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Billet de blog 9 juin 2025

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Gosselin : tout un jour dans la nuit de Duras

Le metteur en scène met en scène la promotion sortante du Conservatoire dans un fascinant « Musée Duras » traversant, dix heures durant, l’œuvre, tout en en caressant affectueusement le cœur blessé de mots et d’amour

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Illustration 1
Scène de "Musée Duras" © Simon Gosselin

Julien Gosselin aime les longs corps à corps avec des œuvres amples donnant des spectacles aux durées conséquentes. C’était le cas avec 2666, le roman fleuve et inachevé de Roberto Bolano (lire ici) , c’était encore le cas avec Don De Lillo associant Joueurs, Mao II et Les noms  (lire ici). Cette fois avec Musée Duras, c’est tout une œuvre que le metteur en scène traverse, une œuvre close par la disparition de sa créatrice, Marguerite Duras. Une œuvre aimée et retrouvée. Au bout, un spectacle en dix stations réparties en cinq fois deux heures, prenant le pouls d’une douzaines d’œuvres. Et Gosselin s’aventure dans ce long voyage non pas avec les acteurs de sa compagnie si Vous pouviez lécher mon cœur, mais avec les élèves sortant du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris et pour eux, pour nous.

Les dix stations de deux heures chacune, entrecoupées de très courts entractes, nous entraînent dans les méandres récurrents de Duras (amour, désir, rencontre, séparation, « le triomphe de la banalité » t’elle encore) de dix heures du matin (« j’écrivais tous les matins » ) jusqu’au soir comme c’était le cas au Printemps des comédiens où nous avons vu Musée Duras . Tout un jour passé dans nuit du théâtre (présentement le Théâtre Jean-Claude Carrière au domaine d’O de Montpellier, après un création il y a quelques mois au Conservatoire de Paris et avant une reprise à l’Odéon cet automne), Tout un jour à aller d’un livre l’autre dans l’écriture de Marguerite dans un ordre aussi intuitif que subjectif conçu par Gosselin sans souci d’inventaire. Pièces, films, romans, textes.. Une traversée. D’autant plus troublante qu’elle est portée par des jeunes actrices et acteurs qui, pour a plupart, n’avaient sans doute pas ou peu lu Marguerite avant de rencontrer Julien.

Deux gradins se font face surmontés chacun d’un écran diffusant les images d’un caméra qui, sur le plateau (nu, recouvert de blanc) et la traduction du texte lorsque celui-ci est dit dans une autre langue, celle natale des comédien.nes. Entre les deux gradins, un sol blanc sur lequel le public est souvent convier à prendre place (assis, allongé au choix) à côté des comédiens. Cadrant le sol de chaque côté, un murs blanc s’ouvrant parfois sur un autre espace.

On entre dans Musée Duras par un texte publié il y a presque cinquante ans, en 1980, L’homme assis dans le couloir.. L’homme, « face à la porte ouverte sur le dehors » observe une femme « couchée à quelques mètres de lui sur un chemin de pierre ». Elle porte une robe déchirée sur le devant, « Elle sait qu’il la regarde, qu’il voit tout ». Et c’est alors que Duras voit à son tour. « Je vois » dit-elle, répète-t-elle. «  je vois l’enclave du sexe entre les lèvres écartées ». La femme « crie », »appelle un nom », Des mots dits, jamais illustrés par une actrice seule, Foumemoussou Sissoko, se levant, marchant ou pas dans l’obscurité parmi les spectateurs invités à venir s’allonger au centre ou restés assis sur les gradins.

