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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 19 janvier 2012

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Vous reprendrez bien un peu de droit mou ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vous reprendrez bien un peu de droit mou ?  

Une institution entre commandement et gouvernance

Le premier billet de ce blog s’est attaché à commenter le contenu du Répertoire des métiers de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur[1].Dans ce second billet, c’est moins au contenu même de ce document que nous allons nous attacher qu’à son statut.

La présentation qui en est faite est, de ce point de vue, fort intéressante.

« (…) Le répertoire des métiers n’est pas opposable. En effet, il n’a pas de portée juridique et réglementaire, contrairement aux statuts de la fonction publique. Ce n’est donc pas un outil de gestion statutaire même si la référence éventuelle est présente dans les fiches métiers ;

le répertoire des métiers ne se substitue pas aux règles en vigueur dans la fonction publique et notamment aux règles statutaires (en matière de recrutement, par exemple). »

Cette publication conjointe de deux ministères s’inscrit donc dans une catégorie de textes qui, à l’inverse des lois, décrets, arrêtés, circulaires et codes n’ont « pas de portée juridique et réglementaire ».

Un système hybride

Depuis le début des années 2000, le ministère de l’éducation nationale se caractérise par ce double régime textuel.

Dans une logique de commandement, les textes à portée juridique et réglementaire continuent de fleurir, s’imposant en droit à tous ceux qui sont chargés de les mettre en œuvre. En fait, c’est une autre question : tous les établissements publics locaux d’enseignement, par exemple, ont-ils  constitué un conseil pédagogique dans les formes prescrites par la loi d’orientation du 23 avril 2005 et le décret n° 2010-99 du 27 janvier 2010 ?

On observe parallèlement la parution de textes sans portée juridique et réglementaire, qu’on peut considérer comme des textes de référence. Ils résultent pour certains d’entre eux de la négociation entre le ministère et des partenaires sociaux, représentatifs d’une partie des personnels. La pratique n’est pas nouvelle, les négociations sociales débouchant souvent sur des protocoles, voire des accords : le protocole de Grenelle du 27 mai 1968, ou les accords de Matignon du 8 juin 1936 sont emblématiques.

Dans l’éducation nationale, la pratique s’est établie de protocoles et autres chartes. Le BO n° 8 du 22 février 2007 publie par exemple une note intitulée Relevé de conclusions sur la situation des personnels de direction, qui commence par  « Les parties signataires sont convenues de ce qui suit ». Elle porte les signatures du ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et de  trois secrétaires généraux de syndicats de personnels de direction.

Mais le REME, pour ce qui le concerne,  ne résulte pas dans ses attendus d’une négociation entre les Ministères qui le publient et les partenaires sociaux. Il n’est pas co-signé.

Son élaboration est néanmoins le résultat d’une concertation. « La description des emplois-types a été faite dans le cadre de groupes de travail associant les différents types d’acteurs concernés : cadres et acteurs RH disposant d’une bonne connaissance de l’emploi-type à décrire, agents exerçant l’emploi-type, experts désignés par les organisations représentatives du personnel ou encore, représentants d’associations professionnelles. Les représentants de l’administration centrale, des services déconcentrés et des établissements se sont fortement investis dans la démarche, conjuguant leurs expériences respectives pour bâtir une représentation fidèle et partagée du travail exercé.

Des réunions spécifiques ont par ailleurs été organisées avec les organisations représentatives du personnel afin de partager une vision commune des métiers. » Nous sommes bien là dans un régime de gouvernance et non plus de commandement.

Quel est le statut de ce document ? La présentation en est fort claire : il s’agit d’un «outil», d’une « aide », d’un « appui », d’un « support », destiné à leurs agents comme aux personnels extérieurs, aux responsables hiérarchiques chargés du recrutement, de la formation et de la professionnalisation, mais aussi aux organisations syndicales et aux partenaires.

Ce texte n’a pas l’ambition de réglementer, de poser des normes. Il s’agit de simples repères fournis par les Ministères pour « accompagner » les agents et les responsables hiérarchiques dans leur parcours de carrière ou dans leur fonction d’encadrement.

N’y a-t-il pas là un bel exemple de gouvernance démocratique ? Les Ministères considèrent leurs personnels et leurs cadres comme capables d’ «agir en fonctionnaires de l’Etat, de manière éthique et responsable », comme l’indique la première des compétences attendues des professeurs, documentalistes et CPE selon l’arrêté du 12 mai 2010[2]. Ils leur font confiance pour utiliser au mieux ces repères pour construire leur parcours professionnel, orienter la politique de recrutement, de formation, de ressources humaines de leur service ou établissement. De ce fait, point n’est besoin de passer par du « droit  dur » au travers d’un texte à portée réglementaire, il suffit d’une sorte de « droit mou » qui laisse à chacun la responsabilité de s’y référer et d’en prendre ou d’en laisser ce qu’il souhaite après analyse du contexte professionnel qui est le sien.

 Un paradoxe de la gouvernance ?

On ne peut manquer de souligner le caractère paradoxal de la situation : ces textes sans valeur juridique ou réglementaire peuvent, parce qu’ils résultent d’une forme de compromis, être plus révélateurs de représentations partagées que des objectifs affichés de la politique éducative nationale.

On a vu, dans notre précédent billet[3]  ce que révélaient à cet égard les contenus comparés des fiches « enseignant » et « responsable des activités éducatives » du REME.

Mais ils permettent parfois d’aller plus loin que les textes officiels en vigueur, sans pour autant créer du droit nouveau, opposable. N’est-il pas, par exemple, remarquable de voir le REME indiquer comme activité principale pour le professeur documentaliste (qui n’existe pas dans la circulaire en vigueur définissant les missions des personnels exerçant dans les CDI, appelés « documentalistes-bibliothécaires ») de « contribuer à faire acquérir la maîtrise et la culture de l’information » et de « mettre en œuvre la politique documentaire de l’établissement », ce qui est absent de la circulaire de 1986 qui définit aujourd’hui encore officiellement leurs missions ?

 Nous y reviendrons dans un prochain billet.

[1] http://www.education.gouv.fr/cid56479/repertoire-des-metiers-de-l-education-nationale-de-l-enseignement-superieur-et-de-la-recherche.html. Voir aussi  notre billet du 14 janvier 2011.

[2] http://www.education.gouv.fr/cid52614/menh1012598a.html

[3] http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-veran/140112/instruire-eduquer-le-repertoire-des-metiers-reme-nous-aide-t-il-y

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