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Au milieu de la pièce Le roi nu, le cuisinier du roi explique en chuchotant à Henri (amoureux de la princesse promise en mariage au roi) qu’un jour est venue « la mode » « de brûler les livres sur les places publiques. Pendant trois jours ils ont brûlé les livres qui étaient réellement dangereux . Mais la mode n’a pas passé. Là, ils se sont mis à brûler tous les livres, sans distinction. Maintenant les livres il n’y en a plus du tout. On brûle de la paille ». La pièce date de 1934. On pense, bien sûr, aux bûchers de livres dans l’Allemagne nazi à l’époque. Mais pas seulement, tout comme l’auteur. En voyant la pièce aujourd’hui, on pense à la façon dont bien des dirigeants, de Poutine à Trump, n’ont de cesse de tout contrôler et de nuire d’une façon ou d’une autre à ceux qui entravent ou contestent leur chemin.
En son temps, la pièce de Schwartz ne fut pas mise en scène par ordre du Kremlin (mort en 1058 à 61 ans d’une crise cardiaque, il ne la verra jamais sa pièce montée dans un théâtre). En Russie, en 1934, le roi Staline et ses proches, serviles serviteurs, se méfiaient des écrivains qui n’obéissaient par à la ligne du réalisme socialiste. La pièce Le Roi nu en est loin : elle mêle et emberlificote trois contes d’Andersen : La Princesse et le porcher, La Princesse au Petit Pois et Les habits neufs de l’empereur. et les lectures biaisées vont bon train.
Henri le porcher (Mikael-Don Giancari) est amoureux de la princesse Henriette (Hélène Rimenaid) promise au roi tyrannique entouré de conseillers, coutisan.e.s et premier ministre (Jacques Courtot) prêts à obéir aux ordres les plus absurdes ou les plus sanguinaires.Au premier regard d’Henri, la princesse, promise au roi, en tombe amoureuse. Henri et son ami Christian (Maël Besnard) vont inventer des tas de stratagèmes pour ruiner le futur mariage royal. Ils s’arrangeront pour devenir les couturiers du roi et lui concocter une tenue de mariage faite de tissus si transparents qu’ils sont inexistants, une tenue si magnifique, assurent-ils au tyran, que lui seul peut voir. De fait, il est nu. Et ridicule. La foule exulte.
Loin des longues énumérations novariniennes dont il est passé maître, voici le formidable Manuel Le Lièvre faisant merveille dans ce rôle de roi aussi autoritaire et sanguinaire que bouffon de lui-même. Il est le moteur, le meneur d’une distribution mêlant astucieusement des professionnels et des amateurs de longue ou fraîche date. Outre une mise en scène enlevée, Sylvain Maurice signe également une scénographie simple, mouvante et efficace. Il a su également s’entourer de très bons collaborateurs : Laurent Grais et Dayan Korolic pour la composition musicale live, Rodolphe Martin à la lumière, Fanny Brouste aux costumes. A leurs côtés, Benoît Colardelle, le directeur technique du théâtre, Alban Thiebaut à la régie générale , Alain Deroo à la régie générale et leurs équipes sont aux taquets.
Au début du spectacle, le public est accueilli au fond de la scène par ce qui lui-est habituellement longtemps caché: le paysage d’un pente herbeuse bordée d’arbres, le symbole même du Théâtre du peuple, son inépuisable ravissement. Le fond de scène se referme et la pièce commence. Il se rouvrira à l’heure du dénouement pour voir le roi nu (excepté un petit caleçon couleur or) descendre la colline herbeuse et entrer sur le plateau. Merveilleux moment. On croirait la pièce écrite pour le Théâtre du peuple de Bussang, bon signe.
Julie Delille dirige le Théâtre du peuple depuis 2023, première femme à occuper ce poste. Elle y habite à l’année (contrairement à la plupart de ses récents prédécesseurs) et entend faire vivre le Théâtre du peuple chaque saison et non seulement les seuls mois de juillet et août. Et ainsi rendre concrète, hiver comme été, la devise de Maurice Pottecher inscrite au fronton du théâtre : « par l’art, pour l’humanité ». Qui sait, tombera-t-elle peut-être un jour sur une pièce de cet auteur prolixe qui n’aura pas vieillie et y trouvera de surprenants atours. En attendant, après enquête auprès des habitants et en fouillant dans les livres et les archives du Théâtre du peuple,sous le titre Hériter des brumes, un feuilleton théâtral en six épisodes raconte l’histoire de cette aventure probablement unique au monde. Julie Delille met en scène ce feuilleton écrit par Alix Fournier-Pittaluga et Paul Francesconi, la scénographie et les costumes sont signés Clémence Delille (sortie il y a quelques années de l’école du TNS alors que sa sœur aînée Julie, quelques années auparavant érait sortie, elle, de l’école de Saint Etienne). Julien Lepreux qui assure la création musicale de ce spectacle proposera également sous le titre Rouge gazon une soirée uniquement musicale dans différents lieux de Bussang.
Last but not least, après le spectacle traditionnel de 15h (heure dû naguère, dit-on, aux horaires de trains permettant, aux parisiens de faire l’aller-retour dans un laps de temps limité, ce qui n’est plus guère le cas aujourd’hui depuis la fin des trains de nuit), Julie Delille aussi actrice que metteuse en scène et donc directrice de théâtre, assure le spectacle du soir en reprenant son spectacle Je suis la bête où elle est seule en scène (mais c’est tout sauf un « seul.e en scène »), fabuleux spectacle (lire ici) d’après un livre d’Anne Sibran laquelle, un soir, viendra à Bussang converser avec les spectateurs.
Quel beau programme !
Le roi nu, les jeu, ven, sam et dim à 15h jusqu’au 30 août
Je suis la bête, les jeu, ven et sam 21H du Ier au 30 août
Hériter des brumes du 20 au 30 août, les mer, jeu, ven, sam et dim , intégrale des 5 épisodes les mer 20 (11-19h), dim 24 (10-22h, mer 27 (11h-19h), un épisode par jour les autres jours de 11h à-13h
Rouge Gazon, concert de 15h à la tombée de la nuit le 31 août