jean-pierre thibaudat
journaliste, écrivain, conseiller artistique
Abonné·e de Mediapart

1043 Billets

0 Édition

Billet de blog 13 janv. 2021

jean-pierre thibaudat
journaliste, écrivain, conseiller artistique
Abonné·e de Mediapart

Belle rencontre entre Olivier Perrier et Carole Thibaut

Chronique des créations en voie de disparition ? (2). Elle a hérité de lui le Théâtre des îlets à Montluçon dont il fut l’un des fondateurs. Aujourd’hui, elle met en scène et joue avec lui une belle pièce qu’elle a écrite avant de le rencontrer : « Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars ». C’est beau, le théâtre, à la croisée des chemins.

jean-pierre thibaudat
journaliste, écrivain, conseiller artistique
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On rêverait parfois d’écrire simultanément plusieurs facettes d’une même histoire, dire en même temps plusieurs choses que l’on éprouve au même instant. C’est ce que j’ai ressenti lorsque la lumière s’est faite sur un décor volontairement froid et minimaliste (un divan, une planche tenant lieu de table où boire et manger, des ouvertures tenant lieu de portes).

« Tu t’es enfin décidé »

A gauche une femme boit, je reconnais l’autrice et actrice Carole Thibaut, tenue strict, cheveux tirés, talons hauts comme souvent. A droite, arrive un vieil homme, je reconnais Olivier Perrier, un acteur et metteur en scène que je croise depuis des lustres et dont les yeux semblent toujours découvrir le monde. Il est vieux. Moi moins que lui, mais tout de même. Tout se bouscule et s’enchevêtre dans ma tête, mais, vite, viennent les premières répliques :

« Le père

Tu vois

Je suis venu

La fille

Je vois

Tu t’es enfin décidé

Le père

Je ne sais pas de quoi tu parles

La fille

Sinon ce n’était pas la peine de venir »

Tout est implicitement dit dans ces premières répliques mais cela va mieux en creusant plus avant ce qu’elles supputent et le théâtre est champion pour ce genre de forage. C’est compliqué, les relations entre un vieux père et sa fille qui est en âge d’être mère depuis belle lurette, n’a pas d’enfants (n’en veut pas, probable) mais des amants qui ne s’installent jamais très longtemps chez elle. La mère est décédé dix ans auparavant. La fille n’a jamais revu son père depuis. C’est de là que part la pièce, forte et intense, de Carole Thibaut, Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars.

Je la découvre aujourd’hui alors que Thibaut l’a créée en la mettant en scène en 2008 au défunt Théâtre de l’Est Parisien dans une distribution où Catherine Anne jouait le rôle de la fille, Jean-Pol Dubois celui du père, et Hocine Choutri celui de l’ami (nouveau compagnon) de la fille. Tôt ou tard, les bonnes pièces ressurgissent et la voici, à point nommé, avec une nouvelle et parfaite distribution. Carole Thibaut elle-même (la fille, en alternance avec Valérie Schwarcz), directrice du Théâtre des Ilets, CDN de Montluçon, autrice et metteuse en scène de la pièce ; Olivier Perrier (le père) qui fut le cofondateur du Théâtre des Ilets en 1985 ; et Mohamed Rouabhi (l’ami), compagnon de route de l’aventure depuis l’arrivée de Carole Thibaut, tout comme Valérie Schwarcz. Oui, c’est compliqué aussi, mais si beau, ce charivari entre l’histoire du spectacle et la façon dont les biographies de ceux qui sont en scène viennent s’y immiscer. On voudrait tout dire d’un coup.

Commençons par parler de la pièce, du spectacle. Comme le dit joliment Olivier Perrier, c’est du « théâtre moderne classique ». Depuis qu’il est né, le théâtre n’a cessé de se pencher sur le tonneau plein de mélasse des rapports entre les pères et leurs filles, même si, comme le souligne la féministe toujours en alerte Carole Thibaut, les rapports mère-fils et même père-fils ont été mieux servis.

Le père, vieux et malade comme il ne cesse de le dire, est venu voir sa fille pour qu’elle l’aide à mourir, il se sait condamné, mais il n’a pas la force de. Tout le nécessaire est là, dans la petite valise qu’il dépose au pied du canapé. Refus de la fille qui hait son père, qui lui en veut, qui s’est fait toute seule et a aujourd’hui une situation confortable. Le père, on l’apprendra, la battait. Cravache, pieds, mains. Est-ce cela ? Oui. Mais est-ce seulement cela ? Il y a aussi ces crises à tout casser que piquait la fille, petite. Mais pourquoi ? On n’en saura pas plus. L’ami qui entre et sort, apporte un peu d’air et d’autres éclairages au huis clos familial. Le père sort dîner (la fille n’a volontairement rien préparé), l’ami le rejoint, le père revient avec du vin. La nuit avance, le huis clos se resserre. La fille dont l’alcool assouplit la haine, et le père ouvrant une autre bouteille, sortent par degrés de leurs postures. « Je me demandais si j’avais encore peur de toi », lui dit-elle. « Je demandais juste un peu de compassion », lui dit-il. Et quand la fille confesse avoir frappé tous ceux qui se sont approchés d’elle, le père poursuit : « tu sais bien d’où ça vient / Si tu es devenue ainsi / violente méchante froide et dure / nous savons bien pourquoi toi et moi / n’est-ce pas ? » Ce pourquoi gardera une bonne part de son mystère. Au bout de la nuit, la fille appellera son père « papa » pour la première fois. Elle le touche enfin. Lui, endormi, inconscient, semble comme un enfant enfin apaisé entre les bras de sa fille comme soulagée, douce enfin, elle l’aide à finir ce qu’il a commencé. Belle pièce, magnifiquement interprétée et bien accompagnée (au décor : Camille Allain-Dulondel, au son : Margaux Robin, aux lumières : Julien Dubuc).

