La réunion hier du conseil inter-académique de l’éducation nationale[1] a donné l’occasion au conseil régional et à la région académique Ile de France de présenter dans un document commun la carte des formations de l’académie de Paris.
Ce document est particulièrement révélateur de la manière dont est abordée la question de la carte des formations dans une académie.
La première partie, qui présente des « éléments de contexte », notamment des « données démographiques », marquées par « une baisse historique des effectifs de l’académie de Paris » et « des tensions marquées dans certains départements de la grande couronne », affiche « une ambition soutenue pour les lycées parisiens » symbolisée notamment par « la restauration de la bibliothèque du lycée Charlemagne » (dans les « grands » lycées parisiens , on n’a pas un CDI -centre de documentation et d'information- comme dans les autres, mais conservé une bibliothèque) ou la rénovation globale de deux lycées (Decour et Valéry). A aucun moment, dans les données retenues, il n’est donc question de la carte des formations, c’est à dire de ce qu’on apprend dans les lycées de l’académie de Paris, ni des parcours de formation des élèves : combien entrent par exemple en formation en lycées professionnels, issus de quels arrondissements, avec quels taux de parcours complet de formation, de certification, et quels taux d’abandons, par exemple.
La deuxième partie présente les principes et objectifs président à l’évolution de la carte des formations. Après le rappel des précédents de 1999 et du début des années 2000 marquées par 7 fermetures d’établissements, on en vient aux « principes » : fermeture des lycées à très faible effectif et au bâti très contraint, sobriété énergétique, transfert de l’intégralité des formations dans des lycées rénovés, augmentation de la capacité d’accueil globale des lycées professionnels, sécurisation du parcours des élèves. Tout va donc pour le mieux dans la meilleure des académies possibles.
Mais ce serait sans compter avec la partie 3, qui présente la carte cible. On y découvre par exemple que les élèves du lycée Valadon situé au nord de Paris dans le 18e arrondissement vont être « redéployés » au sud ouest dans le 16earrondissement (Cassin) et au sud est dans le 12e (Lemonnier), une part seulement d’entre elles et eux étant redéployés dans l’arrondissement voisin (Laurencin, 19e). Cela est présenté, comme pour tous les autres établissements fermés, comme une « plus-value par rapport à la situation actuelle ». A aucun moment n’est évoquée la question des déplacements (la traversée de Paris, et sa portée socialement très symbolique). On gère des flux, pas des personnes, qu’il s’agisse des élèves ou des personnels. L’approche strictement comptable prend le pas sur toute autre considération humaine. Mais il est vrai que la population scolaire du lycée Valadon est quasi exclusivement faite de jeunes de la Goutte d’or, d’origine très majoritairement africaine. Leur demander d’aller dans le 16ème arrondissement, et dans le 12e va en décourager beaucoup. Mais est-ce vraiment un souci ? Apparemment pas ! Ces élèves ne sont-ils pas quantité négligeable, puisque le document note qu’ils ne représentent, au total des lycées fermés, que « 1,6 % de l’effectif des lycéens publics à la RS 2022 » ? Des chiffres rien que des chiffres…
On ne peut que se rappeler l’histoire du lycée professionnel. Après y avoir supprimé en 2009 une année entière de formation scolaire lors du passage de la formation de quatre à trois ans, cyniquement au nom de l’égalité avec les lycées généraux et technologiques[2], après avoir réduit la part des enseignements généraux, on va quasiment supprimer une autre année de formation scolaire, avec l’annonce de périodes de stages de 32 semaines (soit une année scolaire complète !). Les décisions de carte scolaire dans l’académie de Paris pourraient, si rien ne venait arrêter la machine gestionnaire de la dictature du chiffre, préfacer la chronique d’une mort annoncée du lycée professionnel.
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[1] Instance consultative, le CIEN réunit des représentants des collectivités territoriales, du conseil régional d’Ile de France notamment, de l’administration (les 3 recteurs d’Ile de France), des parents d’élèves et des organisations syndicales.
[2] Voir notre billet de blog : https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/230622/nouveau-souffle-pour-le-lycee-professionnel-un-angle-mort