La circulaire n° 2018-012 du 24-1-2018[1], signée pour le ministre par le directeur général de l’enseignement scolaire, M. Huart, constitue une étude de cas particulièrement riche pour tous ceux qui s’intéressent à la gouvernance des organisations éducatives et, tout particulièrement, au respect par le ministère de l’autonomie des EPLE qui leur est garantie depuis 1985.
Rappelons d’abord le contenu relatif à l’autonomie accordée aux établissements publics locaux d’enseignement dès le 30 août 1985 par l’article 2 du décret n°85-924 relatif aux établissements publics locaux d'enseignement.
« Les collèges, les lycées, les établissements d'éducation spéciale disposent, en matière pédagogique et éducative, d'une autonomie qui porte sur :
1° L'organisation de l'établissement en classes et en groupes d'élèves ainsi que les modalités de répartition des élèves ;
2° L'emploi des dotations en heures d'enseignement mises à la disposition de l'établissement dans le respect des obligations résultant des horaires réglementaires ;
3° L'organisation du temps scolaire et les modalités de la vie scolaire ;
4° La préparation de l'orientation ainsi que l'insertion sociale et professionnelle des élèves ;
5° La définition, compte tenu des schémas régionaux, des actions de formation complémentaire et de formation continue destinées aux jeunes et aux adultes ;
6° L'ouverture de l'établissement sur son environnement social, culturel, économique ;
7° Le choix de sujets d'études spécifiques à l'établissement, en particulier pour compléter ceux qui figurent aux programmes nationaux ;
8° Sous réserve de l'accord des familles pour les élèves mineurs, les activités facultatives qui concourent à l'action éducative organisées à l'initiative de l'établissement à l'intention des élèves ainsi que les actions d'accompagnement pour la mise en oeuvre des dispositifs de réussite éducative définis par l'article 128 de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale ».
Si l’on examine le contenu de la circulaire du 24-1-2018, publiée au Bulletin officiel du 25-1-2018, on constate la désinvolture avec laquelle l’autonomie pédagogique et éducative des collèges et des lycées est traitée pour l’enseignement facultatif de langues et cultures de l’Antiquité (LCA).
L’organisation de l’établissement en classes et en groupes d’élèves ainsi que les modalités de répartition des élèves ? Autonomie zéro, puisque les modalités de constitution des groupes sont très encadrées.« Les textes réglementaires ne fixent aucun nombre minimal d'élèves pour ouvrir l'option de l'enseignement de LCA. Des regroupements de deux niveaux peuvent être effectués, notamment en cas d'effectifs très réduits. La constitution de groupes de trois niveaux ne saurait être qu'exceptionnelle car, les programmes d'enseignement étant distincts, la définition de dénominateurs communs qui permettraient de coordonner les apprentissages deviendrait délicate.
La décision de regrouper des niveaux différents ne saurait s'accompagner d'une réduction de la quotité horaire.
Dans le cas des Rep et Rep+, où l'enseignement des LCA a toute sa place et voit son utilité reconnue, des dispositions particulières peuvent justifier la constitution de groupes réduits ».
L’emploi des dotations en heures d’enseignement mises à la disposition de l’établissement dans le respect des obligations résultant des horaires réglementaires ? Là encore, autonomie zéro, puisqu’ « avant toute décision de restreindre l'offre en matière de LCA, les établissements saisiront l'inspecteur d'académie-inspecteur pédagogique régional de Lettres en charge de l'enseignement des LCA ».
L’organisation du temps scolaire et les modalités de vie scolaire ? Là encore, autonomie zéro puisque tout est prescrit, jusqu’au moment de la journée où cet enseignement doit être positionné: « L'emploi du temps des élèves doit permettre le plein déploiement de l'enseignement facultatif :
- au collège, on veille à offrir la possibilité de choisir l'enseignement facultatif LCA aux élèves qui sont en classe bilangue ou qui suivent un enseignement facultatif de langues et cultures européennes ; on ménage également la possibilité d'étudier le latin et le grec à quelque niveau que ce soit ;
- au lycée général et technologique, on rend possible la poursuite conjointe de l'étude d'une LV3 et d'un enseignement facultatif en LCA ainsi que de la participation à une section européenne et à un enseignement facultatif en LCA.
L'enseignement facultatif de LCA ne doit pas, dans la mesure du possible, être positionné systématiquement en début ou fin de journée, ni pendant la pause méridienne : son attractivité pourrait être remise en cause alors même que des efforts sont accomplis pour son développement ».
On passera rapidement sur l’information des élèves qui fait l’objet là-aussi de consignes précises : « En amont, un document sera diffusé auprès des familles ; il mentionne explicitement la possibilité de choix de l'enseignement facultatif de LCA par tous les élèves, sans considération de leur niveau scolaire dans les autres disciplines ».
On se demande comment un tel catalogue de prescriptions et instructions peut être compatible avec les discours ministériels relatifs à l’autonomie des établissements et à la confiance accordée aux personnels. Le 13 décembre, lors d’un entretien publié par Le Monde, M. Blanquer ra éaffirmé sa résolution : « Je veux renverser ce paradoxe et créer plus d’autonomie des acteurs, plus de liberté, plus de pouvoir d’initiative [2]». Faut-il rappeler que, lors de sa conférence de presse de rentrée, il a placé l’actuelle année scolaire sous le signe de l’école de la confiance[3] ?
Cette circulaire est pour le moins révélatrice de la propension toujours forte de la part de la « Centrale » à administrer les collèges et les lycées comme sils étaient des établissements d’Etat dépendant exclusivement de son autorité, soumis à son commandement, et non des établissements publics locaux d’enseignement dotés d’une réelle autonomie pédagogique et éducative. On avait pu croire être passé de la culture de la circulaire à celle du vademecum[4]. Qu’on se rassure : la culture de la circulaire bouge encore, et le commandement a encore de beaux restes !
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[1] http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=125517
[2] http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/12/13/jean-michel-blanquer-l-education-nationale-cree-trop-d-inegalites_5229079_3234.html#QCPSEwMdLqcf7wCJ.99
[3] http://www.education.gouv.fr/cid119317/annee-scolaire-2017-2018-pour-l-ecole-de-la-confiance.html
[4] https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/231117/de-la-culture-de-la-circulaire-celle-du-vademecum-la-fin-du-commandement