Les faits
D'abord un petit rappel. Après l’agression violente de quatre policiers, le 8 octobre 2016, à Viry-Châtillon (Essonne), au moyen de cocktails Molotov, la grogne s'était amplifiée au sein de la police, à juste titre en l'occurrence.
Le gouvernement avait donc déposé un projet de loi élargissant les conditions d’usage des armes à feu par les fonctionnaires de police au-delà de la légitime défense.
Ce projet a été adopté par le parlement, et la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a donc été promulguée. Son article 1 ajoute au code de sécurité intérieur un article (L. 435-1) sur les règles d'usage des armes pour les policiers et les gendarmes.
Un mois plus tard, le dimanche 26 mars au soir, la police abat un homme chez lui, villa Curial dans le XIXe arrondissement de Paris.

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Il s'agit de Shaoyao Liu, un homme de nationalité chinoise âgé de 56 ans, peu francophone, père de 4 filles et 1 fils. Sa femme et quatre de ses enfants se trouvaient avec lui ce dimanche.
Selon la police, les trois fonctionnaires de la BAC qui sont intervenus étaient en situation de légitime défense (justification déjà admise avant la loi du 28 février), l'homme ayant tenté d'agresser un policier avec un ciseau alors qu'ils étaient sur le pas de la porte de son domicile. Un policier aurait été blessé à l'aisselle, mais aucun compte-rendu médical n'a été diffusé par les autorités policières.
Les motifs initiaux de l'intervention ne sont pas clairs : un voisin avait appelé la police pour signaler des cris dans l'appartement, ou selon d'autres versions des voisins auraient signalé la présence d'un homme se déplaçant dans les parties communes avec un couteau à la main.
En tout cas, la version de la famille qui était sur place est toute autre : ils ont entendu violemment tambouriner à la porte, le père a eu peur, il a été cherché des ciseaux à découper le poisson et s'est mis derrière la porte, puis les policiers ont brutalement défoncé la porte, comme ils étaient *en civil* l'homme a eu encore plus peur, et dans la confusion il a été abattu sans sommations d'un coup de feu dans la poitrine.
La version de la police

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On peut entendre la version de la police relayée par Eddy Sid, délégué de secteur du syndicat UNITÉ SGP Police FO pour la zone Paris, sur cette vidéo (0:48)
Elle est assez croquignolesque. Extraits :
« ils ont essayé de faire cesser l'infraction, parce qu'il n'avait pas le droit d'avoir une arme blanche »
Avoir un ciseau à écailler le poisson chez soi est une infraction. Dont acte.
« A la troisième reprise (d'attaque au ciseau) les fonctionnaires de police n'ont eu d'autre choix que de faire usage de leur arme
…
« il y avait la famille qui était autour et il n'y avait pas d'autres possibilités de le neutraliser
…
« les fonctionnaires de police ont fait usage de la force strictement nécessaire. »
Le premier alinéa de l'art L. 435-1 du CSI susmentionné autorise dans certaines circonstances les représentants de l'ordre à « faire usage de leurs armes en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée »
Tirer une balle dans le thorax d'un homme armé d'un ciseau à poisson dont on vient de défoncer la porte est donc un geste d'absolue nécessité et strictement proportionné. Dont acte.
Dans l'hypothèse où la version de la police serait vraie, utiliser des armes non léthales ou tirer dans les jambes eût été sans doute d'une mansuétude disproportionnée.
« comme dit Rousseau, l'État c'est le monople de la violence légitime »
Eddy Sid veut la jouer intello, manque de pot le monopole de la violence légitime est un concept du sociologue allemand Max Weber au début du XXe siècle, et si ce dernier s'est inspiré d'un philosophe contractualiste, c'est évidemment de Thomas Hobbes au XVIIe siècle et non de Rousseau un siècle plus tard.
Dans une autre vidéo, Eddy Sid joue au spécialiste qui connaît son affaire :
« il était chez nous ce qu'on appelle en langage courant I3P » (1:37)
I3P, ça veut dire IPPP, Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, où sont conduits à Paris les personnes ayant troublé l'ordre public pour des raisons psychiatriques. Shaoyao Liu y aurait fait un passage en février 2012 après un précédent appel des voisins pour trouble de voisinage. Selon l'agence Reuters, il avait jeté son poste de télévision par la fenêtre (ce que je me retiens souvent de faire). D'après les éléments recueillis par les médias, il buvait de l'alcool et pouvait avoir des comportements dérangeants. Mais si tel était le cas, la BAC aurait d'autant plus dû faire montre de circonspection dans son intervention, au lieu de réagir sur le mode « interpellation d'un suspect fiché FSPRT ».
Mais bon, Eddy est humain, hein :
« y a eu décès, c'est dommage » (3:02)
A propos du syndicat Unité SGP Police Force Ouvrière, premier syndicat policier de France, rappelons ces propos de son porte-parole Luc Poignant, 9 février sur France 5, à propos des rapports entre la police et les sujets d'origine africaine :
« D'accord, "Bamboula", ça ne doit pas se dire etc, mais ça reste encore à peu près convenable. »
Quant au deuxième syndicat policier, Alliance, son secrétaire national Loïc Lecouplier, du syndicat de police Alliance déclare à propos de l'affaire : « L'homme armé d'un couteau s'en prend au premier collègue (…) Le second collègue fait usage de son arme pour protéger son coéquipier et l'individu décède de ses blessures ». Un couteau, un ciseau… on n'a pas l'impression qu'il connaissent super bien l'affaire, nos syndicalistes policiers.
La version de la famille de la victime
On peut visionner les témoignages des filles de la victime sur cette vidéo mise en ligne sur la page Facebook Chinois en France
Ou sur cette vidéo de l'AFP :
[cliquer sur « Visionner sur YouTube » si la vidéo n'apparaît pas]
Suite : Tir mortel de la police sur Shaoyao Liu : les réactions