Ainsi le théâtre naît-il de la nuit. « Un livre ouvert c’est aussi la nuit » écrit Marguerite Duras dans Écrire. Elle poursuit : « Je ne sais pourquoi, ces mots que je viens de dire, me font pleurer ». tard, le soir en rentrant seul à l’hôtel Je me suis souvenu de ces deux phrases, notées naguère dans un carnet

Bientôt, dans le babil nocturne de l’actrice, Duras (celle qui écrit, celle qui voit) entre dans la danse  de son texte: « « nous entendons que l’on marche elle et moi ». « Qu’il a bougé, Qu’il es sorti couloir ». Et plus perçant, plus personnel « Je lui parle et je lui dis ce que l’homme a fait. Je lui dis aussi ce qu’il advient d’elle. Qu’elle voie , c’est ce que je désire ». Ainsi Gosselin met il en scène pour commencer, la scène même de l’écriture, de son acte, du dialogue que Duras entretient avec elle. L’avènement de l’apparition par lequel commence l’écriture.

Le théâtre (dialogue, personnages) entre ensuite en scène avec Savannah Bay, pièce autour du personnage de Madeleine, écrit pour Madeleine Renaud, pièce que Duras a mis en scène elle-même, Bille Ogier accompagnant Madeleine, dans un décor de Roberto Plate (on entendra plus tard, L’exposition de la peintre, un texte consacré à ce dernier). « Aucune comédienne jeune ne peut jouer le rôle de Madeleine » écrit Duras. Au Conservatoire toutes les actrices sont jeunes, et c’est le cas des magnifiques Atela Hesa et Lucile Rose. Le théâtre a tous les droits, Duras le sait et en joue tout au long de Savannah Bay. Gosselin pousse le bouchon jusqu’à donner cette pièce en traduction anglaise alors qu’une ligne de force de la pièce est une chanson célèbre de Piaf « Les mots d’amour ». « Enfin...elle n’aura pas été jouée complètement » dira l’acrtice Madeleine à l’évocation d’une pièce. Et ajoutera « mais jamais rien n’est complètement joué précisément au théâtre...alors... ». Alors..

Comme dans tout musée il y a des œuvres stars au titre connu de tous comme l’Amant ( l’actrice Alice Da Luz Gomes épousant magnifiquement le cours trouble du Mékong, lieu de la rencontre entre la jeune fille blanche et l’amant chinois). Autre pièce célèbre du musée, le film Hiroshima mon amour (Yanis Doinel et Violette Grimaud tout en balancements entre Hiroshima et Nevers). Et puis figurent des œuvres de moindre importance comme Suzanna Andler, une pièce durassisant la structure d’une pièce de boulevard (mari, femme, amant) ou une autre pièce un peu bancale, La Musica Deuxième privé de a première (Vassiliev les avait magnifiquement réunies il y a quelques années au Vieux Colombier)-.Il est aussi des œuvres secrètes, inclassables comme La maladie de la mort et son « vous »  envoûtant (intense Rita Benmannana) ? ou bien encore l’extraordinaire recomposition mi scénique, mi- filmique de la pièce L’amante anglaise par Gosselin avec impressionnante approche plébéienne du rôle-titre par l’actrice Juliette Caron..

Avec raison, Julien Gosselin ne passe pas à côté de La douleur , ce texte que Duras dit avoir retrouvé dans une armoire et où elle avait consigné au jour le jour ce que fut l’attente du retour des camps de Robert (Antelme) , son mari, qu’elle imagine mort plus d’une fois et qui est retrouvé miraculeusement à demi mort à Dachau et qui reviendra à la vie, cuillerée après cuillerée, douleur de l’attente, douleur du retour, texte porté haut par Louis Pencréac’h. Et puis, pour finir, il y aura L’homme atlantique, dont Duras disait garder dans sa chambre de Trouville le « rosier fabuleux » texte d’amour et d’adieu d’adresse et d’aveu, « je suis dans un amour entre vivre et mourir » écrit Duras, dit Carla Pacini en précoce et troublante équilibriste. Entre jour et nuit, entre vie et jeu les vieux complice de Gosselin, la musique live de Guillaume Bachelé et Maxence Vandevelde accompagne cette fabuleuse traversée.

Après le Conservatoire et le Printemps des Comédiens, Musée Duras sera repris à l’Odéon du 9 au 30 novembre

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