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Billet de blog 15 septembre 2015

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« Connectés pour apprendre ? » : quelle est la réponse ?

Dans la dernière enquête de l’OCDE réalisée en 2012 et publiée ce mois-ci sur les élèves et le numérique[1], on observe d’abord la forme problématique adoptée pour présenter l’étude concernant la France « Connectés pour apprendre ? », alors que l’étude internationale s’intitule sobrement « Elèves, ordinateurs et apprentissage ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans la dernière enquête de l’OCDE réalisée en 2012 et publiée ce mois-ci sur les élèves et le numérique[1], on observe d’abord la forme problématique adoptée pour présenter l’étude concernant la France « Connectés pour apprendre ? », alors que l’étude internationale s’intitule sobrement « Elèves, ordinateurs et apprentissage ».

En lisant l’étude et en la mettant en lien avec d’autres données, on trouve quelques éléments de réponse à la question, sans doute incomplets.

Première confirmation de l’étude PISA touchant la France : la fracture numérique n’est plus pour l’essentiel une question d’équipement familial puisqu'« en 2012, quelque 99% des élèves de 15 ans en France avaient au moins un ordinateur à la maison, et 96% des élèves défavorisés –ceux dont le statut socio-économique se situe dans le quartile inférieur de la population –avaient accès à Internet à la maison. »

Pour ce qui est de l’équipement des établissements scolaires, l’étude indique qu’ « en 2012, en France, les établissements d’enseignement avaient environ un ordinateur pour trois élèves de 15 ans. Le ratio élèves-par-ordinateur, qui s’établit à 2.9-pour-1, est proche de la valeur médiane parmi les pays de l’OCDE. En France, la quasi-totalité des ordinateurs (96%) mis à disposition par les établissements d’enseignement sont connectés à Internet, et les établissements présentant le pourcentage le plus important d’élèves défavorisés bénéficient, en moyenne, de meilleures ressources TIC que ceux dont l’effectif d’élèves est plus favorisé.» On peut donc conclure de cet état des lieux que le contexte d’équipement en France n’est pas défavorable.

L’étude apporte un élément qui éclaire fortement ce contexte : « En France, la relation entre milieu socio-économique et performance est forte en compréhension de l’écrit électronique– aussi marquée qu’en compréhension de l’écrit sur papier. Une analyse plus fine montre que dans la plupart des pays, y compris en France, les causes pouvant expliquer cette association ne diffèrent pas entre compétences «traditionnelles» et «numériques». Alors que les élèves défavorisés ont accès à un riche corpus de savoirs et de ressources grâce aux nouvelles technologies, la capacité à tirer pleinement profit de ces opportunités reste limitée pour ceux qui ont des lacunes importantes en compréhension de l’écrit

Est ici posée en creux une question de fond : la révolution numérique n’abolit pas d’elle-même les inégalités scolaires d’origine sociale et culturelle. Pour inverser cette tendance à la reproduction voire l’aggravation des inégalités sociales à l’école, encore faudrait-il que les élèves issus de milieux populaires acquièrent une compréhension de l’écrit, quel que soit le support de cet écrit. Cet élément fondamental permet de relativiser l’optimisme qui pourrait  naître de la lecture de ce classement des élèves français de 15 ans : « En France, les élèves de 15 ans affichent une performance supérieure à la moyenne de l’OCDE à l’évaluation PISA de la compréhension de l’écrit électronique (511points de score). Ils sont aussi légèrement meilleurs que la moyenne pour évaluer, lorsqu’ils lisent en ligne, quels sont les liens pertinents à suivre. Quand ils cherchent une information sur le web, seuls 12% des élèves naviguent de manière très peu ciblée ou pas du tout –contre15%, en moyenne, dans les pays OCDE.» Des résultats apparemment corrects - à porter au crédit du travail d'accompagnement des professeurs en éducation à l'information et aux médias- cachent en effet une inégalité de performance des élèves français corrélée à leur origine sociale.

Les principaux résultats internationaux de l’étude donnent également à réfléchir : « Au cours des 10 dernières années, les pays qui ont consenti d’importants investissements dans les TIC dans le domaine de l’éducation n’ont, en moyenne, enregistré aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences. En 2012, dans la grande majorité des pays, les élèves utilisant modérément les ordinateurs à l’école affichaient en général des résultats scolaires légèrement meilleurs que ceux ne les utilisant que rarement ; mais les élèves utilisant très souvent les ordinateurs à l’école obtenaient des résultats bien inférieurs, même après contrôle de leur milieu socio-économique

Il ne s’agit pas de tirer de ce constat un argument  pour proscrire le numérique à l’école. Il s’agit plutôt d’y voir un avertissement. Ce n’est pas à coups –et à coûts- de "tablettes magiques", pour reprendre le titre d’un article de Pascal Plantard[2], que l’on résoudra la question de fond posée à l’école de la République : comment faire advenir à l’école la réussite scolaire pour tous les élèves ? A l’heure où le nouveau plan d’équipement numérique national[3] prévoit d’équiper tous les collégiens d’une tablette d’ici 2018, cette donnée invite à réfléchir.

Elle permet également de comprendre l'importance de la nouvelle mission confiée à Catherine Becchetti-Bizot par la ministre de l’éducation. Le premier paragraphe de la lettre de mission du 8 septembre 2015 est éloquent (c’est nous qui mettons en gras la deuxième phrase) : « Le déploiement du numérique dans le système scolaire représente un dossier stratégique de la refondation de l’Ecole pour améliorer l’efficacité des enseignements, réduire les inégalités sociales et culturelles, et ouvrir l’école sur son environnement. Pour atteindre ces objectifs, les démarches pédagogiques, les modes de suivi, d’accompagnement et d’évaluation des élèves ainsi que l’organisation des temps et des espaces scolaires sont appelés à évoluer.[4]»

On retrouve clairement indiqué ce que nous rappelons régulièrement dans ce blog à propos de l’école et du numérique : on ne résoudra pas la question de la réussite scolaire de tous les élèves dans le cadre de la forme scolaire actuelle. J’avais ainsi conclu mon témoignage de clôture à la conférence nationale tenue en mai 2013 à l’ENS de Lyon sur le thème Cultures numériques, éducation aux médias et à l’information : « C’est aussi en nous incitant à questionner une forme scolaire contrainte que l’éducation aux médias et à l’information à l’ère numérique est un levier de la refondation. Le choc architectural, c’est maintenant ![5] » Deux ans plus tard, cette enquête de l’OCDE confirme l’urgence de ce changement. Et la mission confiée à l’ancienne directrice du numérique pour l’éducation ouvre des perspectives pédagogiques et éducatives précieuses.


[1] http://www.oecd.org/fr/education/students-computers-and-learning-9789264239555-en.htm

http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/PISA-2012-students-computers-france-fre.pdf

[2] Plantard, Pascal, Numérique et éducation : encore un coup de « tablette magique » ?, in Administration et Education, n° 146, juin 2015, article cité dans notre billet du 8 septembre : http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-veran/080915/numerique-pour-l-education-quel-point-d-etape

[3] http://www.education.gouv.fr/pid29064/ecole-numerique.html

[4]http://cache.media.eduscol.education.fr/file/Numerique/41/7/Lettre_de_Mission_de_Catherine_Becchetti-Bizot_464417.pdf

[5] Cultures numériques, éducation aux médias et à l’information, MEN, ENS Lyon, IFE, SCEREN éditions, 2013

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