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Billet de blog 10 juillet 2022

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10+13= 23 heures durant, le théâtre m’a tenu entre ses bras

A l’approche de la soixantaine, Olivier Py signe « Ma jeunesse exaltée », épopée de 10h, en lointain écho à « La Servante » ( durée 24h) avignonnaise qui, en 1995, l’avait fait connaître à l’âge de trente ans. Directeur sortant du festival, il accueille Simon Falguières avec « Le nid de cendres », épopée de 13h dont l’auteur avait crée une première version de 5 h à l’âge de trente ans. Ô joie !

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Illustration 1
Scène de " Nid de cendres" © Simon Gosselin

La servante, la vénérable loupiote qui veille sur le plateau lorsque les théâtres dorment, ouvrait La servante d’Olivier Py (alors âgé de trente ans) au gymnase Aubanel lors du festival d’Avignon 1995 (lire ici). Un pari gagnant du directeur de l’époque, Bernard Faivre d’Arcier. L‘imputrescible servante ouvre aujourd’hui Ma jeunesse exaltée, la nouvelle pièce de Py (durée dix heures), directeur sortant du Festival d’Avignon après dix ans de service. Seule rescapée de la Servante, Céline Chéenne joue aussi dans la Ma jeunesse exaltée. En tant que directeur, Py avec sa collaboratrice Agnès Troly, ont proposé au jeune (34 ans aujourd’hui) Simon Falguière de venir parachever en 13 heures son spectacle Le nid de cendres dont ils avaient vu une courte et magnifique version de 5 heures en 2019 , (lire ici, Falguières avait alors 30 ans). Beau geste et magnifique spectacle qui fera date.

Le nid de cendres s‘ouvre lui aussi par une servante solitaire allumée au centre du plateau. Avant qu’elle ne se multiplie en une forêt de servantes comme il y a vingt sept ans – si mémoire est bonne- dans La servante de Py, il faudrait que je le demande à Céline Chéenne. Belle connivence entre deux spectacles éloignés l’un de l’autre par le temps mais réunis dans le pot commun de la famille et de la fraternité. Le nid de cendres à la Fabrica entre haut et fort dans la légende des enivrantes épopées au long cours du festival comme La servante anaguère u gymnase Aubanel, Le Soulier de Satin dans la Cour d’honneur du Palais des papes qui commençait le soir et s’achevait au petit matin, sans parler du Mahabharata à la carrière Boulbon

Au gymnase Aubanel, Py et son fidèle décorateur Pierre-André Weitz ont recyclé une partie du décor de La servante d’antant, délicieux clin d’oeil ou belle superstition. L’histoire raconte celle d’une jeune Arlequin en costume bariolé qui, acteur né, rêve de gloire, d’argent, de théâtre et gagne chichement sa croûte en livrant des pizzas pour une boite privée. Chaque jour, il livre une pizza à un vieil écrivain-poète, naguère riche et honoré. Sans la manger, le plumitif jette la pizza derrière ou sous son lit où il a plus envie que s’allonge le bel Arlequin pour lequel il en pince (d’où sa commande quotidienne) ce qui ne tarde pas à se produire ( Py n’est pas un auteur à préléminaires).

Tout en éduquant le jeunôt, le déjà vieil écrivain lui ouvre son coeur un peu las : « Je me moque d’avoir tout perdu, ma jeunesse et ma gloire. Je me moque d’avoir perdu mes illusions, mon nom, , ma vie sexuelle, mes châteaux, ma bibliothèque, la reconnaissance d’une bande de médiocres et de crétins ; je me moque d’avoir perdu les soirées sous les lustres, les amoureux en rut, les costumes sur mesure… Je renonce à tout, j’abandonne tout » dit- il au jeune Arlequin. Lequel lui lance une réplique si l’on peut dire pyissime : « L’absolu est l’essence de l’éternité » (la pièce est une mine pour les dictionnaires de citations). Entre le maigre freluquet sautillant (excellent Bertrand de Roffignac bien qu’un peu trop mécaniques dans sa gestuelle) et le replet jeune vieillard aux fesses molles ( extraordinaire Xavier Gallais, à l’impérial langueur), l’entente sera rapide  y compris au plumard , l’un reprenant la vie où l’autre s’est assoupie, la rouerie du gamin des rues essuyant son destin sur la robe de chambre du poète .

