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Billet de blog 15 juin 2012

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Refondation de l'école : en « code sériel » maintenu ou, pour marquer le changement, en « code intégré » ?

Parmi les enjeux de la refondation de l’école voulue par le nouveau président de la République, celui du choix du maintien du « code sériel » qui sépare distinctement l’instruction de l’éducation ou du passage en « code intégré »[1] associant apprentissages des savoirs constitués et des comportements institués n’est pas le moindre.

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Parmi les enjeux de la refondation de l’école voulue par le nouveau président de la République, celui du choix du maintien du « code sériel » qui sépare distinctement l’instruction de l’éducation ou du passage en « code intégré »[1] associant apprentissages des savoirs constitués et des comportements institués n’est pas le moindre.

Le « code sériel » est constitutif de l’ordre secondaire français. Dès la fondation du lycée de garçons sous le premier empire, on distingue dans l’emploi du temps des élèves, les heures de classes, confiées aux professeurs issus de l’université et les heures d’étude, confiées à des maîtres d’études, devenus plus tard répétiteurs, parmi lesquels seront recrutés les premiers surveillants généraux dès 1819. On rappellera pour mémoire la distinction introduite dès l’article 101 du  décret du 17 mars 1808 entre ces personnels.

« A l'avenir, et après l'organisation complète de l'Université, les proviseurs et les censeurs des lycées, les principaux et régents des collèges, ainsi que les maîtres d'études de ces écoles, seront astreints au célibat et à la vie commune.

Les professeurs des lycées pourront être mariés, et dans ce cas ils logeront hors du lycée. Les professeurs célibataires pourront y loger, et profiter de la vie commune. » On voit bien que deux statuts d’emplois sont distingués : celui des professeurs, plus libéral, s’oppose à celui de tous les autres, voués au célibat et à la vie commune. Dans un billets paru sur ce blog, nous avons montré comment le répertoire des métiers de l’éducation (REME), publié en novembre 2011, maintient la séparation entre instruire et éduquer[2] et une distinction de dignité symbolique entre le métier d’enseignant et celui de responsable des activités éducatives.

Si l’on remonte à l’origine même de l’école républicaine française, et aux débats qui agitèrent la convention nationale dans les années 1792-93, on trouvera l’opposition entre l’instruction publique, dont Condorcet élabore l’organisation générale dans son projet de décret, et l’éducation nationale que préconisent Rabaut Saint Etienne ou Le Péletier de Saint Fargeau. Selon le premier, « Il faut donc que la puissance publique se borne à régler l’instruction, en abandonnant aux familles le reste de l’éducation[3].» Selon le second, « il faut distinguer l’instruction de l’éducation nationale. L’instruction publique éclaire et exerce l’esprit, l’éducation doit former le cœur ; la première doit donner les lumières, et la seconde les vertus ; la première fera le lustre de la société, la seconde en fera la consistance et la force.[4]»

La loi d’orientation de 2005 a, au prix d’une remarquable acrobatie syntaxique, résolu la question dans son article 2 : « Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. » Si la mission première est bien à caractère éducatif, la mission d’instruction reste avant-première…

Le socle commun de connaissances et de compétences issu de cette loi (article 9) témoigne de la force de ce régime sériel. En effet,  l’article L122-1-1 du Code de l’éducationcréé par cette loi indique :

« La scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l'acquisition d'un socle commun constitué d'un ensemble de connaissances et de compétences qu'il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société. Ce socle comprend :

- la maîtrise de la langue française ;

- la maîtrise des principaux éléments de mathématiques ;

- une culture humaniste et scientifique permettant le libre exercice de la citoyenneté ;

- la pratique d'au moins une langue vivante étrangère ;

- la maîtrise des techniques usuelles de l'information et de la communication

Ces connaissances et compétences sont précisées par décret pris après avis du Haut Conseil de l'éducation. »

Lorsqu’il est promulgué par décret du premier ministre le 11 juillet 2006, le socle commun de connaissances et de compétences est passé, après avis du haut conseil de l’éducation, de 5 à 7 compétences. Le propos introductif souligne à sa manière le sens de ce changement : « Le socle commun s'organise en sept compétences. Cinq d'entre elles font l'objet, à un titre ou à un autre, des actuels programmes d'enseignement : la maîtrise de la langue française, la pratique d'une langue vivante étrangère, les compétences de base en mathématiques et la culture scientifique et technologique, la maîtrise des techniques usuelles de l'information et de la communication, la culture humaniste. Deux autres domaines ne font pas encore l'objet d'une attention suffisante au sein de l'institution scolaire : il s'agit, d'une part, des compétences sociales et civiques et, d'autre part, de l'autonomie et de l'initiative des élèves. » Ces deux domaines relèvent justement de l’éducation.

Le rapport publié en septembre 2011 par le conseil économique social et environnemental[5] sur Les inégalités à l’école  pointe justement, parmi les facteurs expliquant la part trop importante d’échec parmi les élèves issus des clases populaires,

« un climat scolaire médiocre, facteur d’ aggravation des inégalités », « la concentration de l’échec scolaire dans l’espace », « Le socle commun : une réponse véritable discréditée par une mise en œuvre hésitante et confuse » marquée notamment par une « déficience de formation, d’information, de volonté et de pilotage politique ».

La volonté et le pilotage politiques ayant changé, le moment ne serait-il pas venu de rompre avec le « code sériel » pour former désormais nos élèves en « code intégré » ? Si l’attention portée à la nécessité d’améliorer le climat scolaire ne se traduisait que par le recrutement supplémentaire de conseillers principaux d’éducation (100 inscrits en liste complémentaire au concours externe de recrutement 2012 en plus des 245 postes pourvus) et d’assistants d’éducation (2000 postes créés annoncés par le ministre), on s’inscrirait dans une approche sérielle dont on a pu mesurer à de nombreuses reprises l’incapacité à permettre l’atteinte de l’objectif affiché.  De la même manière, la révision annoncée de certaines composantes du socle commun de connaissances et de compétences dans le cadre de la nouvelle loi d’orientation devra échapper elle aussi à la restauration du code sériel disciplinaire dont les tenants n’ont jamais admis la rupture introduite par le socle commun qui inscrit délibérément la formation des élèves dans un code intégré.


[1] Empruntées au sociolinguiste britannique Basil Bernstein (1924-2000), ces notions sont notamment reprises par Dubet, François, Duru-Bellat, Marie, Véretout, Antoine, dans Les sociétés et leur école, Emprise du diplôme et cohésion sociale. Editions du Seuil, 2010.

[2] http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-veran/140112/instruire-eduquer-le-repertoire-des-metiers-reme-nous-aide-t-il-y

[3] Condorcet : Cinq Mémoires sur l’instruction publique (1791)

[4] Rabaut Saint-Étienne, Projet d’éducation nationale (décembre 1792)

[5] http://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Rapports/2011/2011_09_inegalite_ecole.pdf

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