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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 26 mars 2018

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Retour sur les baromètres UNSA Education : en 2018, où en sont les enseignants ?

Entre 2016 et 2018, les données du baromètre UNSA Education montrent notamment une dégradation de la perception que les enseignants ont de la reconnaissance qui leur est accordée, et un élargissement de leur désaccord avec les politiques menées en éducation. Des données qui interrogent sur la réussite du pari ministériel d’une école de la confiance.

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Dans le baromètre des métiers de l’éducation réalisé par l’UNSA Education au début de cette année et dont les résultats ont été publiés le 20 mars[1], on se focalisera sur les enseignants du premier et du second degré pour tenter de dégager quelques lignes de force et quelques questions.

Un premier constat est celui d’une tension entre l’expression nette de l’amour du métier et d’une grande frustration. Frustration majoritaire à l’égard de la reconnaissance et du respect attendus à l’égard de leur pratique professionnelle pour 55% d’entre eux (contre 44), insatisfaction à l’égard des perspectives de carrière pour 78,3% d’entre eux (contre 19,7) comme de la rémunération pour 81,3% d’entre eux (contre 17,2%). Mais cette frustration importante n’est pas plus forte que l’amour du métier partagé par 92,5% d’entre eux (contre 6,9%), le bonheur d’enseigner exprimé par 80,9% d’entre eux (contre 17,8) et le sens des missions qui leur sont confiées pour 78,8% d’entre eux (contre 19,9).

L’expression de cette tension entre satisfaction et insatisfaction est manifeste à travers les réponses apportées à deux questions. Si, majoritairement les enseignants du public comme du privé ne souhaitent pas changer de métier dans les prochaines années (à 57,6% dans le public et 69,2% dans le privé contre respectivement 37,3% et 19,4%), ils ne conseilleraient le choix de leur métier à un jeune de leur entourage qu’à 37% contre 57,5 % d’entre eux qui ne le feraient pas. Il y a là sans doute de quoi nourrir des craintes quand au recrutement des futurs enseignants, à moins que le bonheur qu’ils éprouvent à enseigner ne soit un exemple plus fort que les mises en garde qu’ils pourraient formuler à l’égard de leur métier.

Un second constat est celui de l’attachement fort des enseignants à l’ensemble des missions qui leur sont confiées, aux valeurs du service public et à celles de la République. Pour eux, les trois priorités d’une politique à l’égard de la jeunesse sont l’acquisition de connaissances et de compétences (78,4%), l’émancipation et la citoyenneté (65,6%), l’insertion professionnelle (49,1%). Les trois valeurs du service public à promouvoir sont l’égalité de traitement (59,8%), le sens de l’intérêt général (57,5%) et la laïcité (44,7%). Des trois valeurs de la trilogie républicaine, ils pensent qu’il faut prioritairement renforcer et défendre la fraternité (45,9%) et l’égalité (35,6%), la liberté état à leurs yeux mieux assurée (11,3% la citent).

Un troisième constat concerne les sources d’information privilégiées par les enseignants. On peut percevoir ici l’écart entre leur culture de l’information et celle de leurs élèves. Arrivent en tête en effet les journaux télévisés et radio (55,1%), suivis de la presse quotidienne imprimée ou en ligne (47,9%), d’Internet (38,1%) et enfin des réseaux et médias sociaux numériques (13,2%).

Le quatrième constat est celui de la défiance à l’égard de la politique actuellement conduite. Pour 79,7% d’entre eux (contre 19,9), leurs conditions de travail ne se sont pas améliorées au cours de la dernière année. Les choix politiques en éducation ne recueillent l’accord que de 20,8% d’entre eux, contre 70,1. Quant aux déclarations et actions du ministre relatives à l’école de la confiance, elles reçoivent l’adhésion de 24,7% des enseignants, contre 58,1, 13,6% ne se prononçant pas.

A partir de ces éléments on peut poser quelques questions.

D’abord, quelles sont les évolutions depuis 2016[2] ? On est frappé par la hausse du sentiment de non reconnaissance, de non respect qui de 33%  passe à 55,1% des enseignants. Si le sens des missions s’effrite, en baisse de deux points, comme l’amour du métier, l’accord avec les choix politiques passe de 26 à 20,8%, l’envie de ne pas conseiller à un jeune d’exercer ce métier se renforce, de 53,1 à 57%. Il y a donc, de ce point de vue, une tendance nette à la dégradation.

A jouer sur l’attachement des enseignants à leur métier et à leurs missions sans prendre en compte l’expression de leurs frustrations, ne prend-on pas le risque de voir augmenter le taux d’entre eux qui quittent l’éducation (ils sont plus du tiers à en exprimer l’idée dans le public) ? Il s’agit là d’une tendance forte au décrochage professionnel observée dans certains pays, et déjà décelée en France, qui risque encore de se renforcer[3].

La politique menée et médiatiquement portée par le ministre du quinquennat, si elle a pu paraître convaincante à 71% des mille téléspectateurs interrogés après son passage à l’Emission politique sur France 2 qui a recueilli 7% d’audience, ne soulève pas l’adhésion parmi les enseignants chargés de la mettre en œuvre : plus des deux tiers expriment un désaccord. Pour un ministre qui ambitionne de tout changer dans l’enseignement scolaire, n’y aurait-il pas là une réticence annonciatrice de difficultés grandissantes ?

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[1] http://www.unsa-education.com/spip.php?article3317

[2] http://extranet.unsa-education.com/Docs/Total/T4_EnseignantsEcole_EnseignantsEPLE_Q1Q14.pdf

[3] Voir le billet du 5/1/2017 :

https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/050117/demissions-vs-secondes-carrieres-d-enseignants-l-attractivite-en-question

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