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Billet de blog 8 septembre 2017

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Ecole de la confiance : de quoi sont faites «excellences» et «bienveillance»?

De quoi les excellences et la bienveillance promues en cette rentrée sont-elles en fait le nom ? Ne pourrait-on pas y lire l’influence pérenne de ce que Jules Ferry appelait en 1881 « l’ancien régime » ?

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Lors de sa conférence de presse du 28 août, le ministre a présenté ses objectifs : établir une école de la confiance qui soit en même temps celle des excellences et de la bienveillance.

Ces objectifs découlent d’une connaissance de l’état de notre Ecole dans le contexte international : 21% de jeunes ayant à 15 ans un niveau faible en lecture, loin de l’objectif européen de 15% maximum, 71,7% des 20-34 ans ayant un emploi contre un objectif minimum européen de 82%. De la découle un premier objectif pour l’école de la République : 100 % d'élèves qui maîtrisent les savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter, respecter autrui). Il y a, dans ce bon sens apparent, comme le signe d’un retour à ce que Jules Ferry appelait, en 1881 « l’ancien régime, le régime traditionnel » en opposition avec « le nouveau » qu’il promouvait en ces termes : « tous ces accessoires auxquels nous attachons tant de prix, que nous groupons autour de l’enseignement fondamental et traditionnel du ‘’lire, écrire, compter’’ : les leçons de choses, l’enseignement du dessin, les notions d’histoire naturelle, les musées scolaires, la gymnastique, les promenades scolaires, le travail manuel de l’atelier placé à côté de l’école, le chant, la musique chorale. Pourquoi tous ces accessoires ? Parce qu’ils sont à nos yeux la chose principale, parce que ces accessoires feront de l’école primaire une école d’éducation libérale [1] ». 

On notera d’abord le pluriel d’excellences : cela permet certes rhétoriquement d’agréger à l’excellence de la voie générale celle de la voie professionnelle appelée à le devenir : travail herculéen moult fois remis sur le métier par les ministres successifs, avec le succès que l’on sait. Il n’est pas neutre que « souplesse et enrichissement des enseignements au collège » figure au chapitre des excellences. On voit bien ce qui est mis en avant : les trois « rétablissements » des bilangues en 6e, des sections européennes à partir de la 5e, du latin et du grec dès la cinquième. Il s’agit bien de rétablir le collège d’avant la réforme de 2016, un collège où l’entre-soi social et culturel est mieux protégé.

L’école de la bienveillance part de quelques données chiffrées qui montrent les progrès possibles dans ce domaine : si 58, 8% des élèves de l’OCDE ont peur d’avoir des mauvaises notes, ils sont 61,4% en France ; si 76% d’entre les premiers affirment que la plupart de leurs professeurs ont le souci de leur bien-être, ils ne sont que 70,7% à le faire en France. La culture et les arts, qui pourraient tout aussi bien figurer au chapitre des excellences, accompagnent la santé et le sport, qui pourraient faire de même, dans cette école de la bienveillance : Jules Ferry les situait comme « la chose principale » ; redeviendraient-ils cet accessoire à la marge des « fondamentaux » ? La mesure emblématique de cette école de la bienveillance, outre le retour au premier plan de la mallette des parents initialement développée dans l’académie de Créteil quand M. Blanquer en était le recteur, et « la rentrée en musique » de ce mois de septembre, c’est l’opération « devoirs faits », nouvel habillage de l’accompagnement éducatif, mois en place par Xavier Darcos en 2007-2008, réduit à l’apprentissage des leçons et la réalisation des devoirs et les solutions concrètes pour vaincre le décrochage scolaire.

On peut être circonspect à l’égard de formulations sans doute consensuelles dans l’opinion publique, mais qui pourraient consolider certains des travers de l’école française plutôt que contribuer à les dépasser.

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[1] Discours de Jules Ferry au congrès pédagogique des instituteurs de France du 19 avril 1881, cité par Claude Lelièvre

https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/180308/jules-ferry-et-les-nouveaux-programmes

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