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Billet de blog 4 mai 2017

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Les récréations : quand leur accordera-t-on « une large place » ?

En 1890, le ministère de l’instruction publique annonçait que « les récréations tiendront à l’avenir une large place dans la vie scolaire ». Alors que des études internationales récentes montrent leur impact positif sur les apprentissages, cet avenir est toujours hors d'atteinte pour les élèves français.

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Dans un billet du 1er  février 2013, je m’interrogeais sur la place de la récréation aujourd’hui et ses formes nouvelles à l’ère numérique[1].

Un article posté le 1er mai sur le site du réseau québécois d’information pour la réussite éducative (RIRE)[2] apporte un éclairage utile sur la question.

Il part de deux observations. La première en Finlande, où on observe que «les élèves prennent généralement 15 minutes de pause pour chaque 45 minutes de travail en classe. La plupart de ces récréations ont lieu à l’extérieur, où les enfants peuvent jouer et socialiser avec leurs pairs ». La seconde en Asie du Sud est, où « les élèves ont droit à 10 minutes de pause après plus ou moins 40 minutes de travail en classe

Des chercheurs américains, sous la direction d’Anthony Pellegrini[3], se sont penchés sur les effets de ces récréations fréquentes chez les élèves en observant des expérimentations dans des écoles publiques des Etats-Unis pour « explorer le lien entre les récréations et l’attention en classe».

Résultat : « Dans chacune des expérimentations menées par ces chercheurs, les élèves étaient plus attentifs après la pause qu’avant. Les chercheurs ont également observé que les élèves étaient moins attentifs lorsque le temps de pause était retardé (quand le temps d’une leçon s’étirait)». Ils ont également observé que « les pauses n’ont pas à être tenues à l’extérieur pour être bénéfiques » : «"Ce qui importe le plus, ce n’est pas où les enfants prennent leurs pauses, mais combien de liberté nous leur accordons".

En effet, selon les observations de Pellegrini, lorsque c’est l’enseignant qui choisit l’activité réalisée au moment de la pause, l’effet de cette pause est moins important. En outre, selon le chercheur, le jeu libre donne l’opportunité aux élèves de développer leurs compétences sociales, car durant ces moments, les enfants ne font pas que se reposer et dépenser de l’énergie : ils apprennent à coopérer, à communiquer et à faire des compromis».

On est bien loin d’observer une situation pareille dans la plupart des écoles et établissements scolaires français. La norme dominante est une seule récréation par demi-journée, d’une durée de dix minutes. On ne peut pas considérer en effet, dans les collèges et les lycées,  les mouvements entre deux cours, dans la presse des couloirs et des escaliers, comme des pauses ou des récréations.

Ainsi donc, en France, de manière générale, la part de la récréation dans le temps scolaire des élèves est d’un huitième, voire un douzième seulement du temps passé à l’école.

Cette observation témoigne de ce que l’avenir envisagé par la circulaire du 7 juillet 1890 – « les récréations tiendront à l’avenir une large place dans la vie scolaire »- n’est toujours pas advenu 127 ans plus tard.

A ce premier constat, on peut en ajouter d’autres. Cette minoration persistante de la récréation dans la vie des élèves à l’école est le résultat d’une exclusion de fait de la récréation des éléments importants de la vie à l’école.

Ouvrez le dictionnaire de l’éducation d’Agnès Van Zanten[4] : vous y trouvez une entrée « redoublement », mais pas une entrée « récréation », le mot ne figure même pas à l’index du dictionnaire. Vous ne trouverez pas plus d’article sur la récréation dans le Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation[5].

Pas d’occurrence non plus du terme « récréation » dans la loi de refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013[6]. Pourtant un de ses objectifs, rappelé à l’article 2, est de « favoriser la coopération entre les élèves », coopération dont  les chercheurs américains constatent que les récréations sont un espace-temps important d’apprentissage. Interrogez le moteur de recherche du site du ministère de l’éducation nationale : il propose seulement 16 résultats (contre 306 pour redoublement…), dont une bonne part dans un contexte liés à des incidents survenus en cour de récréation (en lien avec prévention, sécurité, brutalité, harcèlement…).

