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Billet de blog 2 mai 2020

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Justice 4 - Autisme : Guide pour le personnel et les agents de police / 2

Dossier police et justice : un guide par la "National Autistic Society". Extraits : Interroger des victimes, témoins ou suspects autistes

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Suite de Justice 3 - Autisme : Guide pour le personnel et les agents de police / 1

Autisme : guide pour le personnel et les agents de police (version complète PDF)

Interroger des victimes, témoins ou suspects autistes

Avant l’interrogatoire

Obtenir des informations générales sur la personne

En savoir davantage sur l’autisme de la personne peut aider à diminuer le stress et à améliorer la qualité des preuves que vous obtiendrez. Parlez- lui, ainsi qu’aux personnes qui l’accompagnent (famille ou travailleurs de santé) pour déterminer :

  • ce qui la fait se sentir stressée et anxieuse
  • quels peuvent être ses « intérêts spécifiques » ; pensez à la manière dont vous pourriez vous appuyer dessus pour établir une relation, ou à la manière de les éviter s’ils créent des distractions.
  • si elle a des difficultés sensorielles ou des déclencheurs, et quelles techniques de retour au calme elle utilise, afin de ne pas les interrompre.
  • la façon dont vous pouvez adapter l’environnement pour qu’il convienne mieux à ses besoins sensoriels.

Rappelez-vous : les gens qui connaissent la personne seront les mieux placés pour savoir comment la soutenir dans la communication avec vous. Il peut aussi être nécessaire de rechercher l’avis d’un psychologue ou d’un travailleur social spécialisés dans l’autisme.

Il est essentiel d’organiser plusieurs rencontres avant l’interrogatoire pour aider l’enquêteur à établir une relation, à mieux connaître les besoins en communication de la personne, et en définitive améliorer la qualité de l’interrogatoire.

Il est essentiel d’obtenir le soutien d’un « adulte approprié » (AA) pour un enfant ou un adolescent sur le spectre de l’autisme, afin d’aider à faire avancer l’opération pour les suspects (voir page 28).

Gérer le stress et l’anxiété en menant l’interrogatoire

Les autistes peuvent avoir beaucoup de mal à appréhender les changements dans leur routine, et seront souvent stressés si on dérange leurs habitudes (par exemple, en les emmenant à un poste de police).

Même les événements prévus, comme le jour de l’interrogatoire enregistré par vidéo, peuvent s’avérer très stressants.

Si une personne autiste est submergée par le stress, elle peut connaître un effondrement (voir page7).

Présentez toujours les procédures à l’avance et suivez-les autant que possible. Si vous ne pouvez éviter des changements, signalez- les à la personne autant que possible.

Donnez toujours à la personne des renseignements suffisamment détaillés pour qu’elle sache ce qui va se passer, et ce à quoi elle doit s’attendre. Envoyez-lui un courrier personnalisé qui :

  • est adaptée à ses besoins en communication
  • expose clairement les procédures, expliquant combien de temps dureront les longs passages, et ce qui se passera
  • utilise des images et un langage clairs et directs

Vous pouvez aussi prévoir un emploi du temps visuel pour ajouter à la compréhension et répondre aux attentes de la personne. Cela devrait inclure des images et montrer clairement l’ordre de déroulement des différentes étapes

À faire et à ne pas faire pendant l’interrogatoire

A faire

  • Se renseigner sur les besoins particuliers de la personne, notamment ce qui crée pour elle un stress particulier et des problèmes sensoriels, auprès d’elle et de son entourage.
  • Penser à demander à un intermédiaire d’aider à la communication (voir page 25).
  • Préparez l’environnement de l’interrogatoire pour prendre en compte ses besoins sensoriels.
  • Donnez des informations au préalable, sur des supports clairs et accessibles.

A ne pas faire

  • Laisser la personne dans le flou ou la confusion sur les prochains événements et leur déroulement.
  • Procéder à de brusques changements dans la procédure.
  • Partir du principe que vous savez mieux ce qu’il faut faire pour communiquer avec la personne.
  • Faire des suppositions sur son niveau de compréhension.

