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Billet de blog 11 févr. 2020

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Vladimir Pankov revisite un spectacle de Serguei Eisenstein, élève de Meyerhold

Cerise sur le gâteau qu’est l’exposition « Serguei Eisenstein, l’œil extatique » au Centre Pompidou-Metz, le spectacle de Vladimir Pankov « Le Montage des attractions », créé à Vire, arrive à Metz. Vsevolod Meyerhold était fier de celui qui fut son élève et Pankov s’inscrit, en s’amusant, dans ce double héritage.

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Illustration 1
Scèneq du spectacle "Le montage des attractions" © dr

Conservé dans les archives moscovites, une photo de Vsevolod Meyerhold porte cette dédicace datée du 22 juin 1936 : « je suis fier de l’élève qui est devenu un maître. J’aime le maître qui a créé une école. A cet élève, à ce maître, Serguei Eisenstein, mon admiration. » Dans le tome I des œuvres choisies de Serguei Eisenstein (mort en 1948 d’une crise cardiaque) parues à Moscou au début des années 1960, on peut lire : « Je n’ai jamais autant aimé personne, autant adoré, autant vénéré personne que mon maître... Je ne suis pas digne de dénouer les courroies de ses sandales, bien qu’il portât des bottes de feutre dans les Ateliers de Mise en scène non chauffées du boulevard Novinski. » Ce maître, c’est Meyerhold.

Les clefs de Naoum Kleïman

Irréductible, peu doué pour le compromis et l’autocritique, Meyerhold fut arrêté, torturé avant d’être fusillé le 2 février 1940 après avoir été accusé comme tant d’autres de trotskysme, d’intelligence avec des puissances étrangères, etc. Eisenstein sut mieux naviguer entre les gouttes. D’un côté, il tourne en 1937 son film Le Pré de Béguine, le tournage est interrompu et Eisenstein écrit un article autocritique : « Les erreurs du Pré de Béguine ». De l’autre, après l’arrestation de Meyerhold, sa compagne, l’actrice Zinaïda Raïkh confie à Eisenstein, les archives de Meyerhold, qui les cache, au péril de sa vie, dans sa maison de Kvotovo. Après la mort d’Eisenstein, sa veuve les confiera aux archives d’état russes de littérature et d’art (RGALI). Mais c’est à Naoum Kleïman qu’elle confiera les clefs du cabinet d’Eisenstein riche en trésors et en dessins, entre autre érotiques.

Naoum Kleïman, le Langlois russe, accomplira ce dont avait rêvé, textes à l’appui, Eisenstein : la création d’un musée du cinéma et d’une cinémathèque. Avant d’être, à son tour privé de ces outils par la frange la plus réactionnaire du cinéma russe emmenée par le tout puissant Nikita Mikhalkov (lire Le Clan Mikhalkov de Cécile Vaissié, compte-rendu ici).

C’est le théâtre qui attira d’abord Eisenstein. Enfant, il réalise des spectacles. En 1917, il assiste au Bal masqué de Lermontov dans la mise en scène de Meyerhold. Un choc et une révélation. Après son engagement dans l’Armée rouge où il signe de nombreux décors et mises en scène pour des troupes militaires et des théâtres ambulants, libéré, en 1921 il entre au Ateliers supérieurs de la mise en scène que dirige Meyerhold. Le maître comme l’élève s’intéresse à la commedia dell’arte, au théâtre de foire, au mélanges ces genres et des arts, et l’élève suit le maître sur les chemins du constructivisme et de la bio mécanique. Meyerhold associe son cadet à différents spectacles, certains devenus légendaires comme La Mort de Tarelkine d’Alexandre Soukhovo-Kobyline.

