Agrandissement : Illustration 1
Autrice du passionnant La Palestine sur scène, une expérience théâtrale palestinienne (2006-2016), Najla Nakhlé-Cerruti, interrogée par Olivier Neveux, présentait son nouvel ouvrage, non moins passionnant, Le théâtre palestinien et François Abou Salem.
Un père, Lorand Gaspard, chirurgien et poète d’origine hongroise, auteur d’une Histoire de la Palestine, une mère, Francine, artiste, l’enfant prénommé François naît en France en 1951 et, trois ans plus tard, suit ses parents en Palestine. Il y effectue sa scolarité en langue arabe. Plus tard, il reviendra en France, s’arrêtera à l’école du TNS et séjournera au Théâtre du soleil.
Alors que ses parents s’apprêtent à quitter la Palestine, François y reste, prend le nom d’Abou Salem et, en 1973, fonde Al-Balâdin (les ballons), une troupe de théâtre amateur. Miraculeusement, la troupe dure, « c’est sans précédent » écrit Najla Nakhlé-Cerruti. Il y aura une scission, certains créent la troupe Bila-lin (Sans concessions) qui monte avec succès L’exception et la règle de Brecht dans une mise en scène de François Abou Salem. Bientôt les deux troupes se réunissent pour en créer une troisième, le théâtre El-Hakawaki (le conteur), première troupe professionnelle en Palestine, puisque ses membres y travaillent à plein temps.
Premier spectacle en 1978, Au nom de la mère, du père et du fils, présenté comme une création collective mise en scène par François Abou Salem. Suivra, deux ans plus tard, Mahjoub, Mahjoub, écrit et mis en scène par François Abou Salem « à partir d’un travail collectif ». Le souci du public est constant. Le spectacle va être présenté dans des villages et des zones reculées. Mais rien n’est simple car, depuis la guerre de juin 1967, les Palestiniens de Jérusalem et des territoires occupés vivent sous occupation militaire israélienne. Certains acteurs sont arrêtés, emprisonnés, il y a des provocations, des intimidations.
Grace à une fondation, la troupe fait l’acquisition d’un lieu, un ancien cinéma. Avec une salle de 200 places et une autre de 400, le théâtre ouvre en 1984 et les créations se multiplient. Des créations originales le plus souvent mais aussi des spectacles à partir de Dario Fo ou de Mahmoud Darwich. Des créations souvent entravées voire interdites par la censure israélienne « Aujourd’hui, cette institution demeure le seul théâtre palestinien encore en activité à Jérusalem » souligne Najla Nakhlé-Cerruti qui, chapitre après chapitre, détaille ces spectacles qui sont tous des aventures et des luttes.
Et puis, il y aura les tournées à l’étranger, en particulier en Europe, en France, bientôt accompagnées et soutenues par le tourneur André Gintzburger. Au printemps 80, la troupe vient ainsi en France à Montpellier dans le cadre de « rencontres méditerranéennes » puis à Montreuil, Carcassonne, puis la Suisse, l’ Italie... « C’est la première fois qu’une troupe palestinienne tourne à l’étranger » souligne l’autrice. Les représentations sont données en arabe. Dans les années qui suivent, les tournées internationales vont se multiplier. Certains spectacles seront donnés partiellement en français ou en anglais mais la parole n’est pas forcément au centre, ce qui contribue aussi à leur succès. La troupe se fait remarquer au festival de Carthage, alors très en vogue, et dans d’autres festivals.
Le succès entraîne aussi des jalousies, de l’épuisement, des dissensions, des ruptures. François Abou Salem baisse les bras, quitte la Palestine, s’installe à Paris et forme un théâtre palestinien loin de la Palestine. Il y reviendra cependant, trois ans plus tard, en écrivant et en mettant en scène Jéricho année zéro. Le spectacle tourne dans des salles palestiniennes à Ramallah, Gaza et Nazareth. S’en suivra Motel un spectacle en partie autobiographique où François Abou Salem joue son propre rôle. Nouvelle création, Abou Ubu au marché des bouchers d’après Jarry, une pièce qui creuse les notions de pouvoir et de domination. François Abou Salem, écrira une dernière pièce Dans l’ombre d’un martyr, mettant en scène le témoignage du frère d’un martyr de la seconde intifada.
Et puis, sans laisser d’explication derrière lui, le Ier octobre 2011, François Abou Salem saute par une fenêtre haut perchée et meurt. Il sera enterré au pied des remparts de la vieille ville de Jérusalem parmi les grandes figures de la Palestine. « la communauté des gens de théâtre est traversée par un vide qu’elle n’a pas connu depuis quarante ans » écrit Majla Nakhlé-Cerruti
Une dernière partie du livre est consacrée à l’héritage laissé par cet homme hors du commun que fut François Abu Salem. Cela va d’un spectacle comme Les monologues de Gaza jusqu’aux spectacles de Bashar Murkus en qui Najla Nakhlé-Cerruti voit « l’héritier » de François Abu Salem. Pour preuve un spectacle comme Milk (lire ici) présenté au festival d’Avignon et plus récemment Yes Daddy, ce spectacle venu au dernier festival d’Avignon était également présenté à la Biennale des arts de la scène en méditerranée à Montpellier.
Après la discussion avec Olivier Neveux et la projection de films de Jocelyne Saab, la soirée s’est terminée par Dans l’ombre des martyrs, une pièce écrite par Paula Fünfech sur une idée de François Abou Samen et en collaboration avec lui, interprétée par Waseem Khair.
Le Théâtre palestinien et François Abou Salem par Najla Nakhlé-Cerruti, Actes-sud Papiers. Par la même autrice, La Palestine sur scène, une expérience théâtrale palestinienne (2006-20016) aux Presses universitaires de Rennes.
La Biennale des arts de la scène en Méditerranée à Montpellier se poursuit jusqu’au 22 novembre.