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Chœur de femmes était le titre de son premier spectacle que je me souviens avoir vu au début des années 2010 à Varsovie. Un choc. Un troublant ravissement. Un chœur rassemblant des femmes, uniquement des femmes d’un quartier populaire de Varsovie. « S’appuyant sur Antigone de Sophocle, citant ici et là Barthes, Beauvoir et Foucault tout en mêlant à cela les phrases les plus anodines et banales qui soient, Marta Górnicka et ses trente femmes traitaient de l’exclusion (y compris du langage) par son contraire : l’union, la fraternité de ces femmes entre elles, l’art (la chorale) comme lien social, le chœur comme combat et au cœur de ce combat, la femme, la parole réappropriée. C’était à la fois simple et puissant. Une énergie collective contagieuse » écrivais-je alors (lire ici). Ce spectacle avait été invité à Lyon au Festival Sens Interdit par son directeur Patrick Penot, bon connaisseur de la Pologne.
D’autres spectacles allaient suivre au fil des années comme Magnificat (2012), Requiemmachine (2014) et Hymn to love (2018), trois spectacles présentés au Maillon de Strasbourg autre pôle de fidélité française grâce à sa directrice Barbara Engelhardt.
Il n’y avait donc rien d’étonnant à voir au Maillon Patrick Penot hier soir pour la création de Mother a song fort wartime. Etaient aussi présents, Tiago Rodrigues et sa proche collaboratrice et compagne, car ce spectacle, réjouissons-nous, est à l’affiche du festival d’Avignon.
Comme toujours Marta Górnicka n’est pas sur scène mais dans la salle, au milieu du public, debout, face à l’assemblée des femmes sur scène. D’un geste de la main et d’un hochement de tête, elle donne les tops au femmes faisant bloc.
Des très jeunes et jusqu’à des vieilles femmes, de 8 à 71 ans. « Ce sont des survivantes, dit Marta. Elles sont réfugiées, témoins de la violence et des bombardements. Celles qui ont fui avec leurs enfants en Pologne, à Varsovie ou dans d’autres villes d’Europe et d’ailleurs, veulent parler aujourd’hui, utiliser le pouvoir de leur voix pour nommer ce qui ne peut l‘être ». Alors elles chantent, puisant dans leur mémoire, chansons, comptines, elles parlent aussi, une à une, de leur situation, de leurs espoirs, certains préfèrent rester silencieuses, se contentant de chanter, de faire chœur en ukrainien, en biélorusse, en polonais.
« Maman si tu savais / Quelle vie de chagrin/ Aux pigeons tu donnerais/ Toute une miche de pain Aux pigeons du pain/ Au coucou de la moelle / Oh maman, oh maman/ Mais qu’est-ce que ça fait mal/ ça fait mal, ça fait mal, ça fait mal ». Elles disent le viol: « Ce sont surtout des femmes, mais aussi des petites filles, de jeunes enfants (dont des garçons), des nourrissons, parfois des hommes. Les victimes ont entre 1 et 85 ans. L’écrasante majorité des cas de viols, de violence sexuelle, de torture et de meurtres est faite en public devant des témoins » pour multiplier le « cercle de la souffrance ». Elles disent leur amour de l’Europe et la meurtrissure qui est la leur. Elles chantent des chants plein d’oiseaux.
Et chacune, tour à tour, prend la parole : « Je suis Natalia. Je viens de Kherson. Je suis prof de musique…. » ; « Je m’appelle Bogdana. J’aime les prairies, les champs, les grands espaces. J’adore les petits matins et la rosée… » ; « Je suis Julia.Je viens d’un petit village de la zone occupée de Prymorsk. En Ukraine, j’étais la soliste du groupe ethno-rock Yary ...» ; « Je suis Svetlana. Je viens de Melitopol, un territoire occupé. Ma mère y est toujours. J’aime les livres, j’adore les hôtels. C’est toujours un nouveau monde, pour moi. », « Je suis Lisa. Je veux vous dire que ce n’est pas un cauchemar. C’est notre vérité. » Elles finissent par raconter un jeu d’enfants dont l’enjeu est la paix.
Crée au Théâtre du Maillon à Strasbourg, après Avignon, le spectacle est à l'affiche du Théâtre du Rond-Point à Paris du 15 au 19 oct, du mar au ven à 20h30, sam 19h30