Amitié et rivalité

Les relations entre le maître et l’élève se tendent comme souvent entre deux personnalités très fortes, Eisenstein quitte les Ateliers, travaille avec d’autres et en 1923 prend la direction du théâtre ambulant du Proletkoult, le Pérétrou. Il montera trois spectacles en tandem avec Sergueï Trétiakov dont Le sage, librement inspiré de la pièce d’Ostrovski datant de 1868, Il n’est si sage qu’il ne faille, traduite en français sous le titre Le plus malin s’y laisse prendre par Génia Cannac (deux volumes du théâtre d’Ostrovski édités à l’Arche en 1966). Ce dernier résume ainsi la pièce : « Gloumov, jeune homme pauvre et dévoré ambition, espère accéder à la fortune grâce à un mariage avantageux et des relations utiles. Pour atteindre son but, il n’hésite pas à tromper tout le monde et à mener de front plusieurs intrigues. Démasqué et chassé, Gloumov ne désespère pas ; ses protecteurs, qui n’ont pas plus de sens moral que lui-même, ne tarderont pas, il le sait, à le rappeler, car il leur est nécessaire ».

Trétiakov et Eisenstein gardent l’intrigue mais la déplacent à leur époque dans le milieu des émigrés russes à Paris. Y passent des références contemporaines au maréchal Joffre et aux fascistes italiens, des slogans publicitaires, des chansons anticléricales. Les acteurs portent souvent des salopettes colorées, des costumes mi ouvrier- mi clown, Le cirque, le music-hall, le théâtre de foire, les mystères médiévaux, les films policiers français et la musique live se bousculent portillon. En regard de cette mise en scène décoiffante de la pièce explosée d’Ostrovski, Eisenstein et Trétiakov écrivent un texte manifeste, « Le Montage des attractions ». La suite est plus connue, elle se résume au mot cinéma.

Une exposition, un spectacle

Au centre Pompidou-Metz, depuis la fin septembre dernier, une vaste et riche exposition est consacrée à Eisenstein sous le titre « Serguei Eisenstein, l’œil extatique ». Elle est accompagnée d’un riche catalogue dirigé et, en grande partie, rédigé par Ada Ackerman, commissaire de l’exposition avec Philippe-Alain Michaud. Le catalogue s’ouvre par un entretien avec Naoum Kleïman et se clôt par une filmographie établie par ce dernier.

Le Centre Pompidou-Metz et le festival Passages se sont associés pour rendre hommage à ce pan théâtral méconnu de la vie de Sergueï Eisenstein (auquel le catalogue consacre tout un chapitre) en commandant un spectacle au metteur en scène russe et professeur à la faculté du théâtre musical de Moscou, Vladimir Pankov. Il a embarqué une quarantaine de ses élèves dans l’aventure.

La première a eu lieu au CDN de Vire dirigé par la russophile et russophone Lucie Berelowitsch, le spectacle arrive au centre Pompidou-Metz pour deux soirs. Sous le titre Le Montage des attractions, Pankov reprend la pièce d’Ostrovski avec une liberté tout aussi grande que celle d’Eisenstein et Trétiakov, en y mêlant de nombreuses références et clins d’œil à la vie et à l’œuvre de l’auteur du Cuirassé Potemkine et de Ivan le terrible, films dont des images s’invitent dan le spectacle tout comme certains dessins érotiques du cinéaste mais aussi le moustachu Joseph Staline. Etc.

Et comme trop n’est jamais assez chez Pankov, le metteur en scène dédouble volontiers certains personnages de la pièce d’Ostrovski. Bref, un spectacle foisonnant et endiablé, emmené par une troupe jeune, débordant, elle, d’énergie. Le soir de la première à Vire tout n’était pas encore au point, en particulier le sous-titrage, tout cela devrait atteindre un point optimum pour les représentations à Metz. Conseillons tout de même aux spectateurs d’aller d’abord visiter l’exposition avant d’assister au spectacle, leur plaisir n’en sera que redoublé.

Le Montage des attractions, mer 12 et jeudi 13 fév à 20h au Centre Pompidou-Metz en complément de l’exposition Serguei Eisenstein, l’œil extatique ouverte jusqu’au 28 fév. Catalogue richement illustré, 348 p., 49€.

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