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Billet de blog 16 janvier 2024

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Manuel à l’usage des écrivains exilés

Maya Bösch adapte, met en scène et en lumières le « Manuel d’exil » de Velibor Čolić, un écrivain bosniaque réfugié en France. Seul en scène, le comédien suisse Fred Jacot-Guillarmod trace la route de l’exil, de Rennes à Budapest en passant par Strasbourg. Avec juste ce qu'il faut d'auto-dérision.

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Illustration 1
Scène de "Manuel d'exil" © Katarzyna Krotki

« J’ai vingt-huit ans et j’arrive à Rennes avec pour tout bagage trois mots de français – Jean, Paul et Sartre ». Ce sont là les premiers mots du récit Manuel d’exil, sous-titré « comment réussir son exil en trente-cinq leçons » écrit -en français- par Velibor Čolić et publié chez Gallimard en 2016 puis repris en Folio. Ce sont aussi les premières phrases prononcées sur la scène par l’acteur Fred Jacot-Guillarmod dans une adaptation de ce texte et une mise en scène signées Maya Bösch.

Le nom de l’auteur nous vient de Bosnie. Il y est né, y a grandi et quand les Serbes ont assiégé Sarajevo, Velibor Čolić a dû s’engager dans l’armée bosniaque. Fait prisonnier, il s’évade et part en exil durant l’été 1992. Le voici donc en France dans un pays dont il ne parle pas la langue. Il a un point de chute à Rennes, il y apprend le français, rencontre des jeunes femmes, fait connaissance avec l'OFPRA où , via une traductrice , on l’invective : « pourquoi vous Velibor Čolić, demandez la protection de l’État français et l’asile politique ». Velibor est journaliste, écrivain, sa vie là-bas est en danger, plaide -t-il. A la dixième leçon de son manuel il énumère les sept façons de se suicider il opte pour la huitième : « le suicide par alcoolisme ». Bien que buvant beaucoup, il échoue.

Le temps passe. Le voici en vadrouille à Paris. La langue française et lui s’apprivoisent petit à petit. Son manuscrit avance. Titre: Les bosniaques. Sujet : les petits côtés de la guerre.Plus tard, en 1994, le livre, traduit, paraîtra aux Éditions le Serpent à plumes, son premier livre. Il y en aura d’autres comme Sarajevo Omnibus chez Gallimard en 2012 (lire ici).

A la leçon 18, le voici qui s’installe Strasbourg. En juillet 1993, à la suite de l'assassinat de l'écrivain algérien Tahar Djaout, une soixantaine d'écrivains (de Bourdieu à Rushdie) réunis à Strasbourg, à l'initiative du Carrefour des littératures animé par Christian Salmon, lancent un appel afin de créer une structure internationale capable d'organiser une solidarité concrète avec les écrivains victimes de persécutions. Ainsi nait le Parlement international des écrivains en novembre 1993 et Velibor Čolić en sera un des premiers bénéficiaires. Au printemps 1997, il quitte Strasbourg et, se rapprochant de son pays, il séjourne à Budapest. Il sera de retour à Strasbourg en décembre 1999, c’est la trente cinquième et dernière leçon, pas très gaie : « trop de valises, trop de froid, trop d’exil pour un seul homme. Alors, je reprends mon souffle et je dis zéro». Le livre, écrit en français, paraîtra en 2016 chez Gallimard.

Maya Bösch s’est donc emparé de ce texte narratif, riche en péripéties, pour en faire, au prix de coupes mais sans réécriture, un monologue, un ruminement solitaire venu de loin, nullement un numéro d’acteur. Comme elle l’avait précédemment fait en mettant en scène le magnifique Laurent Sauvage dans Howl, le grand poème de Ginsberg (lire ici). Pas de décor mais des lignes brisées, parfois sources de lumière, dressées dans l’espace, comme le sismogramme d’une vie hachée et nullement rectiligne. L’acteur, Fred Jacot-Guillarmod, familier des scènes genevoises, se tient loin de nous, bras le long du corps, cerné d’angles obtus. Se tenant souvent à la limite du visible, il expulse le texte de son corps lourd, comme autant de feux lancés dans la nuit.

Manuel d’exil, T2G, Lun, mar, jeu et ven à 20h, sam 18h, dim 16h. Jusqu’au 25 janv

Le texte de Velibor Čolić est disponible en Folio.

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