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Billet de blog 29 septembre 2021

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Ciné-théâtre (1) : la réussite de Marc Lainé

L’usage des caméras sur un scène de théâtre est devenu habituel. Le ciné-théâtre systématise cet usage d’un bout à l’autre de la représentation. Pour le meilleur et pour le pire. Commençons par le meilleur : « Nos paysages mineurs », ciné-théâtre écrit et mis en scène par Marc Lainé.

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Illustration 1
Scène de "Nos paysages mineurs" © Simon Gosselin

Marc Lainé, directeur du CDN de Valence, aime les histoires et les voyages. C’est pourquoi les personnages de ses pièces vagabondent. Y compris dans le temps. Souvent, ils cherchent ailleurs ce qu’ils croient ne pas pouvoir trouver ici. Ils doutent des lignes droites, affectionnent le sentiers qui bifurquent, les sens interdits, le hasard. Partir les rassurent. Les voyages et les moyens de transport (voiture, train, avion, marche, etc) font partie de leur ADN, ils satisfont leur goût de l’inconnu, de l’imprévisible, de la rencontre. Cependant, si les romans n’ont besoin que de mots pour voyager, il n’en va pas de même au théâtre qui, fort de sa multiplicité, a besoin d’espaces, voire de véhicules, on se souvient de la voiture de Vanisage point, l’un des précédents spectacles de Marc Lainé (lire ici). Bien sûr, il a d’abord besoin d’actrices et d’acteurs, ces agents de voyage.

Rien d’étonnant à ce que cela soit dans un train que tout se passe dans sa nouvelle pièce Nos paysages mineurs. Mieux: tout se passe dans un compartiment. Mieux encore : sans quitter ce compartiment, ce sont les années qui passent, sept ans, le temps d’une aventure entre un homme et une femme. Non pas aujourd’hui mais entre 1969 (un an après mai 1968) et 1976 (l’année de naissance de Marc Lainé) , un temps où existaient encore des compartiments fumeurs. Lainé ne déteste pas la nostalgie, le rétroviseur du temps. Tout en utilisant intensément et astucieusement une batterie de caméras  mais aussi  de la musique live.

Ajoutons, ce qui ajoute au charme du spectacle que Nos paysages mineurs se donne dans les cadre de la Comédie itinérante dans les villages de la Drôme et de l’Ardèche. Une initiative de Philippe Delaigue, premier directeur de la Comédie de Valence, qui a la vie dure puisque tous ceux qui lui ont succédé à la tête du CDN de Valence se sont empressés, avec raison, de la perpétuer.

Donc, dans un compartiment de train presque vide, en 1969, une jeune femme assise près de la vitre regarde le paysage. Entre un homme plus âgé qu’elle. Il s’assoit sur l’autre banquette, près de la portière coulissante, ouvre un livre : Un homme qui dort de Georges Perec (paru deux ans auparavant). Bientôt il lorgne vers la jeune femme, fasciné par ce qu’il nomme son « sourire ». Il finit par rompre le silence, se rapproche. Première ellipse.

On retrouve Liliane et Paul au même endroit un jour de l’année suivante dans ce train qui relie Paris à Saint Quentin dans le Nord. Elle, toujours près de la vitre où défile le même paysage que Paul, qui a lu Deleuze, qualifiera de « mineur » mais qui fait rêver Liliane. Lui, le professeur de philosophie à Saint Quentin, mais aussi l’écrivain bientôt lauréat du prix Renaudot (Perec l’ayant eu en 1965 pour Les choses). Elle, dont les parents modestes habitent dans le Nord, moins éduquée mais plus douée pour la beauté des choses à commencer pour celle des paysages qu’elle voit défiler à la fenêtre du compartiement.

Très intello macho aux idées probablement progressistes, Paul entend la dominer comme si c’était dans l’ordre des choses. Féministe sans le savoir puis en le revendiquant, Liliane se rebiffe. Elle le traite de « phallocrate », il la gifle, etc. Ils se séparent ou plutôt elle le quitte, prend seule le train, il la rattrape. Pour en finir ou pour mieux la posséder il dit vouloir l’aider financièrement et surtout écrire un livre qui raconterait en la brodant l’ histoire de Liliane. Elle le fout à la porte du compartiment. Paul rejoint le violoncelliste -belle présence et bel accompagnement de Vincent Ségal durant tout le voyage -il joue avec lui. Entre hommes. Une histoire des années 70.

Le spectacle doit beaucoup à la qualité des interprètes, Adeline Guillot (qui était dans Saïgon de Caroline Guiela Nguyen et, par exemple, étai aussi tdans Salle d’attente sous la direction de Krystian Lupa) et Vladislav Galard ( compagnonnage soutenu avec Jeanne Candel et Samuel Achache d’un côté , avec Sylvain Creuzevault de l’autre). La scénographie (qu’il signe), est toujours l’un des points forts des spectacles de Marc Lainé. Celle-ci multiplie les plans et les focales (compartiment d’un côté, minuscule train électrique sur rails de l’autre), plusieurs écrans et plusieurs caméras multiplient les angles de prises de vues et de sons dans le compartiment, façonnant un heureux équilibre dans le regard du spectateur entre théâtre et cinéma.

Marc Lainé et le dessinateur Stephan Zimmerli proposent une autre voyage, pédestre celui là, Sous nos yeux, écrit en collaboration avec des autrices et auteurs de la région de Valence. Un certain Lucas Malaurie a disparu. Dix personnes qui l’on croisé, le dernier jour avant sa disparition, témoignent. On les suit à la trace, à pied. A chaque station, on peut voir (il faut parfois la chercher) la scène reconstituée et dessinée par Stephan Zimmerli et mise en mots par Marc Lainé. On découvre ainsi un extraordinaire quartier de la ville, Châteauvert, en suivant des chemins et des minuscules canaux aux allures de ruisseaux. Où se cache Lucas Malaurie ? On le saura petit à petit. Ou pas. Au bout du périple pédestre qui dure dans les 90 minutes, le temps d’un film que l’on se fait à soi -même, le doute persiste. Le faux vrai Lucas Malaurie n’en cache-t-il pas un autre ?

Nos paysages mineurs, comédie itinérante de Valence dans les villages de Drôme-Ardèche jusqu’au 13 oct ;

Puis au Théâtre 14 à Paris du 30 nov au 12 déc, à la Fabrique de Valence du 17 au 20 janv, ; à la Filature de Mulhouse du 7 au 10 avril ;

Sous nos yeux, parcours libre de jour comme de nuit, le texte avec les dessins, tiré à 500 exemplaires est disponible à la Comédie de Valence

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