Christelle Saez et Tatiana Spivakova se sont connues au cours Simon, depuis elles ne se sont plus quittées. Ensemble, elles ont fondé la compagnie Memento mori.
Du Sacré-Cœur au cœur sacré
Pour commencer, Tatiana a mis en scène Christelle dans Lisbeths, une pièce de Fabrice Melquiot où l’actrice était seule en scène. Puis Christelle a été l’assistante de Tatiana quand cette dernière a mis en scène Dans les bas-fonds de Maxime Gorki au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris où elle était élève. Le public se tenait sur la scène du beau théâtre du Conservatoire et, à ses pieds et dans la salle, une vingtaine de comédiens incarnaient ces personnages venus des sous-sols de la Russie, pays où est née et a grandi Tatiana Spivakova. Elles se sont retrouvées dans Les Justes de Camus. Un spectacle mis en scène par Tatiana et où Christelle Saez était une extraordinaire Dora. Une version très forte (lire ici) de la pièce de Camus qui a été reprise pour de trop petites séries ; ce beau travail n’a pas connu la longue tournée qu’il méritait.
On a pu voir récemment Tatiana Spivakova jouer dans Hôtel Feydeau au théâtre de l’Odéon et voici qu’elle est seule en scène dans Cœur sacré mis en scène par Christelle Saez, une pièce dont cette dernière est l’auteure. Sa première pièce, sa première mise en scène.

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Aucune indication scénique, aucun nom de personnage, des voix qui se succèdent et s’interpellent dans leur succession. Libre au spectateur de les identifier, plusieurs pistes s’offrent à lui.
« Réagis. Ouvre les yeux », premiers mots. Une voix (mère ? sœur ? amie?) supplie une jeune femme de ne pas partir, de ne pas aller en Égypte avec celui qu’elle aime et pour qui elle est prête à tout et d’abord à porter le voile. Tous les arguments sont lancés comme des bouées, des dés : « C’est une manière de te révolter / de te sentir du bon côté / de celui des oppressés des montrés du doigts / ça te passera ». A cela répond un obstiné silence. Rien n’y fait, ni la vie matérielle (« Tu vas vivre de quoi ? Avec quoi ? Quel argent ? »), ni la peur de l’inconnu (« Là-bas, c’est pire que tout »), ni l’enfant qui naîtra probablement (« l’enfant il le gardera pour lui »). Alors elle lui parle de l’histoire de France, des révolutions depuis 1789 jusqu'à 1968, du Sacré-Cœur qui « a écrasé le souvenir de la Commune de Paris ».
Celle qui entend cela, toute à son « cœur sacré », n’entend rien, elle est déjà ailleurs. Alors les propos de la voix qui lui parle deviennent plus chaotiques, plus confus, essayant pour finir une ode à la famille.
Sombres cheveux
Tout se renverse. La très jeune femme est partie, elle va partir, elle est déjà là-bas.
Une autre voix raconte, à la troisième personne, la poussière de l’Égypte, la nourriture qui noue le ventre de l’aimée, l’amour qu’elle ne peut afficher dans la rue. La voix se souvient de la première rencontre : « ils se sont comme reconnus ». Là-bas, la France que la jeune femme regardait avec indifférence avant son départ lui revient en boomerang. La voix se détache d’elle et se met à parler des « barbares », des « Assassins du nous », peut-être est-ce la première voix qui fait retour, on ne sait. L’homme qu’elle a rencontré n’est pas un barbare. Alors la jeune amoureuse prend enfin la parole pour dire son amour : « Je n’ai d’autre résistance / que d’aimer ta peau / ta sombre peau / tes noirs cheveux / tes interminables cheveux, / ton inexorable Nil ».
Assise, debout, se dressant parfois derrière un micro, Tatiana Spivakova passe d’une voix à l’autre, exaspère les inflexions passionnées, la peur sous-jacente, l’impérieux désir de l’autre. C’est une pièce où, comme souvent pour une première pièce, l’auteur a trop de choses à dire, à déverser pour ne pas se perdre un peu. Au salut, Christelle Saez rejoint Tatiana Spivakova. Ces deux-là, elles, ne se quitteront pas.
Théâtre La Loge, 77 rue de Charonne, du 14 au 17 et du 21 au 24 février à 21h.