Dans notre dernier billet nous avons montré comment la focalisation de l’école au collège sur les « savoirs fondamentaux » constitue un renforcement de la politique de ségrégation des savoirs et des élèves sous le couvert notamment de « soutien » pour les uns et d’ »approfondissement » pour les autres[1].
Mais si les annonces se font séparément, la nouvelle sixième, avec son heure obligatoire de soutien ou d’approfondissement en français ou en mathématiques et l’obligation pour tous les élèves de participer à l’opération Devoirs faits, est très étroitement liée au PACTE enseignant[2] et à l’opération NEFLE (notre école, faisons-la ensemble[3]). Pour ceux qui en douteraient, les ressources présentées aux directeurs des services départementaux de l'éducation nationale (DASEN) par la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) en ce mois de mai et diffusées depuis à l’ensemble de l’encadrement, n’en font pas mystère : ainsi l’une de ces ressources est intitulée « Le pacte au service des savoirs fondamentaux et des parcours scolaires pour les professeurs », déclinée en deux versions pour les professeurs des écoles et ceux de collège.
Les professeurs de collège se voient ainsi proposer des missions nouvelles, activités pédagogiques en présence d’élèves (remplacements de courte durée, devoirs faits, stages de réussite) ou missions au service de l’établissement (appui à la prise en charge d’élèves à besoins éducatifs particuliers) et de coordination de projets (découverte des métiers), chaque mission donnant droit à une part fonctionnelle de 1250 € bruts par an (pour 18 h de remplacement par exemple) et la cumul de missions étant possible.
On pouvait se demander comment serait assurée l’obligation de Devoirs faits pour tous les élèves de 6e et l’heure de soutien ou d’approfondissement en français ou en mathématiques. Le pacte y pourvoit en mobilisant pour assurer ces heures les professeurs du collège mais aussi les professeurs « pactés » des écoles (pour soutien, approfondissement et Devoirs faits) et de lycée (par exemple, les professeurs de lycée professionnel « pactés » interviennent au collège pour faire découvrir les métiers et les formations qui y mènent et accueillent les élèves en lycée professionnel).
La DGESCO va même jusqu’à proposer des exemples d’emploi du temps, où il apparaît que, pour Devoirs faits, les assistants d’éducation et les personnels en service civique continuent d’être mis à contribution dans leur prise en charge. Conclusion officielle : grâce au pacte et à l’opération NEFLE lancée par le CNR, « les écoles et les collèges peuvent mieux répondre aux besoins de chaque élève ; les élèves sont mieux accompagnés tout au long de leur parcours scolaire ».
On peut aisément nuancer très largement cette conclusion des plus optimistes.
D’abord en s’appuyant sur les expériences antérieures de soutien et approfondissement au collège, qui n’ont fait en leur temps que renforcer la ségrégation entre les savoirs et les élèves. Rappelons l’article 7 de la loi Haby du 11 juillet 1975 : « Dans les écoles et les collèges, des aménagements particuliers et des actions de soutien sont prévus au profit des élèves qui éprouvent des difficultés[4] ». L’idée n’est pas neuve, le résultat déjà prévisible.
Ensuite on observera que les professeurs des écoles seraient plus utiles à la réussite des élèves à l’école qu’en intervenant une heure par semaine auprès d’élèves de 6e dont les difficultés n’ont pu être anticipées et résolues à l’école. Le dispositif « plus de maîtres que de classe » mis en place lors de la refondation de l’école en 2012[5] avait permis de mieux appréhender les difficultés et de concevoir en équipe des étayages utiles pour les surmonter dans les écoles. Mais il n’a pas survécu à l’alternance de 2017. En outre, le fait de faire intervenir au collège des professeurs des écoles et des professeurs de lycée, à titre individuel, ne pourra avoir que des répercussions négatives sur le travail d’équipe, déjà difficile, en école et au lycée.
Enfin, les missions supplémentaires prévues par le pacte paraissent peu compatibles avec les résultats du baromètre officiel du bien-être au travail des personnels de l’éducation nationale[6] puisque « La moitié d’entre eux signalent un sentiment d’épuisement professionnel élevé ».
Bref, si la démarche politique est parfaitement cohérente, il n’est pas sûr du tout qu’elle soit efficace ni qu’elle aboutisse à changer véritablement la donne : elle ne remet nullement en question une politique des savoirs dont on mesure, année après année, réforme après réforme, ministre après ministre, les résultats incompatibles avec les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.
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[1] https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/250523/les-savoirs-fondamentaux-ou-le-pave-de-l-ours
[2] https://www.education.gouv.fr/revalorisation-du-metier-d-enseignant-les-etapes-et-les-avancees-du-cycle-de-concertations-344388
[3] https://www.education.gouv.fr/conseil-national-de-la-refondation-notre-ecole-faisons-la-ensemble-343168
[4] https://www.education.gouv.fr/loi-ndeg75-620-du-11-juillet-1975-relative-l-education-3716
[5] https://www.education.gouv.fr/le-dispositif-plus-de-maitres-que-de-classes-projet-et-mise-en-oeuvre-pedagogique-5825
[6] https://www.education.gouv.fr/premiers-resultats-du-barometre-du-bien-etre-au-travail-des-personnels-de-l-education-nationale-343238