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Billet de blog 7 décembre 2023

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La double vie de Lucy Kirkwood et Lucie Boisdamour

REPRISE. Performance inédite sur les scènes françaises, Chloé Dabert met en scène, en même temps, deux pièces nouvelles, « Rapt » de Lucie Boisdamour » et « Ravissement » de Lucy Kirkwood, jouées par les mêmes actrices et acteurs sur la même scène et simultanément. Vous avez dit complot ?

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Illustration 1
Scène de "Rapt" © Victor Tonelli

L’autrice anglaise Lucy Kirkwood a plus d’un tour dans son sac à deux mains. Non seulement elle a deux mains comme vous et moi, mais avec chacune elle écrit une pièce, même si les deux pièces, en définitive, n’en formeront qu’une à la fin des fins, quoique.... La luci(d)e Lucy a sans doute mal à son identité, car aux premières pages de Ravissement, traduction en français de sa pièce Rapture, par sa traductrice attitrée Louise Bartlett, on peut lire ces « Notes sur la production » :

1 ) cette œuvre doit être produite de manière durable.

2) la pièce doit être promue sous une identité différente. Par exemple : Rapt de Lucie Boisdamou».

Suivent ces mots qui nous entraînent, sans attendre, dans la fiction qui va suivre : « Quand Louis se rend compte que quelqu’un publie sur Internet en son nom, il découvre que ce n’est pas la seule partie de son identité qui lui a été volée. Mais qui lui fait ça ? Et pourquoi ? Ce thriller est la première pièce de la jeune autrice québécoise Lucie Boisdamour ».

Mais qui a donc écrit cette note ? L’attachée de presse de Lucy Kirkwood ? Son agent de production ? Sa main gauche ? Une assistante se faisant passer pour Lucie Boisdamour ? Un stagiaire de la maison d’édition prénommé Louis ? Je penche pour cette dernière proposition car dans la pièce, et même dans les deux pièces, Ravissement et Rapt, il n’est jamais question d’un Louis, pas même d’or, mais bel et bien d’un Noah. Non pas le tennisman devenu chanteur, mais quelqu’un comme L(o)ui(s ) comme « lui » donc. Vous me suivez ? Observons que Lucy Kirkwood et son avatar ou son double sont aussi des personnages de la pièce qui est aussi celle de Lucie Boisdamour dont le nom n’est autre que la traduction française de Lucy Kirkwood. « Je est un autre » disait Rimbaud, aussi visionnaire que précurseur.

Pendant que j’écrivais ces signes, les yeux sur mon calepin, le spectacle avait déjà commencé par un long déroulé informatif sur écran dont j’ai donc raté le début. A peine ma tête sortie de mon calepin, je pus lis ces lignes sur l’écran dressé au devant de la scène : « lorsque l’œuvre finale a fait l‘objet de censure et de recours en justice récurrents, notre théâtre a accepté de produire la pièce secrètement dans l’espoir de sensibiliser le public sur cette affaire, et rendre justice aux Quilter ». N’ y comprenant pas grand-chose, je m’informais alors auprès de mon voisin, autoproclamé critique et créateur du blog « l’œil du Jardin » (blog rival de « L’oreille de la cour), Lucien Boisdormant (le bien nommé) de ce que disait le déroulé au début. Avant de s’assoupir, Lucien dit Loulou m’a dit que le déroulé parlait d’un couple Noah et Celeste Quilter ou Kinder ou Killer (il ne savait plus trop) dont l’histoire a fait polémique et que de nombreuses questions restaient à ce jour sans réponse . J’ai laissé l’ami Loulou s’assoupir comme il aime à le faire pour mieux se réveiller pendant le spectacle et j’ai regardé la scène qui se déroulait devant nous.

