La souffrance psychique des enfants et des adolescents augmente. Dans un nouveau rapport, publié le 06/02/2025[1], le conseil de l'enfance et de l'adolescence du Haut conseil de la famille, des enfants et de l’âge (HCFEA) prolonge ses travaux sur le sujet, déjà abordé en particulier dans le rapport « La traversée adolescente des années collège » publié en 2021, le rapport 2023 « Quand les enfants vont mal, comment les aider », le séminaire public qui l'a suivi, et la publication en 2024 d'un avis qui a renouvelé l'alerte.
L’enquête EnCLASS102[2] montre notamment que les collégiens et les lycéens ont connu une nette dégradation de leur santé mentale et de leur bien-être entre 2018 et 2022, plus marquée chez les filles. Selon l’indice de bien-être mental de l’OMS, seulement la moitié des élèves interrogés présentent un bon niveau de bien-être mental. 14 % des collégiens et 15 % des lycéens présentent un risque de dépression et déclarent un sentiment de solitude, des plaintes psychologiques et/ou somatiques ou des pensées suicidaires. Sur la période 2018-2022, la proportion de lycéens ayant eu des pensées suicidaires a augmenté de 13 % à 17 % et de 7 points chez les lycéennes (31 %). 13 % des lycéens ont déclaré avoir fait une tentative de suicide au cours de leur vie et 3 % une tentative avec hospitalisation.
Entre 2010 et 2023, en France, on constate, chez les adolescents, une augmentation de 137 % des prescriptions d’hypnotiques (des somnifères, N.D.L.R.), 88 % pour les antidépresseurs, 62 % pour les antiépileptiques, 50 % pour les neuroleptiques et 40 % pour les psychostimulants. En 2022, les tentatives de suicide ont augmenté de 63 % chez les 10-14 ans, et de 42 % pour la tranche d’âge 15-19 ans.
L’action de l’éducation nationale est-elle à la hauteur de ces enjeux ?
On peut en douter quand on mesure l’écart entre la hausse de la dégradation de la santé mentale des jeunes et la diminution entre 2007 et 2020 de 33% du nombre de postes en réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) dont l'objectif est de rassurer les écoliers concernés et leurs parents, de leur donner confiance et de favoriser l’estime de soi, en permettant qu’un accompagnement se mette en place autour de l’enfant. La baisse des effectifs de Psy EN, dans le second degré, va exactement dans le même sens : alors qu’au niveau européen, il est recommandé un·e Psy-EN pour 1000 élèves, cette moyenne s’élève à 1 pour 1500 en France, primaire et secondaire confondus.
Comme l’écrit dans sa contribution au rapport Nathalie Bajolle, il faut tenir compte de « l’impact du système éducatif et des inégalités sociales sur la consommation des antidépresseurs. Malgré une politique scolaire inclusive et une attention accordée aux élèves ayant des besoins éducatifs particuliers, la culture dominante de l’évaluation, de la réussite et de la normalisation reste omniprésente dans le secondaire, dans une moindre mesure dans le premier degré ». Elle signale également le rôle « des priorités qui s’imposent, notamment pour le lire-écrire-compter » qui font passer au second plan celle de l’inclusion.
A quelques jours de la Journée du bonheur dans et hors la classe, le 9 avril, de 14 à 17 heures[3] proposée par le laboratoire BONHEURS de CY Paris/INSPE de Versailles, le rappel des données fournies par ce rapport du HCFEA éclaire sans aucun doute la nécessité de mettre effectivement au cœur des priorités éducatives, celle du bonheur à l’école, à laquelle Jean-Louis Durpaire et moi avons consacré un ouvrage paru en 2021 Le bonheur, une révolution pour l’École[4] : quand seulement la moitié des collégien(ne)s et des lycéen(ne)s sont en bien être mental, il est urgent de s’inspirer du travail conduite dans les écoles du bonheur, dont nous écrivions dans notre blog en 2019 qu’il s’agit d’une « utopie réaliste[5] » : « Comment ne pas souscrire à l’horizon de blocs d’enseignements transversaux articulés autour de l’ego-relation, l’alter-relation et l’éco-relation ? Cultiver la relation à soi, aux autres, et à la planète, n’y a –t-il pas là une ardent obligation pour l’école du 21e siècle ? », écrivions-nous à la lecture des contributions rassemblées dans un ouvrage consacré aux écoles du bonheur[6]. La lecture du rapport publié le mois dernier par le HCFEA ne rend cette obligation que plus ardente : sortons de l’évaluation individuelle et de la compétition acharnée pour avoir les meilleures places où, chacun, dans son couloir, est sommé d’ingérer et régurgiter des savoirs eux-mêmes étanches. Inventons une école de la coopération entre élèves, enseignants et parents, une école où les savoirs sont articulés -et non plus hiérarchisés et disjoints- dans la culture du savoir-relation.
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[1] https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/hcfea_rapport_pedopsychiatrie_et_sante_mentale.pdf
[3] https://cyu-fr.zoom.us/j/91557726283 - success
[4] https://boutique.berger-levrault.fr/ouvrages/enseignement/au-fil-du-debat/essais/le-bonheur-une-revolution-pour-l-ecole.html
[5] https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/110119/les-ecoles-du-bonheur-une-utopie-realiste
[6] François Durpaire (dir.), Les écoles du bonheur suivi de Cinq leçons pour apprendre à être heureux, Téraèdre - Eclaboussements, 2018
On lira également, publié très récemment :
B. Mabilon-Bonfils, F. Durpaire, A. Jaillet, Le savoir-relation, EDBH, Collection Sciences Humaines, 2024