J’en viens à l’autre face de la première image du spectacle décrite plus haut, celle de deux êtres qui vouent leur vie au théâtre. L’homme, l’acteur âgé, Olivier Perrier, et la femme, beaucoup plus jeune, l’autrice-actrice-directrice Carole Thibaut qui pourrait être sa fille et dont elle a, de fait, hérité.

De Hérisson à Montluçon

En venant à Montluçon, j’ai emprunté les petites routes départementales pour passer par Hérisson où je n’étais jamais venu qu’en été. Le village où est né et a grandi Olivier Perrier, le village où il est revenu, après, entre autres, un film avec René Allio, Les Camisards, un compagnonnage avec la Compagnie Vincent-Jourdheuil et les débuts de Brook aux Bouffes du nord. Il y est revenu pour y créer son premier spectacle personnel avec une vache charolaise et un cheval de trait, Les Mémoires d’un bonhomme (qui, la saison suivante, devait être à l’affiche du Festival d’automne), beau spectacle, suivi par beaucoup d’autres au fil des années, toujours avec la musique de Sylvain Gaudelette et souvent avec l’accompagnement d’acteurs amateurs de la région. Parmi ces spectacles, un inoubliable Honte à l’humanité avec la truie Bibi et ses amis Jean-Paul Wenzel et Jean-Louis Hourdin.

Ensemble, les trois lascars allaient former les Fédérés et animer chaque été les « Rencontres d’Hérisson », un anti-festival qui, risquant d’être victime de son succès, préféra se saborder après quelques années par un dernier et mémorable spectacle au bord de l’Aumance. C’est ce trio de potes que l’adjoint à la culture de Montluçon de l’époque, Jacky Flouzat, vient voir pour leur proposer d’inventer et de diriger un théâtre à Montluçon, à moins de trente kilomètres d’Hérisson. « On n’était pas chaud, on se méfiait des institutions », se souvient Perrier. Mais ils ont été séduits par le lieu, un ancien site industriel, et par l’architecte qui leur a dit : « Montluçon est une ville de l’Allier de 50 000 habitants [aujourd’hui 35 000], il faut faire un théâtre pour le prix d’une école, pas plus. » Ainsi est né le Théâtre des Ilets, « centre national de création théâtrale », que les Fédérés ont inauguré et qui est devenu par la suite et grâce à eux, un CDN.

Puis ils ont passé la main à la fin de la saison 2002-2003 (lire ici). Hourdin est reparti en Bourgogne et devait, suite à un héritage, acheter la maison de Jacques Copeau à Pernand-Vergelesses et en faire un lieu de théâtre et de rencontres. Wenzel, lui, vient de s’installer avec sa fille Lou Wenzel à Cosne-sur-Loire dans le département voisin, la Nièvre. Ils y ont inauguré leur théâtre, le Hangar, dans un ancien garage (lire ici). Perrier est revenu à Hérisson, dans le Bourbonnais. La veine du théâtre avec bestiaux s’étant tarie, il s’est mis, un temps, à fabriquer du hedgehog (hérisson en anglais), un whisky, dans la distillerie Balthazar (nom d’un personnage qu’il jouait dans un spectacle de Jean-François Peyret). Et, tout en poursuivant ici et là sa vie d’acteur, Perrier s’est occupé du Cube, un lieu de répétition en plein champ à côté d’Hérisson, aujourd’hui repris par l’ami Pierre Meunier, l’un des artistes installés dans la région.

En prenant la direction du Théâtre des Ilets, Carole Thibaut a hérité de cette histoire. Et quand elle a eu la bonne idée de remettre en selle sa pièce Faut-il laisser les vieux pères... écrite il y a douze ans, pour le personnage du vieux père, elle a très vite pensé à Olivier Perrier. Ils ont lu la pièce ensemble. Il a dit oui. Il ne ne regrette pas. Nous non plus. Et Carole Thibaut encore moins. Elle, toute en raideurs, lui tout en courbes. Elle jouant à l’excès la fille sèche et cinglante pour conjurer sa peur. Lui jouant à fond le vieillard roublard mais fragile, buvant pour cacher son effroi à l’idée de mourir seul... Carole et Olivier. Une belle rencontre.

Spectacle vu au Théâtre des Ilets en novembre 2020 pendant le confinement devant un « public restreint » (personnel, journalistes, professionnels). Le spectacle devait être créé  aux Ilets en décembre, il a été repris hier et le sera aujourd'hui  devant un même "public restreint".  Pour l'heure on ne sait pas quand le "public"   pourra voir ce spectacle. Dans trois mois, dans un an? Jamais?  'La pièce est publiée aux éditions Lansman.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte