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Billet de blog 14 déc. 2022

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Étendre le spectre de l'autisme : Q&R avec Oluwatobi Abubakare

Un entretien avec Abubakare sur les modèles du handicap et sur la façon dont iel espère que le domaine de la recherche sur l'autisme évoluera pour inclure des personnes ayant des origines raciales, des identités de genre et des contextes spirituels différents.

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spectrumnews.org Traduction par Pascale Castonguay de "Broadening the autism spectrum: Q&A with Oluwatobi Abubakare" - PAR RACHEL ZAMZOW / 20 SEPTEMBRE 2022

L'EXPERT : Oluwatobi Abubakare, Doctorant.e, Université d'Indiana Bloomington

Illustration 1
© Avec l'aimable autorisation de l'Université d'Indiana Bloomington / Oluwatobi Abubakare

Oluwatobi Abubakare est habitué.e à briser les moules. Abubakare, qui utilise le pronom "iel", est l'une des rares personnes Noires à participer aux répétitions hebdomadaires de l'orchestre symphonique de Bloomington, où iel joue du violon. En tant qu'étudiant.e en deuxième année de doctorat en psychologie clinique à l'Université d'Indiana Bloomington, iel fait également partie de la minorité en tant que chercheur.e noir.e et autiste.

Dans un essai publié en juin dans Autism in Adulthood, [traduction] Abubakare a raconté ses nombreuses expériences d'être "autre". Cela a commencé dès le plus jeune âge : sa famille nigériane, qui appartient à la foi chrétienne yoruba, considérait les retards de développement d'Abubakare comme une punition de Dieu.

Même après avoir déménagé de Lagos, au Nigeria, à Houston, au Texas, où Abubakare a été diagnostiqué.e avec une paralysie cérébrale et a subi des procédures pour améliorer sa capacité à marcher, sa famille a cherché des solutions spirituelles et a soumis Abubakare à des prières de guérison, à des jeûnes et à la consommation d'huile d'olive ointe - des expériences qui "ont entraîné beaucoup de mal intériorisé", dit Abubakare. La famille espérait également guérir la timidité extrême et les difficultés sociales d'Abubakare, des traits d'autisme qui n'ont fait l'objet d'un diagnostic qu'après qu'Abubakare ait obtenu son diplôme d'études secondaires.

À l'université, Abubakare a découvert une vision différente de ce que c'est que d'être handicapé.e - une vision qui accepte le handicap comme une facette de l'identité d'une personne plutôt que comme un défaut à corriger. Spectrum s'est entretenu avec Abubakare sur les modèles du handicap et sur la façon dont iel espère que le domaine de la recherche sur l'autisme évoluera pour inclure des personnes ayant des origines raciales, des identités de genre et des contextes spirituels différents.

Cette interview a été modifiée pour des raisons de longueur et de clarté.

Spectrum : Pourquoi avez-vous voulu écrire cet article de journal?

Oluwatobi Abubakare : L'une des principales motivations était qu'il s'agissait d'un numéro spécial sur les intersections. J'avais l'impression que de parler du fait d'être un.e immigrant.e africain.e ayant ce handicap, et d'avoir également un handicap physique en plus de l'autisme - c'était une intersection qui devait être discutée. J'ai donc écrit cet article afin de faire connaître ce sujet, de voir si d'autres personnes ont des expériences similaires et de voir comment les gens y réagissent.

J'ai reçu quelques courriels d'autres personnes, et je pense que cet article les a aidées à comprendre qu'elles ne sont pas seules. Je lis beaucoup d'articles sur l'autisme, j'entends beaucoup de conférences sur l'autisme, et c'est toujours quelqu'un qui ne me ressemble pas ou qui n'a même pas de perspectives comme moi, et c'est comme, "Eh bien, devrais-je encore être dans ce domaine?" J'ai donc essayé d'apporter cette contribution pour que d'autres personnes aient le courage de s'exposer davantage et de faire valoir leurs points de vue dans la recherche sur l'autisme.

S : Comment se comparent les modèles spirituel et médical du handicap, et comment vous ont-ils affecté?

OA : Aucun des deux ne m'a permis d'accéder à qui j'étais, parce qu'ils essayaient tous deux de pousser cette idée de normalité, même si leurs versions de la normalité étaient différentes. Donc [pour le modèle spirituel] il s'agissait davantage de : Soyez plus spirituel.le, meilleur.e ; soyez plus proche de Dieu, du moins dans ce contexte. Quant au modèle médical, il s'agit plutôt d'avoir ce corps humain idéal, déterminé par le pouvoir médical comme "le corps".

S : Comment en êtes-vous venu.e à vous considérer différemment et à accepter vos handicaps comme faisant partie de votre identité?

OA : La raison pour laquelle je suis devenu.e plus conscient.e de ces choses qui se passaient autour de moi et pour moi est mon implication dans les débats à l'université. Cela m'a en quelque sorte forcé.e à lire des études et à créer mes propres arguments. Cela m'a forcé.e à vraiment réfléchir à différentes façons de faire fonctionner le monde. Et c'est le point de départ qui m'a vraiment aidé.e à comprendre l'intersection de la discrimination fondée sur la capacité physique et du racisme, et la façon dont tout cela a affecté ma vie avant et pendant l'université.