Assise sur son canapé, Céleste prétendait que les chemtrails, ces traînées blanches que les avions laissent derrière eux, pulvérisaient des produits chimiques pour lutter contre le réchauffement climatique mais, en fait, assurait-elle, ces produits empoisonnent le sol et refilent gratis de l’Alzheimer à ceux qui passent par là. Son compagnon et bientôt mari, prénommé Noah ignorait tout cela. En revanche, il voyait dans le 11 septembre une grosse pincée de complot, d’ailleurs il lui semblait bizarre que les deux tours soient tombées à la verticale.

Plus tard, Noah expliquera à Céleste qu’il avait été, par le fruit de curieuses circonstances, élève dans un établissement où les fils de la princesse Diana étaient inscrits pour connaître la vraie vie. La vraie vie ? C’est après elle que courent l’imagination de Céleste et celle de Noah, elle infirmière, lui on ne sait trop, bricoleur d’électronique à ses heures.

A un moment, les tourtereaux sont dans un restaurant, ils partent sans payer, mais le serveur slovaque, par « visio cryptée » affirmera à Lucy Kirkwood devenue personnage et avatar de sa pièce et de celle de Boisdamour, qu’ils ont bien payé et laissé un gros pourboire. Qui croire ? C’est bien la question sous-jacente à toute la pièce. « Je tiens à déclarer en toute transparente que certaines des premières scènes représentées ici sont en réalité des assemblages de différentes journées mais pas un mot des Quilter n’a été modifié » est-il écrit au cœur de la pièce, réplique attribuée par ses soins à Lucy Kirkwood elle-même ou à son avatar. Comme dira Céleste  à Noah : « ce que je dis n’est pas réel mais c’est vrai » à quoi Noah répondra : « C’est pas parce que c’est dans ton imagination que ce n’est pas réel ». N’allez pas vous imaginez que cet article est une œuvre d’imagination, il rend bel et bien compte d’un spectacle réel et plein d’allant (quoique manquant un poil de peps sur la fin), mis en scène par Chloé Dabert à la Comédie de Reims, ville où le champagne aime se faire mousser en faisant des bulles.

Mariés, les Quilter iront s’installer dans les marais de l’Essex. Céleste trouvera un poste d’infirmière en gériatrie, Noah bricolera sur Internet et autres agaceries, outre un enfant, un chat viendra rejoindre le foyer. Les Quilter auront pour voisin un type bizarre que les futurs enquêteurs surnommeront F12 et dont l’identité ne sera jamais révélée. Un pervers ? Un espion russe ou autre ? On le retrouvera mort lui aussi. Car, chut, je ne vous ai rien dit, avant la fin de la pièce (et ce qui précipitera cette dernière), on retrouvera Céleste et Noah morts et leur enfant disparue. Assassinat ? Suicide ? Kidnapping ? Même Lucy Kirkwood, pourtant autrice patentée, ne le sait pas. Seul le chat, retrouvé squelettique mais vivant sur le ventre de Céleste, le sait. Interrogé par la police britannique, la bestiole a dressé sa queue en la balançant horoizontalement dans un silence abyssal et royal dont les chats anglais sont coutumiers sans donc livrer son secret avant de mourir, semble-il de chagrin. Feint ? Et si c’était lui le coupable ?

Bref, on ne s’ennuie pas et le titre de la pièce, Ravissement, n’est pas usurpé, ps plus que celui de Rapt, puisqu’on est bel et bien pris. Ajoutons que c’est excellemment joué par Anne-Lise Heimburger, Juliette Launay et Arthur Verret lesquels, à la fin, sont venus saluer le public. Mais ni Lucie Boisdamour, ni Lucy Kirkwood, ni même Chloé Dabert n’ont songé à le faire. Bizarre, non ? Et si….

Quoiqu’il en soit, le texte de Rapt traduit par Louise Bardet sous le titre Ravissement est paru aux éditions l’Arche comme les autres pièces signées Lucy Kirkwood déjà montées, entre autres par Chloé Dabert (lire ici).

Reprise au TGP de Saint-Denis du 15 au 22 mars

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