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Billet de blog 21 septembre 2015

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Daria Deflorian et Antonio Tagliarini : le théâtre est-il un acte désespéré ?

Le roman d’un spectateur est fait de hasards dictés par la programmation. Il en est d’heureux.

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Illustration 1
© Elisabeth Carecchio

C’est ainsi que je suis passé avec ravissement de Battlefield de Peter Brook (lire ici) qui revisite l’immense et millénaire Mahabharata à Ce ne andiamo per non darui altre preoccupazioni mis en scène par Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, spectacle qui nous plonge en apnée dans la Grèce d’aujourd’hui étranglée par la dette.

Dehors et dedans

Les deux spectacles durent environ une heure, leurs titres en langue originale – en traduction cela donne Champ de bataille et Nous partons pour ne plus vous donner de soucis – reprend la langue de leurs interprètes, dont le nombre est le même : quatre. Les deux spectacles se passent de décors pour s’en tenir à quelques éléments fonctionnels (bâton, table, chaises) tout en accordant une place à quelques rares accessoires (ici un châle, là une bouteille de vodka). Ces ressemblances formelles ne sont rien devant l’essentiel : leur commune façon d’aborder l’histoire et les personnages, à la fois dedans et dehors. « Nous entrons et nous sortons du personnage tout le temps et ce mélange entre les différentes dimensions est toujours présent dans les dialogues, même à l’intérieur d’une même phrase », explique Daria Deflorian.

C’est une façon de faire du théâtre aujourd’hui, que l’on pourrait appeler du théâtre à mains nues, qui s’impose en de multiples variantes identitaires et va de Brook au tg STAN en passant par des groupes nombreux, comme celui de ces deux Italiens que le Festival d’automne nous fait découvrir. Ils présenteront en octobre un second spectacle.

L’acteur, dépourvu de maquillage ostentatoire, qu’il incarne (plus ou moins) un personnage ou pas, reste un acteur et s’affirme comme tel dans un jeu avec les spectateurs, dans une façon d’être sans faux col devant eux, de s’interroger devant nous sur ce qu’il est en train de faire. Cela va du rire aux larmes.

Daria Deflorian et Antonio Tagliarini sont partis d’un fait divers : quatre vieilles femmes grecques, retraitées et sans famille (« ni enfants, ni chiens ») décident d’alléger du poids de leur existence un Etat endetté jusqu’à la gorge et une société en manque de tout, pour lesquels elles sont une charge désormais trop lourde. Alors elles avalent des médicaments, s’allongent, font un dernier rêve peut-être dont on ne saura rien, meurent et ainsi débarrassent le plancher.

Fragiles et humbles

Ce fait divers plausible est sorti d’un roman de Pétros Markaris, Le Justicier d’Athènes (traduit par M.Volkovitch, « Points », Seuil, 2014). Qui sont ces femmes ? C’est une des questions que pose le spectacle, prise en charge par deux actrices et deux acteurs dont les deux metteurs en scène. Mais plus encore, Daria et Antonio retournent la question : qui suis-je pour représenter cela ? Où est ma place ? Qu’est-ce qu’un théâtre qui se tiendrait hors de tout réel ou qui ferait du « théâââtre » avec ça ? D’ailleurs, ces femmes, dans leur geste collectif et ultime, ne se donnent-elles pas déjà en spectacle ? Le théâtre n’est-il pas aussi un acte désespéré ? Où est la limite, la frontière ?

Les réponses sont fragiles, humbles. Quand le théâtre revient avec ses gros sabots (le début pirandellien, la fin qui met lourdement en place un effet de théâtre), le spectacle entre en contraction avec lui-même. Daria Deflorian et Antonio Tagliarini jouent habituellement en tandem. Faute de vouloir ou pouvoir se dédoubler, ils ont engagé deux autres acteurs. Ce derniers ne sont pas en cause mais cela déséquilibre leur façon habituelle de travailler en tête-à-tête ; qui sera à l’œuvre, fin octobre, dans Reality.

Ce ne andiamo per non darui altre preoccupazioni, Théâtre de la Colline, dans le cadre du Festival d’automne, mar 21h, du mer au sam 20h, dim 16h (et 18h le 27). Jusqu’au 27 septembre.

Reality, même lieu, du mer au sam 19h, dim 18h30, du 30 sept au 11 octobre.

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