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Billet de blog 25 octobre 2025

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Mathieu Coblentz met à nu « Le roi Lear »

Directeur et fondateur de la compagnie Théâtre Amer installée en Bretagne, Mathieu Coblentz ouvre une trilogie Shakespeare par l’un de ses sommets  : « Le roi Lear ». Une adaptation centrée autour du vieux roi, de plus en plus dépouillé, de plus en plus nu. Une mise en scène vive, alerte, au plus près des actrices et des acteurs, dans une nouvelle traduction

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Illustration 1
Scène du "Roilear" © dr

Ancien assistant de Jean Bellorini qu’il a accompagné récemment en Chine et naguère en Russie, Mathieu Coblentz a fondé sa compagnie, Le Théâtre Amer, installée dans un coin de France qui lui est cher : la Bretagne. Après avoir frayé avec divers auteurs contemporains, de Ray Bradbury (Fahrenheit 451, lire ici) à Robert Antelme (L’Espèce humaine, lire ici), le voici qui se lance dans une trilogie Shakespeare en commençant par Le Roi Lear, une pièce qui nécessite habituellement une distribution nombreuse, un jeu de décors imposant et un grand plateau. Or le Théâtre Amer le fait avec une distribution réduite, sur un plateau nullement imposant de la salle de répétitions du Théâtre du Soleil où le spectacle se donne à l’invitation d’Ariane Mnouchkine avec qui Mathieu Coblentz, qui est passé par le Soleil, a gardé des liens affectueux.

Ajoutons que Mathieu Coblentz travaille sur une nouvelle traduction commandée à Emmanuel Suarez, lequel, en accord avec le metteur en scène, adapte la pièce en gommant certains personnages et certaines scènes secondaires. La distribution réduite est donc joliment composite : Maud Gentien interprète à la fois Cordelia, la plus jeune fille de Lear et le Fou de ce dernier ; à Laure Pagès revient Gloucester et Goneril, l’une des deux filles aînées de Lear ; sa sœur Régane va à Camille Voitellier qui tient aussi le rôle d’Edgar ; Jo Zeugma va de France à Oswald et signe par ailleurs la musique du spectacle ; Julien Large interprète Kent ; Florent Chapellière, Edmond. Enfin, Florian Westerhoff tient le rôle écrasant de Lear, ce vieux roi qui veut léguer son pouvoir et son royaume à ses trois filles. N’oublions pas les costumes signés Patrick Cavalié, la simple et subtile scénographie et les lumières signées Vincent Lefèvre, lequel propose un espace à deux niveaux : au fond, à mi-hauteur, un castelet abrite les scènes d’intérieur ; devant s’étend une sombre lande terreuse où se déroulent de plus en plus de scènes au fil de l’errance de Lear et des autres.

Le spectacle commence directement par le nœud de la pièce : le partage du royaume entre les trois sœurs. « Laquelle d’entre vous peut dire qu’elle m’aime le plus ? » demande le vieux roi. Les deux aînées flattent leur père non sans arrière-pensées ; la troisième et la plus jeune, Cordélia, rétive aux faux-semblant, s’y refuse. « Mon amour à moi est plus riche que les mots », dit-elle. « Dégage ! » lui répond le roi dans la traduction de Suarez qui « actualise » à outrance certaines répliques comme, plus loin dans la même scène « La ferme, Kent » en lieu et place de « Silence Kent ». Il est d’autres exemples du même tonneau tout au long de la pièce, cependant le mérite de cette traduction est d’être très fluide.

Cordélia va disparaître avec son prétendant, le roi de France, elle reviendra plus tard, après que ses sœurs aînées se seront débarrassées du vieux roi qu’elles appellent « papa » chez Suarez et qu’elles se renvoient mutuellement (« Arrête ta comédie, Papa ! Et retourne chez ma sœur ! » dit Régane) avant de s’en débarrasser petit à petit pour mieux s’étriper entre elles pour des histoires de jalousie, de pouvoir et de vengeance. « Et vous, salopes contre nature ! Je vais vous préparer une vengeance...Une putain de vengeance », dit Lear en s’adressant à sa fille Regane, dans cette nouvelle traduction, là où un traducteur comme Desprats parle de « sorcières dénaturées ».

Cependant, malgré les aléas ponctuels de la traduction, le spectacle trouve sa force dans ce que met en avant la mise en scène : l’opposition entre les jeux de pouvoir des deux sœurs et de leur entourage avec ce qui s’ensuit de haine et d’horreurs, et le cheminement de Lear vers un dénuement total, perdant peu à peu ses parures jusqu’à apparaître au seuil de la mort « entièrement habillé d’herbes et de fleurs », serrant une dernière fois le cadavre de Cordelia entre ses bras avant de s’effondrer, mort. On a rarement vu un Lear comme celui que propose l’acteur Florian Westerhoff sous la direction de Mathieu Coblentz montrant, pas à pas, le chemin de croix sans dieu du personnage se défaisant volontairement des ors du pouvoir, se fourvoyant dans un partage qui le dupera lui-même, puis se grandissant dans l’errance et la reconnaissance de son aveuglement, se posant non en roi déchu mais en roi conscient de ses erreurs (« Pauvres ! Misérables ! Mendiants ! Indigents ! / Où que vous soyez ! / Vous qui affrontez nus cette tempête sans pitié, / qui va vous protéger dans vos pauvres masures, / vos maisons sans fenêtres, vos abris insalubres / Pourquoi est-ce que je ne me suis jamais soucié de vous ? » et finalement en père nu errant, retrouvant, mais trop tard, sa fille aimée, sa préférée, celle qu’il avait bannie et qu’il pleure avant de mourir d’épuisement et de chagrin à son tour.

On a beau revoir cette pièce pour la énième fois, la scène des yeux crevés de Gloucester (assez sobre présentement) et celle quasi finale de la mort quasi simultanée d’un père et de sa fille, nous chavire toujours. La sobriété mêlée d’humanité de la mise en scène et du jeu des actrices et des acteurs y sont pour beaucoup.

Théâtre du Soleil, Cartoucherie, 20h, jusqu’au 15 nov. Puis tournée: Centre culturel Athéna, Auray
le 29 nov,  L’Archipel de Fouesnant-les Glénan le 2 déc, héâtre du Pays de Morlaix les 4 et 5 décEspace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge 22 janvier,Espace Michel-Simon, Noisy-le-Grand le 29 janv,Théâtre du Champ au Roy, Guingamp les 2 et 3 fév,, Quai 9, Lanesterle 5 fév Centre culturel Fougères Agglomération le 10 fév, Théâtre de l’Arche, Tréguierle 12 fév, Théâtres de Saint-Malo les 12 et 13 mars, Le Quartz, Scène nationale de Brest, en partenariat avec La Maison du Théâtre du 5 au 7 mai

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