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Après avoir fait son apprentissage au Berliner ensemble, puis fondé l’ensemble théâtral de Gennevilliers dans un lieu qui allait devenir un CDN, Bernard Sobel, a fini par laisser la place à de nouvelles générations-(dont il avait régulièrement invité les spectacles). Sans se retirer pour écrire ses mémoires, il a préféré resté sur la brèche puisque l’envie restait intacte et signer de nouvelles mises en scène, générées par une nécessité autant intérieure que sociale. Au cours de ce long périple il lui est arrivé de mettre en scène Molière dont, par deux fois, Tartuffe.
Ivo Van Hove, lui, a monté deux pièces de Molière en traduction, mais jamais Tartuffe, n’aimant pas le dernier acte, le jugeant par trop artificiel. Il a travaillé plusieurs fois à la Comédie Française et on l’y reverra. Pour cette « année Molière » (notre étendard national est né il y a quatre cents), le boss de la dite « Maison de Molière », Eric Ruf, lui a proposé de mettre en scène la première version reconstituée du Tartuffe en trois actes, celle primitive de « L’hypocrite » , et non celle de « L’imposteur » en cinq actes que nous connaissons. La première n’ pas été retrouvée puisque Molière comme Shakespeare n’a pas laissé de manuscrit, mais reconstituée par les méthodes sioux de la génétique théâtrale.
Dans son imposante et remarquable biographie de Molière (Gallimard), Georges Forestier consacre tout un chapitre à ce « premier Tartuffe » dont le titre, écrit-il « semble avoir été Tartuffe ou l’Hypocrite « . Pour la préparation des fêtes de Versailles, Molière avait soumis au Roi « son projet de petite comédie moquant ces adversaires de la religion du plaisir qu’étaient les dévots » note Forestier. Les trois actes de Tartuffe ou l’hypocrite furent donc représentés à Versailles après Les Fâcheux et avant Le Mariage forcé. Molière jouait Orgon (aujourd’hui Denis Podalydès), Du Croisy Tartuffe (Christophe Montenez), Elmire, Melle Molière (Marina Hands) « nouvelle vedette de la troupe ». Forestier ajoute que Madeleine Béjart jouait Dorine (Dominique Blanc) rôle de peu d’importance dans cette première version. Quand à la vieille bigote, Mme Pernelle, elle était jouée en traversti par Louis Béjart, le rôle est interprété aujourd’hui par Claude Mathieu, la doyenne de la troupe.
Si la comédie aigre-douce voire cinglante primait chez Molière, ce n’est pas l’option prise aujourd’hui par Ivo von Hove qui noircit à gogo le tableau, faisant de Tartuffe un SDF crasseux qu’Orgon va ramener chez lui et, après un bain purificateur, entrera dans soncostume . Quand à Madame Pernelle, dans laquelle Molière peint une vieille bigotte, Ivo Von Hove en fait une femme de tête et l’un des pivots de sa version réaliste en costumes bourges vaguement d’aujourd’hui, la fin du spectacle prenant l’aspect d’un enterrement lugubre, pendant du bain du premier acte.
Parfois Ivo Van Hove propose une solution astucieuse comme pour la fameuse scène de la table (la scène existait déjà dans la première version). Le plus souvent, il apparaît pesant et insistant en se croyant obligé d’enrober sa mise en scène par un fatras de mouvements scéniques des éléments du décor (cela n’arrête pas de monter et de descendre) qui entendent faire de l’épate , par des ruptures sonores genre « boum » et par un lancinant et assommant accompagnement musical comme s’il fallait à tout prix combler les trous entre deux répliques ou deux soupirs. Voilà un metteure en scène qui met en avant son bazar scénique au détriment de la subtilité du jeu. Regrettons que le spectacle n’ait pas été l’occasion pour publier cette passionnante première version de Tartuffe en trois actes, restituée par Georges Forestier avec la complicité d’Isabelle Grellet.
Bernard Sobel, lui, avait déjà travaillé sur quelques pages du Château, roman inachevé de Kafka, celles où il est question du Secret d’Amalia . Il en avait résulté un spectacle présenté il y a deux ans (lire ici). Ce spectacle revient aujourd’hui revient en première partie d’un nouveau spectacle consacré à des pages d’’Empédocle Hölderlin . On retrouve, avec bonheur, les mêmes actrices et acteurs:Valentine Catzéflis, Arthur Daniel, Mathieu Marie, Mathilde Marsan. Sobel s’en tient à la troisième version d’Empédocle et a travaillé sur les différentes traductions du texte (dont celle de Jean Pierre Lefebvre), pour composer celle du spectacle.
Empédocle veut dire adieu à Pausanias et au monde. « Raconte à toi-même ce qui te plaît/Pour moi ce qui est passé n’est plus » dit le maître à l’élève. « Il faut que tu le saches, je ne t’ appartiens pas/ Et tu ne m’appartiens pas et tes chemins/Ne sont pas les miens ; pour moi ça fleurit ailleurs » complète-t-il, « Pour moi convient l’abri de silence vaste sur les hauteurs ». Et au bout, le gouffre de l’Etna . Que l’on imagine interrogeant les ombres comme le fait une salle de théâtre quand seule y veille la servante.
A travers Kafka et aujourd’hui Hölderlin, Bernard Sobel poursuit son dialogue avec le monde mais un peu comme à l’écart, via des paroles d’écrivains, philosophes et poètes dont les comédiens sont des messagers et lui le vieux confident. Un monde neuf ?
Tartuffe ou l’hypocrite , en alternance à la Comédie-Francaise jusqu’au 24 avril, à 14h ou20h. En juin au Festival de Fourvière à Lyon. Le spectacle a été capté par Pathé live le 15 janvier dernier, captation disponible en rediffusion dans plus de 200 salle de cinéma à partir du 6 février, à20h.
Kafka / Hölderlin (Le secret d’Amalia, Empédocle), au Cent (100 rue de Charenton Paris 75012. Jusqu’au 29 jan, puis les 5, 10, 11, 12 fév