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Billet de blog 25 janvier 2017

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«L’Homme de Hus» de Camille Boitel : un spectacle formidablement catastrophique

En reprenant « L’Homme de Hus », le spectacle qui l’a fait connaître, Camille Boitel révise le premier chapitre de son anthologie du ratage, de la chute, etc. Moins ça marche, plus on marche. Vous avez dit burlesque ?

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Illustration 1
Scène de "L'Homme de Hus" © Olivier Chambrial

Dans un halo de lumière, un homme pieds nus en chemise de nuit veut une chose très simple : disposer une table, une chaise, s’asseoir sur la chaise et… Et rien ne se passe comme prévu. Tout devient très compliqué car la chaise pliante se déplie, se replie, devient un piège pour les bras, les jambes, la tête de l’homme insomniaque. La table, pas en reste, ne tient pas en place et quand l’homme coiffé comme une sorcière est sur le point d’arriver à s’asseoir enfin, tout s’écroule. C’est ainsi que commence L’Homme de Hus, le spectacle, follement burlesque, qui avait signé la naissance publique de l’artiste Camille Boitel il y a presque quinze ans.

 Des spectacles forts en calamiteux

Il reprend aujourd’hui ce spectacle, comme un point d’orgue, un retour à la source, une façon de faire le point et tout autant de faire découvrir ce spectacle à un public qui ne l’avait pas vu à sa création ou qui était trop jeune. Boitel le reprend là où il l’avait créé en 2003 : au Théâtre de la Cité internationale (TCI) alors dirigé par Nicole Gautier. Après Tokyo et Foix, voici L’Homme de Hus de passage au bercail avant de repartir en tournée.

C’est dans ce même TCI que l’on avait pu voir ensuite L’Immédiat (en 2009 puis 2012), un spectacle où plusieurs personnages évoluaient dans un intérieur bric-à-brac où rien ne tenait debout, où tout s’écroulait tout le temps, où les corps étaient comme assujettis au monde des objets, victimes keatoniennes de leur déglingue. Dans Le Cabaret calamiteux (en janvier 2014, toujours au TCI), comme le titre l’indique, on retrouvait un univers où tout vacille, vrille, rate, s’écroule. Boitel y ajoutait un paramètre supplémentaire, les spectateurs hommes étaient tenus de s’habiller en femme (on parlait beaucoup de parité), des vêtements étaient proposés à l’entrée de la salle sur des cintres. Je me souviens avoir vu le spectacle revêtu d’une robe rose décolleté dans le dos et d’avoir improvisé un selfie avec NKM (alors en campagne pour les municipales) venue s’asseoir tardivement au premier rang en jean et blouson de cuir, très djeun’ (lire et voir ici).

Comment qualifier ce que fait Camille Boitel ? Nouveau cirque ? Performance ? Théâtre d’objet ? Quand on lui pose cette triple question (voir sur le site de Siparhasard qui s’occupe de ses tournées), Boitel ouvre la bouche en nous regardant mais ne dit mot, à la fin le monde s’écroule sur sa tête. Quand on lui demande (même source) ce qu’est L’Homme de Hus, il n’en dit pas plus durant 26 secondes et finit pas tomber à la renverse.

« Rien à expliquer, rien

à expliciter

»

Dans le dossier de presse accompagnant la reprise de L’Homme de Hus, Boitel lâche tout de même quelques phrases à l’intention des spectateurs : « mon rêve est de me taire, mais je voudrais que vous soyez là, je suis encore trop fragile pour me taire, alors je réponds à des questions et à des demandes, mais L’Homme de Hus n’a rien à dire, n’a rien à expliquer, n’a rien à expliciter, il a lieu, il parle de lui-même, et son langage n’est pas fait de mots, mais de ce tissage qu’il faut vivre avec sa présence, j’attends de pouvoir me taire, d’avoir cette force magique qui fait que vous veniez sans avoir eu besoin de ne rien savoir. » On ne saurait mieux dire.

Alors n’en disons pas grand-chose. Précisons toutefois que la plus grande partie du spectacle se résume à une histoire de tréteaux. Hus, c’est l’abri, la maison (dans les vieilles langues nordiques) et dans le choix restreint des premières maisons construites par l’homme figure en bonne place la tente triangulaire et son ossature en forme de tréteau. Le tréteau, qui va par paire comme les amoureux, est un objet cher à tous les ouvriers du bâtiment et aux gens de théâtre.

A la fin du XIXe siècle, dans son Dictionnaire historique et pittoresque du théâtre et des arts qui s’y rattachent (Firmin Didot, 1885), Arthur Pougin définit les tréteaux comme l’attribut des saltimbanques de foire qu’ils disposent devant leur baraque pour des parades destinées à attirer le public. Les mots saltimbanques et parades conviennent bien à Camille Boitel et à quelques-uns de ses pairs comme Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel actuellement à l’affiche (lire ici). Au XXe siècle, le cinéma burlesque allait y ajouter son obole faite de rythmes et d’accidents de la vie (on y voit souvent les héros se cogner contre tout ce qui passe).

Camille Boitel et les autres ont en commun de puiser aux sources archaïques du cirque et du théâtre de foire, et de puiser tout autant dans le cinéma burlesque. Ces artistes inqualifiables rebondissent ailleurs en jonglant avec les objets du monde d’aujourd’hui. Chacun avec sa personnalité, ses lubies.

L’art de Boitel fonctionne volontiers par expansion, accumulation, encombrement. Un tréteau en appelle un autre, dix autres, cinquante autres, les voici entassés qui s’élèvent en hauteur pour mieux chuter. La chute est ici une forme de politesse.

Chez Boitel, comme chez Chaplin, l’homme tente de se tenir debout mais la chute est son destin Les tréteaux de L’Homme de Hus montent les uns sur les autres, font pile, échelle et accordéon, l’équilibre précaire ne dure pas, plus belle sera la chute. Un travail de Sisyphe. De l’amoncellement des tréteaux Boitel fait aussi un tas de Babel, une hutte hirsute. A cela succédera l’histoire d’un manteau anthracite dont il serait cruel de dire plus.

L’Homme de Hus, au Théâtre de la Cité internationale, lun, mar, ven 20h30, jeu et sam 19h30 jusqu’au 31 janvier ;

du 3 au 5 février au Bois de l’aune à Aix-en-Provence ;

du 1er au 10 juin au Théâtre Garonne à Toulouse.

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