Consultez les emplois du temps communiqués aux élèves et aux parents : les récréations n’y sont pas matérialisées, et, si elles le sont, c’est par un double interligne, sans être mentionnées. Et, lors des débats présidentiels de ces derniers mois, il a été bien question d’uniforme imposé aux élèves, mais pas des récréations, dont le "désordre" serait incompatible avec le rétablissement de l'autorité et de l'ordre à l'école.

On observera toutefois plusieurs mentions du terme récréation dans la circulaire n° 2014-068 du 20-5-2014, signée Benoît Hamon,  relative à la préparation de la rentrée 2014, à l'annexe 2 portant sur "des pratiques pédagogiques repensées dans une nouvelle organisation du temps scolaire"[7].  

La raison de cette mise à l’écart quasi générale ne tiendrait-elle pas pour partie au fait que  les récréations sont un espace-temps  « sur lequel ni l’école ni la famille n’a de prise directe » comme l’écrit Daniel Gayet[8] ? Un espace-temps contradictoire avec la conception que l’on a de l’élève qui est à l’école pour apprendre, pour travailler, pour faire son « métier d’élève » : il en va à l’école comme dans le monde du travail, les pauses ne sont octroyées que faute de pouvoir les proscrire purement et simplement.

Les travaux d’Anthony Pellegrini évoqués par le RIRE peuvent  inciter à émettre l’hypothèse selon laquelle la mauvaise qualité du climat scolaire, les difficultés de concentration des élèves en cours pourraient être pour une part liées à la place extrêmement réduite qui est concédée aux récréations dans notre temps scolaire. Si on voulait étendre les temps de pause, cela supposerait non seulement de revoir l’organisation du temps scolaire, et donc de l’emploi du temps des élèves et des personnels, mais aussi  de réinterroger les rôles de chacun, et notamment celui des enseignants. Il y a sans doute ici une autre raison de ne pas ouvrir une redoutable boîte de Pandore et de se résoudre à rejeter dans un avenir toujours aussi lointain la mise en pratique de la circulaire du 7 juillet 1890, quitte à retarder l’acquisition par les élèves de compétences importantes du socle commun.


[1] La récréation : quelle place aujourd’hui, et quelles formes nouvelles à l’ère numérique ?

https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/120213/la-recreation-quelle-place-aujourd-hui-et-quelles-formes-nouvelles-l-ere-numerique

[2] Barriaut, Lucie, Les élèves devraient-ils avoir plus de pauses dans la journée ?

http://rire.ctreq.qc.ca/2017/05/pause-recreation/

[3] professeur émérite de psychologie éducative, Université de Minéapolis

[4] Van Zanten, Agnès (direction), Dictionnaire de l’éducation, Puf, 2008

[5] Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation, Retz, 3e édition, 2005

[6] http://www.education.gouv.fr/cid102387/loi-n-2013-595-du-8-juillet-2013-d-orientation-et-de-programmation-pour-la-refondation-de-l-ecole-de-la-republique.html

[7] "De façon générale, une réflexion de l'équipe pédagogique sur la question des récréations paraît nécessaire pour tirer le meilleur parti de la nouvelle organisation. Plusieurs points sont à prendre en compte : les récréations ne paraissent pas s'imposer pour des demi-journées allégées (ne dépassant pas 1 heure trente de temps scolaire), qui seraient autrement interrompues inutilement. Pour jouer son rôle, le moment de la récréation ne saurait se situer en fin de demi-journée scolaire. On veillera enfin à ne pas prendre sur le temps scolaire le temps de transition entre la classe et les activités périscolaires".

http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=79642

[8] Gayet, Daniel, L’élève, côté cour, côté classe, Paris, INRP, 2003

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