Evguenia Berkovitch est une jeune metteure en scène et Svetlana Petriitchuk une autrice. Toutes les deux sont russes et travaillent en Russie, leur pays, leur langue. On ne connaît pas les mises en scène d' Evguenia (ancienne élève du Studio de Serebrennikov qui, depuis Berlin, lui a exprimé son soutien), aucune, pour l’heure, n'a été programmée en France et les pièces de Svetlana n’ont pas encore été traduites en français. La première, Evguenia Berkovitch, avait monté une pièce de la seconde, Svetlana Petriitchuk, il y a trois saisons avec succès, cela s’appelait Finist, le vaillant faucon et cela racontait l’histoire de deux femmes ayant épousé des islamiques radicaux rencontrés sur internet et parties en Syrie avec eux. Loin de faire l’apologie du terrorisme et de Daech, la pièce montrait des processus pour mieux les dénoncer. Au demeurant, le spectacle avait été primé aux Masques d’Or (cérémonie annuelle, en mieux, des Molière) dans deux catégories : costumes et meilleure œuvre dramaturgique. C’était au temps d’avant.
Le 4 mai dernier, Elena Efros, la mère de Berkovitch, signale, via les réseaux sociaux que sa fille Genia (diminutif d'Evguenia) a été arrêtée et que l’appartement familial à Saint Pétersbourg a été perquisitionné. Il en va de même pour l’autrice Svetlana Petriitchuk, elle arrêtée à Vnukovo, l’un des aéroports de Moscou. Que leur reproche-t-on ? A travers la pièce de l’une mise en scène par l’autre, d’avoir fait l’apologie publique du terrorisme, alors que la pièce dit strictement l’inverse. L’absurde est un mot russe qui se porte bien, jusqu’à l’horreur.
Après de longs interrogatoires à Moscou, une affaire pénale a été ouverte en vertu de l’article 205.2 du code pénal de la Fédération de Russie (« Appels publics à des activités terroristes, justification publique du terrorisme ou propagande du terrorisme »). Les deux artistes ont été condamnées à deux mois de prison préventive en attendant la tenue de leur procès début juillet. Elles risquent sept ans de prison.
Autre nouvelle inquiétante : depuis le 6 mai, le "Service fédéral de surveillance de la protection des droits des consommateurs et du bien-être humain" a posé des des scellés sur les portes du Théâtre Maly de Saint Petersbourg, le théâtre de Lev Dodine, là où avaient été créés des spectacles légendaires comme Gaudeamus (lire ici) ou Frères et sœurs (tournée en France en 1997). Le personnel du théâtre peut venir travailler, la troupe peut répéter, mais le théâtre est fermé au public, les représentations interrompues. Officiellement pour raisons sanitaires et de sécurité. On en saura plus dans quelques jours, le 11juin un tribunal décidera de la suite.
On se souvient que le théâtre Maly avait récemment reçu l’ordre de retirer de l’affiche deux spectacles où figurait l’acteur Danila Kozlovsky. Dès mars 2022, au lendemain de l'offensive russe en Ukraine, Lev Dodine avait adressé une lettre à Poutine (lire ici ) lui demandant d’arrêter la guerre. Jusqu’à présent, le pouvoir n’avait pas osé s’attaquer à ce symbole du théâtre russe post soviétique.
Une lettre ouverte de soutien à Evguenia Berkovitch et Svetlana Petriitchuk a été lancée par le rédacteur en chef de Novaïa Gazeta Dmitri Muratov, prix Nobel de la paix 2021. Elle avait recueilli hier 11 000 signatures (à lire sur le site en anglais du journal : https://novayagazeta.eu) .
(avec Macha Zonina)