S : Qu'espérez-vous que les chercheurs en autisme, les parents et les chefs religieux apprennent de l'histoire de votre éducation ?

OA : Je pense qu'au fond, tout ce qu'ils veulent, c'est qu'un enfant survive et soit heureux. Mais le problème est qu'en raison de la façon dont la société considère les personnes handicapées, nous sommes parfois infantilisées. Les gens pensent que nous ne savons pas ce que nous voulons, simplement parce que nous communiquons peut-être différemment ou d'une manière que la société est incapable de saisir, comme pour les personnes qui sont minimalement verbales ou non verbales. Et donc je pense que les gens ont tendance à apporter leurs propres idées de ce que nous pensons que cette personne veut. Nous devons trouver comment comprendre les besoins de cette personne, dans son propre sens, et non pas ce que nous pensons qu'elle devrait obtenir parce que nous voulons la rendre aussi normale que possible, en supposant que normal signifie une vie formidable.

S : Quels facteurs ont pu retarder votre diagnostic d'autisme?

OA : La communauté nigériane, en particulier les Nigérians de Houston, la façon dont ils comprennent l'autisme n'est pas ce type de spectre. Donc, lorsque vous leur dites que quelqu'un est autiste, ils supposent qu'il s'agit d'une personne non verbale, qui a des conditions concomitantes comme une déficience intellectuelle. Ils ne verront jamais cela en moi, parce que ce n'est pas moi.

La société, du moins quand j'étais enfant, n'était pas très familière avec les autistes qui ne sont pas blancs. Cela a influencé la perception des gens qui n'étaient pas capables de voir que je pouvais être autiste.

L'autisme est encore conceptualisé par l'épistémologie occidentale. Un [exemple] déterminant est l'importance accordée au contact visuel. En grandissant, je n'établissais pas de contact visuel, mais ce n'était pas un problème pour mes parents, car, en particulier dans la culture yoruba, vous ne devez pas établir de contact visuel avec les personnes plus âgées que vous. C'est un manque de respect. Et j'étais entouré.e de personnes plus âgées : Mes parents sont plus âgés que moi ; mes frères et sœurs sont beaucoup plus âgés que moi.

S : Comment pensez-vous que les chercheurs sur l'autisme peuvent remodeler leur travail pour être plus inclusifs des identités croisées qui sont souvent négligées?

OA : Malheureusement, une grande partie de la recherche est effectuée par commodité en termes d'échantillons. Les populations qui ont tendance à être plus proches des milieux universitaires sont généralement blanches et de statut socio-économique plus élevé. Vous ne verrez qu'une seule version de l'autisme, car vous puisez dans cette population. Une grande partie de la recherche sur l'autisme se concentre encore sur les personnes qui sont verbales et ont un QI supérieur à la moyenne, et ce n'est pas non plus tout l'autisme. Les personnes autistes sont diverses à bien des égards. Et ce que nous devons faire en tant que cliniciens et chercheurs, c'est essayer de mieux saisir cela.

S : En tant que membre d'une nouvelle génération de chercheurs sur l'autisme, qu'espérez-vous changer dans le domaine?

OA : Je veux m'assurer que je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour que le domaine de l'autisme ne ressemble plus à de vieux hommes blancs - avoir des recherches provenant non seulement de divers milieux raciaux et ethniques, mais aussi avoir beaucoup d'intérêt pour l'autisme en dehors du sens occidental. Essayer de travailler avec d'autres chercheurs qui existent en dehors de l'Amérique, du Royaume-Uni et de l'Australie est un de mes objectifs.

Et puis je pense que l'autre chose que j'essaie de faire dans ma carrière, c'est de pousser cette idée que le handicap n'est pas négatif en soi, que les expériences peuvent être positives, mais qu'il y a aussi des nuances. Je veux essayer de faire avancer la recherche et les soins cliniques qui saisissent vraiment à la fois la beauté et la négativité des différences, mais sans voir la différence comme une mauvaise chose. Nous devons trouver comment créer une société qui permette à ces différences de s'épanouir.

S : À la fin de votre article, vous soulignez la nécessité d'accroître la sensibilisation à l'autisme au sein des communautés d'immigrés noirs et africains sans les aliéner. Comment suggérez-vous aux chercheurs de travailler avec ces communautés?

OA : Je pense que la meilleure façon de commencer à aborder ce problème est de s'assurer que les gens respectent les valeurs des autres et de ne pas supposer que les uns sont meilleurs que les autres. Une chose que je rencontre souvent dans la recherche et aussi dans le travail clinique, c'est que les gens arrivent avec une idée préconçue qu'ils savent tout, que parce que nous sommes ancrés dans la science occidentale, nous savons comment traiter ceci. Et donc, tous les types de croyances que vous avez ne sont pas valables. Je pense que le fait de respecter le fait que les gens peuvent avoir des compréhensions différentes de la même chose est une façon pour les chercheurs en autisme d'approcher ces communautés et d'essayer de les aider d'une manière qui fonctionne avec elles.

Citer cet article : https://doi.org/10.53053/UKXK5010


 Une autiste inattendue - Oluwatobi Abubakare 

Témoignage d'une étudiante en psychologie, originaire du Nigéria, diagnostiquée tardivement comme personne autiste. Un exemple, entre autres, de modèle spirituel du handicap.

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