Soldat belge de deuxième classe, Marie Ernest Maurice Albert Libotte était marié à Annette Cornelis. Il disparaît le 14 septembre 1914, nulle tombe ne porte son nom. Sa présence traverse les écrits de sa veuve, Annette Libotte. Cette mort, cette absence, elle ne s’y résout pas. Il est là. Elle le croise dans la rue, il frappe à sa porte, elle lui écrit des poèmes d’amour. Mais ces écrits en langue éclatée, morcelée vont bien au-delà.
Deux blocs-notes, trois cent cinquante pages écrites entre 1941 et 1942 lorsqu’Annette Libotte est internée, volontairement, à l’hôpital de Schaerbeek en Belgique pour des hallucinations auditives. Ces carnets sont conservés au sein de la Collection de l’Art brut de Lausanne fondée par Jean Dubuffet. C’est là que Pascale Nandillon et Frédéric Tétart les ont consultés, retranscrits (à partir d’un premier travail effectué par Anne Beyers) et en ont fait une adaptation pour la scène. Après avoir exploré des écritures allant de Nijinski à Tarkos, d’August Stramm aux Vagues de Virginia Woolf (lire ici), ils poursuivent loin leur voyage dans les langues extrêmes. Car la voix d’Annette Libotte est des plus singulières.
Exemple : « Mon qer/ se mer et enp/ orte avec lui/ mon ame jusqu’au/ ten que nou nou/ qonestson enfen/ de l’au/ il i a des nuaje pour/ s’émé » (transcription : Mon cœur/ se meurt et emp-/ orte avec lui/ mon âme jusqu’au/ temps que nous nous/ connaissions enfant/ de l’eau/ il y a des nuages pour/ s’aimer).
Ou encore ceci, à lire et à dire : « un swar v/ibrante d’estpwar/ j’alest pouvwar/tenir se qe je swi/avestq mest miion/se jour la je me diz/est insenc é pren t/on qer ton or pour/un bézé/et je fu frapé/de se ten si je me/di si je/ne me déqlar je me/reffuseré toujour/l’amour je ch/anteré ».
L’acteur est nu face à une telle langue qui, parfois, part en vrille, touche des gouffres, engrange des visions, rédige une « déqlarasion de Qonestsans ». Annette parle aussi de couture. « Elle coud comme elle écrit » notent Nandillon et Tétart. Elle écrit comme elle respire. Et elle chante (« le/ plu bau tango du/ monde est sewi/ que je dense den tes/ bra... »).
Porter cette langue à la scène était une évidence et une nécessité pour Nandillon et Tétart qui animent la compagnie Hors Champ au Mans (où ils sont proches de la Fonderie). Mais comment ? En multipliant les axes, en développant simultanément les possibles, en articulant les tracés, les déflagrations. C’est ce qui constitue et rythme Annette (oratorio). Sur scène : une actrice, Sophie Pernette, une chanteuse, Juliette de Massy, et Frédéric Tétart à la création sonore. Ensemble, de concert, oui, de concert, ils font déferler, ruisseler jusqu’au chant, la langue incandescente d’Annette Libotte.
Créé à la Fonderie du Mans, Annette (Oratorio) se donne dans la salle des Quatre chemins (41, rue Lécuyer) du Théâtre de La Commune d’Aubervilliers jusqu’au 30 janv (soit ce dim 16h, mar et mer 19h30), puis au Grand Théâtre de Calais le 8 fév, au Théâtre des Quinconces-L’Espal du Mans les 10 et 11 mai, et sera à l’affiche du Lieu Unique (Nantes) à l’automne 2019.