Étude de cas n°2 : HAMPSHIRE POLICE

Un jeune homme avait été arrêté après avoir jeté des pierres sur les voitures, en haut d’un pont d’autoroute près de chez lui. Il ne pouvait quasiment pas communiquer verbalement, et quand on lui demandait pourquoi il avait fait cela, il répondait par un bruyant « hm hm ».

Nous avons appelé un avocat pour aider, et après un certain temps avec le jeune homme, il s’est avéré qu’il était extrêmement sensible au bruit, et celui de l’autoroute était incroyablement intense pour lui là où il habitait.

Sa réaction a été d’aller jeter des pierres sur « le bruit » pour essayer de le supprimer. Il n’avait pas conscience du danger pour les automobilistes.

Cela a aussi établi qu’il avait en fait répondu à nos questions à sa manière. Quand nous lui avions demandé pourquoi il avait fait ça, son « hm hum » constituait une réponse honnête à notre question.


Pendant l’interrogatoire

Aménager les problèmes sensoriels

Pour de nombreux autistes, il est difficile de traiter les informations sensorielles quotidiennes comme la vue, les sons, ou les odeurs.

Quand les personnes autistes ont du mal à supporter les informations sensorielles présentes dans l’environnement :

  • elles peuvent devenir stressées, saturées ou anxieuses, et même ressentir une douleur physique
  • leur anxiété peut les faire devenir agitées ou perturbées ; si l’anxiété augmente, elles peuvent même devenir violentes
  • il peut leur être difficile de se concentrer, d’écouter les questions qu’on leur pose, ou de répondre correctement
  • un effondrement peut survenir chez elles : elles deviennent complètement dépassées par la situation présente et perdent temporairement le contrôle de leur comportement

Ajustements conseillés :

Essayez d’interroger la personne dans un autre lieu, comme un endroit qui leur soit familier, ou une pièce adaptée à leurs besoins.

Pensez :

  • à modifier l’éclairage, en utilisant par exemple une lampe plutôt qu’un tube fluorescent
  • à supprimer toute distraction sonore, comme un ventilateur électrique

Vous devriez aussi autoriser la personne à tenir, ou à jouer avec, un objet fétiche, ou un jouet tactile (comme une balle anti-stress, de la pâte à malaxer ou un bout de ficelle), qui peuvent l’aider à se concentrer.

Ayez des approches de langage et de communication appropriées

Un enquêteur peut aider en :

  • parlant calmement d’une voix naturelle
  • conservant un langage aussi simple et clair que possible, en ne prononçant que les mots nécessaires
  • évitant d’utiliser des figures de style, l’ironie ou le sarcasme
  • essayant de ne pas exagérer les expressions du visage ni le ton de la voix (ce qui pourrait être mal interprété)
  • se tenant au minimum de gestes pour réduire les distractions – mais, si nécessaire, en les accompagnant de déclarations sans ambiguïté pour clarifier leur sens
  • commençant chaque question par le nom de la personne pour qu’elle sache qu’on s’adresse à elle
  • disant à la personne quelles instructions ou questions pourraient suivre, par exemple : « John, je veux que vous me parliez de... »
  • accordant plus de temps à la personne pour répondre, sans supposer que son silence signifie qu’elle ne va pas donner de réponse
  • reformulant la question si aucune réponse ne vient
  • incitant la personne à rassembler suffisamment d’informations pertinentes, car elles peuvent ne pas être capables d’informer l’enquêteur quand elles n’ont pas compris

N’oubliez pas que chaque personne sur le spectre est différente. On fait souvent référence à l’autisme comme à « un handicap invisible ». Ce n’est pas parce qu’une personne parle bien à l’oral qu’elle comprend aussi bien ce qu’on lui dit. Assurez-vous qu’une personne autiste soit toujours traitée comme une personne vulnérable, quelles que soient ses capacités apparentes

Structurez l’interrogatoire et les questions de manière adaptée

Quel type de modèle interrogatoire utiliser ?

La technique d’interrogatoire cognitif, utilisée par la police lorsqu’il s’agit d’interroger des témoins oculaires et des victimes sur ce dont elles se souviennent de la scène de crime, a été prouvée comme étant inutile pour la plupart des personnes autistes.

