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Billet de blog 31 juillet 2014

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L'amende de BNP Paribas [partie I]

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

BNP Paribas vient de publier le 31 juillet ses comptes du 2ème trimestre 2014, où suite à la sanction américaine, son bilan est déficitaire de plus de 4 milliards d'euros.

Cette publication, reprise par tous les médias, nous donne l’occasion de revenir à tête reposée sur les tenants et les aboutissants de cette fameuse pénalité de 9 milliards de dollars (6,5 milliards d'euros).

[NB : dans le texte, l'abréviation M€ (ou M$) signifie "million(s) d'euros" (ou de dollars), et Md€ (ou Md$) signifie "milliard(s) d'euros" (ou de dollars)].

 [Sommaire des 6 parties

Illustration 1

Suite à la sanction américaine du 30 juin dernier, les comptes du 2ème trimestre 2014 publiés par BNP Paribas incluent 5 750 M€ de pénalités et 200 M€ pour le plan de remédiation (mesures de contrôle renforcé). Du coup le bilan est déficitaire : - 4 317 M€.
Les 5 750 M€, ajoutés aux 798 M€ qui avaient été provisionnés à cet effet l’année dernière, font un total de 6 548 M€ qui ont été acquittés aux autorités américaines (correspondant aux presque 9Md$, au taux de change du 30 juin).

1- LA SANCTION

Le lundi 30 juin 2014, BNP Paribas, la 1ère banque française (et la 4ème banque mondiale), a été sanctionnée par la justice américaine. Dans le cadre d'un accord "à l'américaine", elle a accepté de payer une sanction de 8,973 Md$, comprenant une confiscation de 8,833 Md$ et une amende de 140 M$. Un tribunal de New York a confirmé la sanction le 9 juillet.
On peut consulter le dossier sur le site du Ministère de la Justice américain, lire une traduction très complète du document récapitulatif, et prendre connaissance par ailleurs du communiqué de la BNP en date du 1er juillet.
La justice américaine reproche à BNP Paribas d'avoir blanchi de l'argent pour permettre des transactions en dollars, entre 2004 et 2012, vers des pays soumis à des sanctions économiques américaines, notamment le Soudan, l'Iran et Cuba. Elle se référait à deux lois américaines : la loi sur les pouvoirs économiques en cas d'urgence internationale (International Emergency Economic Powers Act, IEEPA) et la loi sur le commerce avec l'ennemi (Trading With the Enemy Act, TWEA). 

  1-1. LES QUESTIONS

Bien sûr, ceci pose d'emblée deux questions :

    1-1-1. L'"IMPÉRIALISME" MONÉTAIRE DES ÉTATS-UNIS

On ne peut pas se passer du dollar, et les USA imposent leurs positions via leur devise. La base de ce principe, qui peut paraître curieux sur le plan du droit international, est que toute transaction effectuée en dollars doit passer par une chambre de compensation, située sur le territoire américain, qui valide la régularité financière de la transaction.

    1-1-2. LES EMBARGOS UNILATÉRAUX DE LA PART DES ÉTATS-UNIS 

Nous n'aborderons pas la question complexe de la pertinence tactique des mesures de rétorsions économiques ou financières : hors les mesures ciblées comme le gel d'avoirs, il est toujours délicat de savoir dans quelle mesure ces mesures ne pénalisent pas davantage une population qu'un régime. Tenons-nous en à leur objectif théorique.

Ici, les principales transactions litigieuses concernent le Soudan, auquel Mr Clinton avait imposé un embargo en 1997, renforcé par Mr Bush en 2006, en pleine guerre du Darfour. Bien sûr, un pays comme le Soudan n'est guère défendable. A côté de cela, à Cuba, l'embargo date de 1960, peu après la révolution cubaine. Cuba n'est sans doute pas un modèle de démocratie, mais, pour ne prendre qu'un exemple pas tout à fait au hasard, l'Arabie Saoudite l'est encore moins. Et l'embargo des États-Unis envers Cuba est depuis des années condamné tant par la quasi-totalité de l'AG de l'ONU que par les principales ONG humanitaires.

Illustration 2

« Ou dix mensualités d'1 milliard de dollars »

 1-2. LES FAITS

Mais la BNP avait choisi de truquer et de magouiller en toute connaissance de cause, et de traîner des pieds lorsque la justice américaine a commencé à lui demander des comptes. Moyennant quoi elle est à présent chocolat : obligée d'accepter un arrangement "à l'américaine" pour ne pas décaisser encore plus, elle doit reconnaître publiquement sa culpabilité, "à l'américaine".

Le communiqué du 30 juin 2014 du ministère de la Justice étasunien indique "BNP Paribas, 4ème banque mondiale, a accepté de plaider coupable, et de payer une amende de presque 9 milliards de dollars pour détenir le record des violations de sanctions, en ouvrant illégalement les portes des marchés financiers américains aux trois pays sanctionnés".
Et sur son site "BNP Paribas SA reconnaît sa responsabilité ("guiltyplea") pour avoir enfreint certaines lois et réglementations des Etats-Unis relatives à des sanctions économiques à l’encontre de certains pays", et Jean-Laurent Bonnafé, le Directeur général de BNP Paribas, y déclare : "Nous exprimons nos regrets pour ces erreurs passées qui nous amènent aujourd’hui à cet accord".

Le communiqué du ministère de la Justice américain précise qu'entre 2004 et 2012 au minimum, la BNP a, de façon délibérée et en toute connaissance de cause, fait passer plus de 8,8 Md$ par le système financier américain pour le compte d'entités soudanaises, iraniennes et cubaines sanctionnées, en violation des sanctions économiques décidées par les USA.
L'amende représente la somme que BNP Paribas a reconnu avoir fait transiter par les Etats-Unis au nom de clients soudanais (6,4 Md$), cubains (1,7 Md$) et iraniens (0,65 Md$).
A coté de cette amende record, la BNP se voit imposer du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 une suspension de ses opérations de "compensation" (règlement) en dollars, nécessaire pour ses activités à l'international, notamment ses activités très lucratives de négoce de pétrole et de gaz. Bon, il lui suffira en principe de trouver une autre banque qui sous-traitera pour elle les paiements en dollars.

