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Il y a deux ans, à la Comédie de Valence puis à Paris, on découvrait Liliane et Paul, les héros de Nos paysages mineurs (lire ici). Liliane n’avait pas trente ans, Paul en avait dix de plus. Ils s’étaient rencontrés dans un train au milieu des années 70, retrouvés dans un autre. Lui, professeur de philosophie et écrivain à succès, elle fille du peuple du nord, shampouineuse et féministe en herbe. Dans un roman, La jeune femme dans le train, Paul avait raconté, à sa façon, leur histoire, le livre avait eu du succès mais c’était trop pour Liliane. Dans un train, il veut l’embrasser, elle le repousse. Fin de leur histoire ? Marc Lainé n’aime rien tant que les histoires qui n’en finissent pas.
Dans En finir avec leur histoire, on retrouve Liliane et Paul, au début des années 90. Liliane élève seul Martin, l’enfant dont elle était enceinte lorsque Paul et elle se sont quittés, mal (deux ans de procès). Elle n’a pas refait sa vie avec un autre homme mais elle est devenue prof de philo, depuis peu elle a les cheveux courts comme elle les avait autrefois lorsqu’elle avait rencontré Paul dans un train. Paul est aujourd’hui un homme largué. Par la femme avec laquelle il vivait la veille encore, par son éditeur qui ne veut plus publier ses livres devenus mauvais et se moque de son obsession : « la lutte des classes au sein du couple ». Flamboyant et riche lorsqu’il avait eu le Goncourt, il est aujourd’hui couvert de dettes et peine à payer la pension alimentaire pour son fils.
Liliane et Paul n’ont plus vingt ans ni même trente ans depuis longtemps. Paul rôde dans le quartier de Liliane, il la voit marcher dans la rue, la suit, tombe immédiatement amoureux de cette « inconnue » qu’il connaît bien. Il l’aborde, ils marchent, marchent (scénographie aussi simple qu’astucieuse de Marc Lainé).
Tout le passif de leur ex vie de couple et ce qui s’en suivit revient sur le tapis. Le livre où il a raconté leur histoire qui lui a rapporté beaucoup d’argent et dans lequel Liliane a vu « une fable cynique et destructrice » qui a failli la rendre « folle ». Paul la remet devant son choix de garder l’enfant alors qu’ils venaient de se séparer : « en faisant ce choix, tu savais que je ne pouvais plus disparaître de ta vie ». L’homme largué se love dans un retour de flamme (jamais tout à faite éteinte) qu’il croit, à tort, partagé, le temps d’un baiser aussi revival que furtif. Instinctivement, Liliane se replie comme une huître : elle ne veut plus être à nouveau sous l'emprise de Paul, elle a gagné son indépendance, elle est devenue forte et Paul un faible. Martin, quinze ans, siffle la fin de cet étrange moment. Une fois de plus, Marc Lainé joue admirablement la partition des désarrois amoureux.
Les deux pièces sont jouées, l’une après l’autre séparées par un entracte où le temps passe. Pour les deux comédiens c’est une expérience peu ordinaire que de vieillir ainsi à vue. L’acteur Vladislav Gallard et l’actrice Adeline Guillot sont tout simplement prodigieux. Dans les deux spectacles, le violoncelle de Vincent Segal est comme un baume caressant leurs émois et notre émotion. Fin de cette histoire ? Pas sûr. Et si...
Diptyque Nos paysages mineurs et En finir avec leur histoire à la MC93 de Bobigny jusqu’au 4 fév, puis à la scène nationale de Malakoff le 9 fév, à la Filature de Mulhouse le 16 fév et au CDN de Besançon les 15 et 16 mai. .
Les deux textes sont publiés ensemble aux Éditions Actes Sud-Papiers, 88p, 13€