J’ai souligné dans mon denier billet[1] les questions juridiques, éthiques et éducatives posées par la circulaire du 25-11-2015 intitulée Mesures de sécurité dans les écoles et établissements scolaires après les attentats du 13 novembre 2015[2], et tout particulièrement par la phrase suivante : « En lycée, des zones spécifiques peuvent être aménagées au sein des établissements scolaires dans les espaces de plein air pour éviter que les élèves ne sortent du lycée pendant les interclasses ».
Sur le plan du droit en effet, il est pour le moins inacceptable qu’une circulaire puisse autoriser ce qu’une loi interdit. L’article R3111-1 du code de santé publique interdit en effet de fumer dans l’enceinte de tous les établissements scolaires.
L’entourloupe lexicale a donc consisté dans la circulaire à invoquer des « zones spécifiques » pour ne pas citer les espaces fumeurs qu’elles cachent d’un écran de fumée.
Mais encore fallait-il trouver un moyen juridique de justifier une mesure qui, au nom de la sécurité des lycéens, contrevient de manière certaine à leur santé et à la loi. L’article R421-10 du code de l’éducation semble le fournir : « en qualité de représentant de l’Etat au sein de l’établissement, le chef d’établissement prend toutes dispositions en liaison aves les autorités administratives compétentes, pour assurer la sécurité des personnes ». La newsletter du SNPDEN datée d’aujourd’hui conseille ainsi aux proviseurs d’invoquer cet article pour « sécuriser juridiquement » la restauration d’espaces fumeurs dans les lycées. Elle présente à juste titre cet article comme « une sorte d’article 16 des EPLE ». On sait que l’article 16 de la constitution de la cinquième République[3] fut, dès 1958, perçu comme attentatoire à la démocratie, en ce qu’il permet, « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés (1) d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu», au président de la République de prendre « les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel ».
Le fait par cette mesure de concourir activement à ce que, chaque jour en France, l’équivalent du nombre de victimes du crash d’un avion de ligne meure du tabagisme n’entre pas en ligne de compte. Le seul recours à cette « sorte d’article 16 des EPLE » qui suspend le contrôle du conseil d’administration sur une mesure si évidemment contraire au code de la santé publique suffira-t-il à surmonter les obstacles de la conscience éthique et civique des chefs d’établissement ?
En cette année de mise en œuvre du parcours citoyen et de l’enseignement civique et moral, on est confondu par la manière dont un cadre académique[4] ou une organisation représentative des personnels de direction peuvent, au nom d’un risque potentiel, mettre délibérément en danger la santé et la vie des lycéens, en usant d’un tour de passe-passe juridique pour éviter le débat éducatif, éthique, politique et moral posé par cette mesure.
A l’heure où le ministère de l’éducation nationale met en place un parcours citoyen et un enseignement moral et civique pour tous les élèves de l’enseignement scolaire, il donne un très mauvais exemple en terme de morale, de démocratie et de citoyenneté. Mobiliser l’Ecole pour défendre les valeurs de la République, c’est bien. Donner l’exemple plutôt qu'un contre exemple, ce serait bien mieux !
[1] https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/281115/espaces-fumeurs-dans-les-lycees-comprendre-demi-mot-les-consignes
[2] http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=95835
[3] http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?idArticle=LEGIARTI000019241008&cidTexte=LEGITEXT000006071194&dateTexte=20140401
[4] voir le précédent billet : https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/281115/espaces-fumeurs-dans-les-lycees-comprendre-demi-mot-les-consignes