Tout cela fera merveille dans plusieurs nœuds du spectacles dont pour commencer l’histoire d’un faux-vrai poème d’Arthur Rimbaud . Qui nous vaudra d’entamer une satire aux petits oignons à épisodes des trois pouvoirs ; le politique ( (président, ministre, conseiller), le religieux (évêque) et l’économique (riches hommes d’affaire) . Plus calé en religion qu ‘en économie, Py se livre à une plongée en apnée dans les affaires religieuses et autres hit spirituels, tout cela est assez verbeux et barbant pour le mécréant que je suis. Comme dit Soeur Victoire dans la pièce : « parler de Dieu c’est dégueulasse. Il ne faudrait parler que de l’homme, il faudrait faire de l’homme la syntaxe de Dieu » ( cela ne veut peut-être rien dire mais ça claque bien) .

Fort heureusement, après un premier tunnel cureton passé la première pause, Py retourne sa veste et retrouve les habits des arlequins et autres Pantalons tripatouillant généreusement la galéjade et la pique pour atteindre des sommets de drôleries, plus que bien servi par ses acteurs. Pour ne citer qu’un exemple ( je vous laisse découvrir les autres), voir Olivier Balazuc en slip rose dans le rôle de l’évêque, c’est quelque chose à la fois de dérisoire, et d’inoubliable . Olivier Py est meilleur meilleur satiriste que moraliste il y a hélas des passages où le spectacle entendrait bien en vain prouver le contraire La servante s’ouvrait sur ces mots : «  ça ne finira jamais »Près de trente ans plus tard Ma jeunesse exaltée s’ouvre (et se ferme) avec « Quelque chose vient ».

Entre les deux la vie a passé, celle d’Alcandre comme celle de Py. « Les overdoses, la maladie, les suicides , toute ma génération est morte. Il n’est resté que quelques pantalons bedonnants et cyniques. Je pense à ma jeunesse , ma jeunesse exaltée » dit Alcandre dans un dernier monologue qui sonne comme un épitaphe. « Venge-nous, mon amour, en vivant ta jeunesse plus belle qu’aucune »  lance-t-il à Arlequin.

C’est le personnage le plus attachant de tous, le plus présent et aussi le plus complexe, lui Alcandre le grand, le vieux poète. Xavier Gallais, l’acteur qui interprète le rôle, met finement en relief toute l’ampleur blessée du personnages, sa lucidité baignée de tristesse, sa belle fatigue de vivre sans sombrer dans le désabusement, le plaintif ou le scrogneugneux. L’un des plus beaux rôles de Gallais. Quant à à Olivier Py, il s’est construit avec Alcandre comme un garde-fou pour ses vieux jours.

Illustration 2
scène de "Nid de cendres" © Simon Gosselin

Dans Le nid de cendres, on retrouve un personnage qui peut sembler proche d’Alcandre, c‘est Argan , le chef de la troupe du théâtre des campagne, rôle interprété par l’immense John Arnold. Ces deux personnages comme les acteurs qui les interprètent sont de la même génération et les deux pièces soient situées dans un temps et un espace indécis. Mais autant les personnages de Py sont des individus plutôt solitaires, autant ceux de Falguières appartiennent à un groupe (la troupe de théâtre) , une famille ou un couple.

Deux histoires s ‘y déroulent en parallèle, celle de la troupe ambulante laquelle trouvera au bord d’une falaise un bébé abandonné avec un mot où est inscrit son prénom : Gabriel ; et celle d’un vieux roi (également interprété par John Arnold) ; héros d’un conte immémorial avec sa cour restreinte et une reine qui accouche d’un enfant, une fille Anne, avant de s’endormir pour longtemps. Les deux histoires, au terme de mille et une péripéties (du gag au drame, de la séparation à la destruction par le feu de tout un pays) finiront par se croiser , Anne et Gabriel se trouveront et l’histoire continuera.Un peu. On ne va pas tout raconter de ce spectacle qui ne cesse d’embrayer des bouts d’histoires. Dernières répliques :

« Anne.Depuis combien de temps sommes-nous là ?

Gabriel. Une éternité

Anne.Je suis heureuse.

Gabriel . Moi aussi.

Anne. J’aimerais que l’éternité ne finisse jamais »

Voilà, en quelques répliques, résumé le style de Simon Falguières : des phrases souvent courtes aux mots toujours simples, des sentiments à fleur de peau, de l’amour en toute chose. Et un souci constant du rendu scénique.

