices.

SUITE : Didier Raoult et la chloroquine : approche scientifique.

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