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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 16 juin 2016

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Baccalauréat : «une démocratisation en trompe l’œil» ?

Selon le CNESCO, le baccalauréat français est bien représentatif de l’ambiguïté de notre forme scolaire : il pourrait être à la fois un facteur de lutte contre certaines inégalités scolaires et un leurre en matière de démocratisation.

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On se souvient de l’objectif fixé par le ministre Jean-Pierre Chevènement en 1985 : « Amener 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat ». Trente ans après, où en sommes-nous ?

Le récent dossier publié par le conseil supérieur d’évaluation du système scolaire (CNESCO)[1] apporte des éléments de réponse utiles.

D’une part, les données contenues dans ce dossier nous confirment que l’ambition d’amener 80% d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat ( ce qui ne signifie pas 80% de bacheliers), longtemps jugée déraisonnable en France, a été dépassée dans bien des pays où le nombre effectif de bacheliers est supérieur à ce taux. Dans son introduction au dossier, Natahlie Mons rappelle qu’ « en moyenne dans l’OCDE, 85 % d’une cohorte de jeunes sont diplômés du secondaire supérieur, alors que la France n’a jamais atteint la barre politique symbolique des 80 %. Le Danemark, la Suisse, la Finlande, l’Irlande ou encore la Nouvelle-Zélande dépassent même le seuil de 90 % de diplômés notamment grâce à des écoles de la seconde chance qui permettent à des jeunes sortis précocement du système scolaire d’accéder par la suite au diplôme ».

D’autre part, le dossier prend d’une certaine façon le contrepied de certaines idées reçues.

Il montre en effet que cette prétendue « anomalie française » a essaimé : «En 20 ans, le nombre de pays de l’OCDE organisant un examen national (ou central) à la fin du secondaire a quasiment doublé. Sur les 37 pays de l’OCDE, 27 ont un examen final, soit plus de deux tiers d’entre eux».

Il explique également en quoi l’existence du baccalauréat est bénéfique à l’élévation du niveau de formation des lycéens. « Les comparaisons internationales montrent que, bien conçus et bien organisés, ces tests nationaux font progresser en moyenne les apprentissages des élèves et réduisent les inégalités scolaires globales et d’origine sociale. En effet, ces épreuves harmonisées jouent le rôle d’une référence extérieure à l’établissement et obligent ainsi les enseignants, même dans les établissements les plus défavorisés, à suivre les mêmes programmes scolaires et à viser la maîtrise de méthodes de travail et d’exercices identiques pour tous les élèves». De ce point de vue, «le baccalauréat français qui embrasse un champ très large de matières et propose aux élèves une multiplicité d’épreuves complexes correspond bien aux formes d’évaluations qui peuvent avoir un effet bénéfique sur les résultats des élèves ».

Surtout, le dossier du CNESCO se livre à une analyse de la situation française, où l’on retrouve une spécificité malheureusement bien identifiée : celle de l’inégalité scolaire.

Inégalité territoriale d’abord : si l’écart entre  Mayotte et Saint Pierre et Miquelon est de plus de 20 points en taux de réussite, « il existe, en métropole, un écart de près de 10 points de réussite entre les académies ».

Inégalité entre les trois voies de baccalauréat ensuite. « D’un côté, les baccalauréats des voies générale et technologique présentent un taux de réussite supérieur à 90 % : un pourcentage en constante augmentation depuis 1995, quand seuls 75 % des candidats obtenaient leur diplôme. D’un autre côté, le baccalauréat professionnel a un taux de réussite de 81 %».

 Le CNESCO observe donc un phénomène de « démocratisation ségrégative» : « l’expansion de la population des bacheliers a concerné depuis 20 ans surtout les bacheliers professionnels. Le public du baccalauréat général s’est peu ouvert. À des inégalités verticales (certains élèves ont le bac et d’autres non), se sont substituées, dans le cadre d’une démocratisation ségrégative, des inégalités horizontales (tous les élèves n’ont pas le même bac). Car les trois bacs (généraux, technologiques et professionnels) ont des valeurs différentes et procurent des destins sociaux forts divergents. Les bacheliers professionnels peinent à pénétrer et surtout à réussir dans l’enseignement supérieur, même dans le technique. De plus, singularité très française comparativement aux autres pays de l’OCDE, ils ne s’insèrent en moyenne pas mieux que les bacheliers généraux sur le marché du travail ». Et l'on connaît le poids des déterminismes sociaux et culturels sur les trajectoires qui conduisent vers le baccalauréat professionnel ou le baccalauréat général. « Si 76 % des lauréats enfants de cadres obtiennent un baccalauréat général, 14 % un baccalauréat technologique et 10 % un baccalauréat professionnel, la répartition est de respectivement 32 %, 23 % et 45 % pour les enfants d’ouvriers[2] ».

De ces constatations, le CNESCO tire la conclusion que le baccalauréat doit non pas être supprimé mais profondément transformé : pour Natahalie Mons « le cloisonnement en trois voies distinctes très étanches - une autre singularité française - doit être analysé, le baccalauréat général réellement démocratisé, et les baccalauréats professionnels considérablement rénovés, notamment, dans les services, pour mener à l’emploi ou offrir de réelles perspectives de réussite dans le supérieur. Des formules de secondes chances doivent être offertes aux jeunes adultes».

On serait tenté en effet d’interroger l’existence de trois voies étanches. Et si la démocratisation effective du baccalauréat passait justement par la remise en question de cette étanchéité ? N’y aurait-il pas intérêt à observer comment d’autres pays obtiennent de meilleurs taux de réussite ? Le CNESCO met en avant l’existence effective d’écoles de la seconde chance, encore peu développées en France. Mais on pourrait aller plus loin : et si, comme le propose une note récente de Terra Nova[3], le baccalauréat était, comme dans d’autres pays,  « considéré comme un ensemble de crédits à obtenir séparément, sans compensation, ni calcul de moyenne générale » ? On le voit, la question n’est plus celle circonscrite, de cet examen, mais celle de la conception que l’on se fait de l’évaluation des acquis des élèves, sujet sensible s’il en est et sur lequel, donc, on avance très précautionneusement.


[1] http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2016/06/Dossier_Synthèse_Bac.pdf

[2] http://cache.media.education.gouv.fr/file/etat25/39/8/depp-etat-ecole-2015-niveau-etudes-selon-milieu-social_484398.pdf

[3] Terra Nova – Note - 67/72

http://tnova.fr/rapports/que-doit-on-apprendre-a-l-ecole-savoirs-scolaires-et-politique-educative

Voir aussi le billet : https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/010616/ecole-emancipatrice-ecole-verdict-en-fait-quelle-politique

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