Chaque séquence s’ouvre avec la jeune fille à la robe rouge, Sarah (Camille Constantin Da Silva) qui , en nous regardant parle « dans les yeux du monde », nous dit l’amorce de la séquence qui va suivre. Cette complicité constante avec le public longtemps n’aura de cesse mais s’atténuera pour disparaître quand toutes les cartes seront sur table. Elle nous explique que c’est l’histoire de deux mondes comme une pomme coupée en deux , que les deux moitiés sont malades et qu’il faudra bien des heures et des histoires pour les réparer, les réunir. Plus de soixante personnages entreront en scène (chaque acteur et actrice jouant au moins deux rôles et souvent plus.) Dans la pièce de Py comme dans celle de Falguières apparaîtra furtivement Shakespeare, le grand maître.

En 1979, à l’Idéal ciné de Tourcoing, Le nid de Cendres avait été présenté dans une première version qui durait cinq bonnes heures (lire ici), le spectacle vu à la Fabrica en dure plus du double. Entre temps Falguières a développé plus avant sa double histoire et donné plus de corps à bon nombre de personnages – on en compte une soixantaine. Prenons par exemple Monsieur Badile (anagramme de diable) personnage récurrent et inquiétant interprété par Mathias Zakhar, un ancien de l’Ecole du Nord qui assure aussi la partition des deux balayeurs ( l’autre est tenu par Simon Falguières, couple de naïfs comique dans la tradition du burlesque américain) et d’autres personnages encore. C’est le lot de chacun(e) de la quinzaine ou vingtaine d’actrices et d’acteurs présents sur le plateau, mais aussi souvent machinistes. Beaucoup on été formés au cours Florent (où est passé Simon Falguières) avant d’intégrer la classe libre puis ,pour la plupart, le CNSAD (le Conservatoire National d Art Dramatique de Paris). Ainsi Antonin Chalon, Mathilde Charbonneaux, Camille Constantin Da Silva, Frederic Docks, Carlye Fabert, Charles Fournier, Lorenzo Lefebvre, Charlaine Nezan, Stanislas Perrin, Manon Rey. Mais aussi, venus d’ailleurs, Elise Douyere, Anne Duverneuil, Victoire Goupil. Il faudrait en dire plus sur chacun, de la solidarité des uns vis à vis des autres. Merci à tous.

Tout avait commencé il y a sept ans en Charente dans le jardin des parents de Pia Lagrange, magnifique Princesse Anne, mais toutes les actrices et les acteurs sont magnifiques, façonnés et grandis dans l’esprit de troupe. John Arnold les a rejoint un peu plus tard, Falguières a créé et écrit parallèlement d’autres spectacles, certains joués en solo où il raconte sa vie fictive allant jusqu’à raconter sa propre naissance.

Et puis l’aventure du Nid de cendres a grandi par paliers jusqu’à son terme aujourd’hui au sein de la compagnie K et dans un lieu où la compagnie est désormais installée en Normandie Une belle histoire de théâtre, un spectacle aussi rare que magnifique et généreux, beau comme un feuilleton que l’on voudrait sans fin, long comme la nuit et un demi-jour, beau comme l’aube. Une construction complexe et cependant constamment lisible dont le secret est la simplicité amicale d’un amour infini du théâtre avec une conscience à la fois aiguë et naïve de ses pouvoirs. Le triomphe et l’accomplissement de Simon, un fabuleux raconteur d’histoire auquel son double Falguières offre la gamme nourri d’un homme de plateau accompli qu’il est. La pièce est dédiée à son père, Jacques Falguières qui longtemps fut le directeur du théâtre d’Evreux. Un enfant de la balle qui sait la renvoyer avec une grande force associée à une modestie sans pareille. Quelle belle histoire de théâtre ce Nid de cendres qui raconte des histoires de vies et de théâtre, ce prisme d’un monde à vivre, à rêver et à réenchanter.

Ma jeunesse exaltée au Gymnase du lycée Aubanel du 12 au 15 juillet , 14h , durée 10 heures. Le texte de a pièces est paru chez Actes du Papiers, 372 p, 24€

Le nid de de cendres à la Fabrica, les 12,13, 15 et 16 julllet, 11H, durée 13 heures. Ld texte de la pièce est paru chez Actes sud Papiers, 390p 23€.

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