2- LE MONTANT : 6,55 MILLIARDS D'EUROS

8,973 Md$, ça fait 6,55 Md€.
A côté, la nouvelle amende (60 M€)dont vient d'écoper la BNP aux USA le 25 juillet dernier pour une affaire moindre semble dérisoire.
Ça fait beaucoup ? Pour vous et moi, oui. Mais pour sanctionner la 4ème banque mondiale, on ne peut pas se contenter de quelques centaines de millions d'euros.
Cette sanction ne dépasse pas 7% des fonds propres de la BNP (94,4 Md€ pour 2013).

Quels autres chiffres peut évoquer ce chiffre, qui dépasse l'entendement du commun des mortels ?

Illustration 3

  2-1. LE BÉNÉFICE ANNUEL MOYEN DE LA BNP AU NIVEAU MONDIAL : 6,4 Md€ en moyenne ces dernières années

Bénéfices (profits nets) ces dernières années :
2009 : 5,83 Md€
2010 : 7,84 Md€
2011 : 6,05 Md€
2012 : 6,55 Md€
2013 : 4,83 Md€ (mais qui serait de l'ordre de 5,63 Md€ sans la provision de près de 800 millions d’euros en prévision de la sanction américaine).
 
D'ailleurs la BNP annonce qu'elle va régler cette sanction grâce à son bénéfice 2014.

  2-2. LES "SUBVENTIONS IMPLICITES" DE L'ÉTAT FRANÇAIS À LA BNP : 6,2 Md€ en 2010

La garantie publique des dépôts, et surtout la garantie de sauvetage en cas de faillite (bailout) procurent aux banques un avantage que le monde économique désigne par "subventions implicites".
Ceci concerne donc surtout les banques TBTF ("too big to fail", trop importantes pour faire faillite), à cause du fameux "risque systémique" (la faillite d'un établissement financier majeur pourrait par un effet domino mettre en péril l'ensemble du système financier), également donc appelées "banques d’importance systémique".
Cette subvention implicite correspond aux économies que fait la banque en pouvant emprunter à des taux d'intérêt moindres, donc se financer à moindre coût, grâce à cette sécurité.

On peut trouver dans la 3° partie du rapport particulier n°3 du rapport de janvier 2013 du Conseil des prélèvements obligatoires, organe placé auprès de la Cour des comptes, consacré aux prélèvements obligatoires et les entreprises du secteur financier, les trois principales méthodes proposées pour en évaluer le montant. Parmi ces méthodes, celle d'Andrew Haldane, directeur exécutif du Conseil de stabilité financière de la Banque d'Angleterre, s'inspire des notations des banques, par les agences de notation comme Moody's, selon qu'elles disposent ou non du soutien d'un gouvernement, et en déduit les écarts des montants d’intérêts payés par les banques sur les titres de dette qu’elles émettent. C'est en s'inspirant de la méthode Haldane que le think-tank britannique "New Economics Foundation" évalue à 6,2 milliards d'euros la subvention implicite de l'État à la BNP en 2010.

De plus, cette garantie de l'État non seulement repose sur le principe contestable de privatisation des profits et de socialisation des pertes (même si ce n'est bien sûr pas aussi simple), mais induit un effet pervers qu'on appelle l'"aléa moral" : l'incitation à la prise de risques inconsidérés par un opérateur, en l'occurrence une banque, car il se sait couvert en cas de difficultés majeures. 

Le FMI consacre à ces questions le chapitre 3 de son rapport 2014 sur la stabilité financière dans le monde. 

  2-3. LE MONTANT DES VENTES FRANÇAISES D'ARMEMENT À L'ÉTRANGER : 6,3 Md€ en 2013

C'est le chiffre avancé par le ministre de la Défense en janvier 2014, chiffre qui devrait être confirmé dans le rapport au Parlement 2014 sur les exportations d’armement de la France prochainement publié.
La France est le 4ème exportateur de ces sympathiques marchandises, et son principal client est le Moyen-Orient, principalement les sympathiques démocraties que sont l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis. Mais c'est évidemment la clientèle russe qui est embarrassante dans le cadre de la crise ukrainienne : la France est en train de construire deux porte-hélicoptères Mistral pour un contrat avec la Russie de 1,2 Md€.
Et nous ne sommes pas complètement hors sujet, puisque Vladimir Poutine, dans un discours sur la politique étrangère le 1er juillet, faisait le lien entre la sanction de BNP et la vente de ces Mistral...

  2-4. LE DÉFICIT DE LA BRANCHE MALADIE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE EN FRANCE : 6,8 Md€ en 2013

On me pardonnera, en tant que toubib hospitalier, cette comparaison collatérale.
C'est le chiffre fourni par la Cour des comptes dans sa certification des comptes de l'exercice 2013 en date de juin 2014. Cette même Cour des comptes, dans son rapport sur les finances publiques, datant également de juin 2014, fait des suggestions dans le chapitre "Des pistes d’économies à explorer". Autant les suggestions de la section "Les dépenses d’assurance maladie" (p 166) peuvent être pertinentes (je n'ai pas dit applicables), autant les suggestions de la section "La masse salariale publique" (p 150) amalgament bêtement la fonction publique hospitalière avec la fonction publique d'État et la fonction publique territoriale. Bon, j'arrête le hors sujet.

[SUITE : PARTIE II]

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