Cette méthode vise à ce que la personne arrive à se rappeler de tout ce qui est arrivé, même si elle pense que c’est anodin. Cependant, quand on l’utilise avec des personnes autistes, il est possible que la série de consignes de « rétablissement dans le contexte » (par exemple, en demandant à la personne de se souvenir de détails du contexte qui entourait l’événement) soient une surcharge.

La meilleure pratique serait soit d’utiliser un interrogatoire simple et structuré, soit une technique à base de dessin, plutôt qu’un interrogatoire cognitif. Cela devrait être réalisé par des policiers, des personnels ou des intermédiaires formés à ces techniques, plutôt qu’un non-spécialiste. Il n’est peut-être pas possible de rassembler toutes les informations nécessaires en un seul interrogatoire. Faites en sorte que celui-ci soit le plus court possible. Il peut arriver qu’un autiste n’arrive à se concentrer que 10-15 minutes maximum.

Avant le début de l’interrogatoire, montrez à la personne la pièce où les parents, les soignants ou les adultes accompagnateurs attendront pendant l’interrogatoire, pour l’aider à gérer l’angoisse de séparation.

Commencer avec des questions type

De nombreux autistes parviennent mieux à communiquer quand il leur est possible de contrôler le rythme, la durée de l’interrogatoire et les pauses. Une aide visuelle claire, comme un sablier, peut y aider efficacement.

Avant de commencer l’interrogatoire officiel, demandez à la personne de vous parler d’un événement neutre (qui n’est pas en rapport avec le cas). Faire ceci permet :

  • de vous aider à entrer en relation
  • de vous aider à présenter les règles de communication
  • de vous donner une possibilité de voir comment la personne réagit à différents types de questions.

Quelle sorte de questions employer ?

Les autistes peuvent se souvenir de très petits détails, et doivent se les rappeler dans l’ordre, plutôt que de passer directement à ce que vous estimez être les points clés. Cela signifie qu’il peut leur falloir plus de soutien et de patience pour les aider à se rappeler des détails pertinents.

Souvent, des questions « sans aide » ou indices (comme « dites-moi ce qui s’est passé ») sont inutiles, parce qu’elles exigent de la part de la personne autiste d’anticiper quelle sorte d’information vous demandez. Cela veut dire que vous recevrez peut-être des réponses qui seront sans rapport avec le fait en cause. Vous aurez beaucoup plus de chances d’obtenir des réponses utiles en posant des questions claires et explicites (comme « quand vous êtes arrivé(e) au magasin à 16 h hier, que vous a dit le commerçant ? »).

Si vous utilisez des questions qui demandent des réponses à choix fixe, comme des questions fermées (par oui/non), présentez toujours un troisième choix comme « je ne sais pas ». Il peut également être utile de faire une liste de ces questions, en commençant par les choix les moins plausibles. Par exemple, si le délit est en rapport avec le père, un ensemble de questions fermées à proposer pourrait être :

  • « Est-ce que cette personne est quelqu’un de l’école ? »
  • « Cette personne est-elle votre frère/sœur ? »
  • « Cette personne est-elle votre mère ? »
  • « Cette personne est-elle votre père ? »

Servez-vous de preuves pertinentes qui ne sont pas contestables pour appuyer vos questions, par exemple : « l’homme qui a attrapé votre sac – était-il plus petit ou plus grand que moi quand je suis debout ? Ou est-ce que vous n’êtes pas sûr(e) ? »

Pour finir, il est vraiment important de ne pas utiliser de questions orientées. On ne peut pas influencer des personnes autistes (à moins qu’elles aient aussi une déficience intellectuelle) comme d’autres personnes non-autistes. Toutefois, elles peuvent être plus susceptibles d’être d’accord avec les suggestions de l’enquêteur, ou avec des affirmations fausses, et de ne pas en percevoir les conséquences.

Demander par exemple : « Y a-t-il dans votre ordinateur portable quelque chose en rapport avec des actes terroristes ? » peut amener à recueillir un accord, par le fait qu’un navigateur internet ou un éditeur de texte pourrait être employé pour planifier tout et n’importe quoi.

