
Lorsqu’elle a créé et joué (avec d’autres) sa précédente pièce Le massacre du printemps (lire ici), Elsa Granat était enceinte. Elle évoquait ses parents qu’elle venait de perdre l’un et l’autre d’un cancer. Eux sont partis sans connaître l’enfant qui allait naître et Elsa Granat ne verrait pas, elle, vieillir ses parents. Il y avait là comme un manque et une perte que viennent aujourd’hui compenser et renverser en simulacre, une fiction, celle de sa nouvelle pièce King Lear syndrome ou les mal élevés. On y retrouve Antony Cochin, Clara Guipont, Edith Proust et Hélène Rencurel qui étaient déjà dans la distribution du précédent spectacle. C’est la première fois que la metteuse en scène, autrice et actrice Elsa Granat travaille à partir d’un texte classique, Le roi Lear de Shakespeare, mais c’est pour mieux le détourner. « C’est un jardin dans lequel je vais biner » dit-elle.
Ce qui l’intéresse d’abord c’est la vieillesse. Celle de Lear ( impressionnant Laurent Huon) mais aussi celle de Gloucester devenu madame Gloucester ( Bernadette le Saché, phénoménale). Des personnages meurtris par la vie et au bord de la lassitude. Un acteur et une actrice qui ont une longue carrière derrière eux. Tous plus près de la fin que du commencement. Et ce qu’ils laissent derrière eux : leurs enfants, les rôles qu’ils ont joué. Laurent Huon arpente les scènes depuis bientôt un demi-siècle. Bernadette Le Saché qui a joué sur toutes les grandes scènes de Paris et d’ailleurs. C’est elle qui ouvre le bal en se souvenant du début de la Mouette de Tchekhov, ce ce théâtre précaire au bord du lac. Autant elle est fluette, autant il est massif. Le fou de Shakespeare disparaît mais la folie est partout. Dans ce père qui ne reconnaît pas la plus jeune de ses filles (Cordélia) puis fait un AVC au mariage de cette dernière avec le roi de France (Lucas Bonifait, l’un des fondateurs de la Loge, aujourd’hui directeur du Théâtre 13), dans Gloucester qui confond ses deux fils et nous rejoue la scène fameuse de la falaise. Après l'AVC et diverses incartades, de leur père, Goneril et Regane, ses filles aînées,, décident e mettre Lear en maison de retraite, un EHPAD où un neurologue diagnostique chez le vieil homme un KLS ( King Lear Syndrome).
Dés lors le spectacle bascule dans cet univers renforcé par la présence en scène d’une poignée de comédiens amateurs très âges dont on peut penser que certains vivent effectivement dans une maison de retraite. Leur présence créant ainsi un trouble, un tremblement qui fortifie le spectacle sans que ce dernier ne tombe jamais dans le voyeurisme ou la caricature. Au contraire, il y acquiert un surcroît de vitalité. Tous se retrouvent devant la télé à l’heure des jeux et plus tard, lors d’une d’une soirée festive en costumes d’époque avec des ballons, on les voit retomber avec joie en enfance.
Survient l’inéluctable : Lear, à bout de forces, se meurt entouré des siens et du personnel médical de l’établissement.Mais il revient saluer avec ses camarades et les vieux comédiens amateurs, tous parés de costumes d’autrefois. Le théâtre est, lui, increvable et Elsa Granat sait le maintenir en équilibre au dessus des gouffres.
King Lear Syndrome ou les mal élevés, Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, jusqu’au 4 février. Puis les 23 et 24 mars à Limoges au Théâtre de l’Union, les 29 et 20 mars aux Ilets CDN de Montluçon et le 8 avril au Théâtre des sources de Fontenay-aux-roses