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Billet de blog 11 avril 2016

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La solitude du chef d’établissement : une irrémédiable fatalité ?

Les actuels blocages des lycées et les incidents violents qui parfois les accompagnent posent avec encore plus d’acuité la question de la place des chefs d’établissement : sont-ils, isolés en première ligne, le dernier rempart fragilisé de l’éducation ?

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Les récents incidents provoqués dans le cadre du blocage des lycées se sont traduits pour certains chefs d’établissement par des agressions dont ils ont été victimes, pouvant aller pour la proviseure du lycée Pierre-Gilles de Gennes à Paris jusqu’à  trois côtes cassées et 30 jours d’interruption temporaire de travail.

En émettant le 22 mars une alerte sociale, le SNPDEN-UNSA, l’un des syndicat des personnels de direction, soulignait le climat de travail difficile pour les chefs d’établissement[1], climat encore plus difficile depuis avec le blocage des lycées.

La lettre de l’éducation du 11 avril[2] consacre son article d’actualité en une à « la solitude du chef d’établissement face à l’engrenage du blocage ». C’est l’occasion de revenir sur une des composantes de cette solitude.

Pour le dire très grossièrement, le chef d’établissement se trouve souvent en situation de solitude par rapport à des collectifs : celui des personnels de son établissement, notamment des enseignants, celui des parents d’élèves, celui des élèves, tous considérant,  à juste titre, que le chef d’établissement est le représentant de l’Etat dans l’établissement[3]. De la même manière, on pourrait dire qu’il éprouve également un sentiment de solitude dans son dialogue avec les services académiques d’une part, avec les services départementaux ou régionaux d’autre part.

Mais on va, à l’occasion des blocages subis par certains établissements scolaires, s’attacher plus particulièrement à la solitude par rapport au collectif des élèves.

Qu’écrit à ce sujet La lettre  de l’éducation ? « Souvent sans interlocuteur du côté lycéen et alors que le recours à la police présente un risque d’escalade, les chefs d’établissement se sentent seuls, avec une sorte de « bonne chance ! » comme mots d’ordre implicite du côté officiel ».

Ces propos soulèvent plusieurs questions.

1/ Lors d’un blocage d’établissement,  peuvent se mêler aux lycéens des éléments extérieurs au lycée, dont l’agressivité à l’égard du chef d’établissement est incontrôlée : la proviseure du lycée Pierre Gilles de Gennes a bien été attaquée, non par un élève qu’elle tentait de défendre mais par quelqu’un  qui n’était pas élève du lycée. Il n’est pas sûr que des interlocuteurs lycéens aient pu empêcher ce genre de situation.

2/ Affirmer que les proviseur(e)s  sont « souvent sans interlocuteur du côté lycéen » mérite qu’on s’y arrête. On sait que, pendant longtemps, la vie lycéenne a été la parente pauvre des politiques d’établissement au point qu’il a fallu lancer un acte II de la vie lycéenne en 2013[4]. On mesure, dans un moment de crise sociale et politique comme celle que nous traversons en ce printemps, combien le fait d’avoir, en temps ordinaire, responsabilisé les lycéens, d’avoir donné à leurs élus un rôle important dans la vie du lycée, est un facteur précieux pour que la relation de confiance et de responsabilité établie permette d’éviter, au moins de limiter, les actes irresponsables,  les dégradations, voire les actes de violence. S’il y avait un enseignement à tirer de ce moment critique pour les temps plus calmes, ce serait en effet de faire de la démocratie lycéenne la priorité des priorités éducatives

3/ Dans ces périodes difficiles, où les proviseur(e)s sont jours et nuit sur la brèche, il importe qu’elles/ils puissent compter sur l’appui des équipes mobiles académiques de sécurité (EMAS)[5], comme ils peuvent compter sur l’appui de l’inspecteur d’académie directeur académique des services de l’éducation nationale (IA-DASEN), et sur la coordination qu’il assure avec les services de police sous l’autorité du préfet. De ce point de vue, la création des EMAS en 2012 a fait reculer l’isolement des chefs d’établissement. N’est-il pas réducteur de résumer la position de l’autorité académique à « une sorte de « bonne chance ! » » ? Comme le rappelait la ministre de l’éducation nationale, le 1er avril à l’école supérieure de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESENESR) devant plusieurs centaines de personnels de direction : "Vous êtes irremplaçables... Les proviseurs ont su faire face dans un contexte actuel difficile. Ils ont tout mon soutien[6]".

4/ La situation actuelle de blocage de lycées ne rend que plus alarmante l’alerte sociale posée le mois dernier. Un autre syndicat de personnels de direction, ID-FO, a posé le 8 avril  la question suivante : « les personnels de direction, derniers remparts de l’Education ?[7] ». Les actuelles tensions aux portes des lycées ne permettent pas de différer la réponse à cette question.


[1] Voir notre billet du 23 mars :

https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/230316/chefs-d-etablissements-un-nouveau-point-de-rupture

[2] http://www.lalettredeleducation.fr/

[3] En cette qualité, il exerce son autorité sur l’ensemble des personnels affectés ou mis à disposition de l’établissement et assure le fonctionnement régulier de celui-ci (art. R. 421-10 du code de l’éducation)

[4] http://www.education.gouv.fr/cid74059/remise-du-rapport-acte-2-de-la-vie-lyceenne-vers-une-nouvelle-democratie-discours-de-george-pau-langevin.html&xtmc=rapport&xtnp=1&xtcr=19

[5] http://eduscol.education.fr/cid49285/equipes-mobiles-de-securite-academiques.html

[6] http://www.lanouvellerepublique.fr/Vienne/Actualite/Education/n/Contenus/Articles/2016/04/01/Najat-Vallaud-Belkacem-a-Poitiers-2672045

[7] http://www.ietd.com/wp-content/uploads/2016/04/iDflashN34LesPersonnelsdeDirectiondernierrempartdelEducation.pdf

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