Aides visuelles

Les autistes comprennent souvent mieux l’information visuelle que les mots, celle-ci peut donc être utile pour :

  • appuyer les questions par des aides ou des supports visuels
  • demander à la personne de dessiner ou d’écrire ce qui s’est passé
  • créer des fiches en rapport avec les éléments de l’événement en cause

Pour plus d’informations sur les interrogatoires avec des personnes autistes, le Portail de l’Avocat propose des kits d’outils sur l’autisme pour les avocats sur www.theadvocatesgateway.org/toolkits. [traduction à suivre]

 À faire et à ne pas faire au cours de l’interrogatoire

A faire

  • Penser à utiliser des dessins et des schémas
  • Proposer des pauses et temps libres fréquents, si nécessaire
  • Adapter son langage à la personne
  • Commencer ses phrases par le nom de la personne lorsque c’est à propos
  • Être conscient(e) de ce que la personne comprend, ainsi que de ce qu’elle peut dire elle-même – ces capacités sont parfois asymétriques
  • Vérifiez fréquemment la compréhension et reformulez les réponses.
  • Abordez seulement un point par question, par exemple : «Le commerçant était-il au téléphone quand vous êtes entré(e) ? » et évitez des questions à empilement et en plusieurs parties, comme par exemple : « Le commerçant était-il au téléphone quand vous êtes entré(e), et a-t-il raccroché ? »
  • Employez les temps du passé pour des événements qui se sont déjà produits, comme : « Pensez au moment où vous étiez dans le magasin. Avez-vous parlé à Simon ? »
  • Posez des questions directes et littérales comme : « Saviez- vous à ce moment-là que Simon courait jusqu’à tard au soir ? » et évitez les questions où les affirmations contenant des insinuations, ou demandant des conclusions ou déductions comme : « Vous saviez qu’il était en retard mais vous êtes quand même allé(e) au magasin le matin ? »

A ne pas faire

  • Essayer d’arrêter les comportements répétitifs – ils peuvent constituer un mécanisme de défense
  • Leur enlever leurs objets de réconfort
  • Interpréter à tort l’écholalie (répéter ce que vous dites) ou le silence comme de l’insolence ou un évitement pour répondre aux questions
  • Avancer trop vite – il faut leur laisser suffisamment de temps pour traiter les questions et verbaliser une réponse
  • Formuler les questions comme des affirmations, ou marquer les questions seulement par l’intonation, par exemple : « Vous êtes allé(e) au magasin ? »
  • Utiliser des questions « étiquetées » comme « Vous êtes allé(e) au magasin, n’est-ce pas ? » ou des marqueurs d’encouragement comme « C’est ça»
  • Poser des questions en conjuguant les verbes au présent, comme « Donc, maintenant, est-ce que vous êtes dans le magasin en train de parler à Simon ? »

Illustration 2

Sommaire :

  • Qu’est-ce que l’autisme ?  page 2
  • Différentes appellations 4 - Caractéristiques de l’autisme 4 - Étude de cas 8
  • Reconnaître et approcher des personnes autistes page 9
  • Signes indiquant qu’une personne est peut-être autiste 10 - Réactions des policiers : à faire et à ne pas faire 11
  • Arrestations et gardes à vue page 13
  • L’arrestation 14 - À faire et à ne pas faire pendant l’arrestation 14 - Bien agir avec une personne autiste en garde à vue 15 - À faire et à ne pas faire en garde à vue 16
  • Interroger des victimes, témoins ou suspects autistes page 17
  • Avant l’interrogatoire 18 - À faire et à ne pas faire pendant l’interrogatoire 19 - Étude de cas 20 - Pendant l’interrogatoire 20 - À faire et à ne pas faire pour le déroulement de l’interrogatoire 25
  • Adultes appropriés (AAs) et intermédiaires page 27
  • Qu’est-ce qu’un Adulte Approprié ? 28 Qu’est-ce qu’un intermédiaire ? 28
  • Aide et soutien page 30
  • Société Nationale de l’Autisme 31 - Association Nationale de l’Autisme dans la Police (NPAA) 31

Autisme : guide pour le personnel et les agents de police (PDF)

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