En annonçant, le 2 mai, son intention de réunir une convention citoyenne sur les temps de l’enfant[1], le Président de la République joue un coup de billards à trois bandes. Il signifie à la fois
- que l’éducation fait bien partie de ce qu’il considère comme son « domaine réservé », puisque c’est au gouvernement et non à lui qu’il revient d’organiser une convention citoyenne,
- qu’il a le souci de consulter les citoyens et non pas de décider en solitaire,
- en étant sûr que le sujet choisi ne débouchera sur rien qui puisse changer véritablement la politique des savoirs qu’il met en œuvre comme ses prédécesseurs.
Ce qui nous intéresse, dans cette annonce, c’est une nouvelle fois la façon dont on s’y prend, du côté de l’exécutif, pour éviter toute remise en question du statu quo de l’école française, en cela fidèle au principe du « tout changer pour que rien ne change ».
Ce dont on est sûr, en effet, c’est que le choix de remettre sur le métier les temps de l’enfant est une assurance tous risques contre le changement. Pour ceux qui s’en souviennent, point n’est besoin de rappeler la Conférence nationale sur les rythmes scolaires, qui, le 4 juillet 2011, avait proposé dix orientations proposant « des rythmes plus équilibrés pour la réussite de tous »[2]. Parmi les propositions remise à Luc Chatel, la cinquième d'entre elles proposait de mettre fin à la semaine de quatre jours à l’école en préconisant au moins neuf demi-journées de classe. Ni le ministre ni le président Sarkozy n’en firent rien, et c’est Vincent Peillon, premier ministre de l’éducation nationale de F. Hollande, qui mit en œuvre le retour à la semaine de quatre jours et demi, mesure qui fut pour le moins diversement accueillie malgré le consensus de la conférence nationale de 2010-11 et fut aussitôt abandonnée par M. Blanquer, le premier ministre de l’éducation nationale… du président Macron. Quant aux autres orientations, elle sont restées lettres mortes, du passage de 36 à 38 semaines de classe par an, à la journée limitée à 5 heures de cours à l’école et dans les deux premières années du collège en passant par les trois zones de vacances y compris en été… On voit déjà ce qu’il risque d'advenir des propositions de la conférence citoyenne annoncée si elle voit le jour…
Est-ce à dire que le sujet est sans intérêt ? Certainement pas. On sait combien, par exemple, le passage à la semaine de quatre jours à l’école a amplifié la difficulté de réussir pour les élèves issus des milieux populaires : dès 2009, l’inspection générale de l’éducation nationale notait "Fatigue des enfants, manque de temps pour les apprentissages, les inconvénients de la semaine de quatre jours se confirment". En supprimant une matinée dans la semaine, on pénalise l’ensemble des élèves et, plus particulièrement, ceux qui sont déjà en difficulté. Les journées sont trop longues, trop chargées, alors que les apprentissages ont besoin d’être étalés pour être bien intégrés, comme le rappelle la chronobiologiste Claire Lecomte[3].
Cet exemple de la semaine de quatre jours témoigne du fait que ce sont toujours, à la fin, les intérêts des adultes, parents comme enseignants, élus locaux, et acteurs des secteurs économiques du tourisme comme du soutien scolaire, qui prennent le pas sur ceux, bien compris, des enfants.
Mais on ne saurait s’en tenir à ce constat. L’autre avantage d’ouvrir une nouvelle fois un débat mille fois ouvert et toujours refermé sur cette question, est d’esquiver celui qu’on n’a jamais ouvert et que des formules creuses telles que « choc des savoirs », « enseignements fondamentaux » permettent d’occulter. Dans ce domaine, il s’agit de ne rien changer pour que rien ne change. L’organisation des savoirs, les choix d’enseignements qui sont reconduits au fil du temps, ont en effet fait leurs preuves : ils permettent à une élite scolaire de réussir et aux enfants des milieux populaires d’être écartés, sur la base "objective" de leurs résultats, de la voie générale pour être massivement orientés, en raison de leurs difficultés dans les enseignements généraux qui sont exclusivement dispensés à tous, en voie professionnelle. On observera avec intérêt la suite qui sera réservée à certaines propositions du Conseil supérieur des programmes pour un nouveau socle commun[4]. Faire figurer dans les éléments de culture commune des références explicites à « Imaginer, fabriquer, créer, expérimenter avec habileté », au « droit aux hésitations et réorientations», au « savoir jouer », éloignent quelque peu du modèle concurrentiel dominant de la course à la meilleure note, la meilleure moyenne, la meilleure orientation, au meilleur établissement qui sont jusqu’ici la règle qui fait du temps une denrée extrêmement précieuse où tout ce qui ne sert pas la course aux meilleures places est inutile, sinon nuisible. Il n’est donc pas sûr que ces propositions soient retenues, d’une part, et surtout mises en œuvre dans la réalité jusqu’ici inchangée des temps de l’enfant.
A quelques jours d’une journée du collectif Riposte-Éducation appelant, « contre l’école injuste », à « faire égalité »[5], il importe en effet d’associer étroitement toute réflexion sur le temps scolaire aux contenus d’enseignement-apprentissage qui en font la substance, avec l’objectif, en effet, de « faire égalité ». Le CICUR a posé dès ses premiers travaux en 2020 la réflexion à ce sujet en termes curriculaires[6] :
« L’approche curriculaire peut-elle permettre de revisiter les rythmes d’enseignement, les temps d’apprentissages et plus généralement la durée de la scolarité ou plus prosaïquement son organisation qui continue de distinguer premier et second degré ?
Est-on allé suffisamment loin dans la structuration des cycles pour identifier cette temporalité comme une condition nécessaire aux acquisitions de compétences ou de connaissances constitutives d’une culture commune ?
Quels sont les critères à choisir pour exercer une réflexion en profondeur sur les temps scolaires ? »
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[1] https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/05/03/l-annonce-d-une-convention-citoyenne-sur-les-temps-de-l-enfant-par-emmanuel-macron-accueillie-avec-scepticisme_6602478_3224.html
[2] https://www.vie-publique.fr/rapport/31871-conference-nationale-sur-les-rythmes-scolaires
[3] https://cafepedagogique.net/2017/11/15/claire-leconte-la-semaine-de-4-jours-une-histoire-bien-francaise/
[4] Voir notre billet précédent : https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/260425/nouveau-socle-commun-des-ecarts-mais-dans-le-cadre-etabli
[5] https://cafepedagogique.net/2025/05/02/riposte-education-une-journee-pour-faire-egalite/
[6] CICUR (5 octobre 2020). Jalons : Temps et curriculum. Interpellation curriculum. Consulté le 2 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/nfpc