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Billet de blog 22 septembre 2021

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AESH à la cantine, l'Eglise catholique et le Conseil d'Etat … la CNSA et la CDAPH

L'enseignement privé est percuté par une décision du Conseil d’État concernant les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) pendant le temps péri-scolaire, notamment cantine. Et la CNSA s'en mêle, en supprimant le rôle de la CDAPH pour notifier ce besoin.

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Illustration 1
Enclos de la Roche-Maurice (Bretagne)

L'année dernière (20 novembre 2020), le  Conseil d'Etat avait considéré que l'accompagnement d'un élève handicapé en TAP (temps d'activité péri-scolaire) ne devait pas être financé par l'Etat, mais par la mairie, collectivité locale compétente en maternelle et primaire. Il contredisait une position prise par des cours administratives d'appel, qui s'étaient appuyées sur une décision antérieure prise en référé par le Conseil d'Etat (décision du 20 avril 2011).
Mais le Ministère de l'Education Nationale résistait autant que possible à cette jurisprudence.

Le  Conseil d’État a ensuite précisé à la presse que cette décision s'appliquerait au temps de cantine, ce qui ne résultait pas de façon évidente de sa décision.
C'était un renversement par rapport à la jurisprudence antérieure.
Apparemment, cela voulait dire que l'accompagnement par une aide humaine (AESH) à la cantine serait financé par les communes en maternelle et primaire, par les conseils départementaux pour le collège, et la région pour les lycées.
Mais il y a un hic ! C'est l'enseignement privé, financé par un « forfait d'externat ». C'est un forfait, et la législation ne permet pas jusqu'à présent de tenir compte de critères comme l'accompagnement d'élèves en situation de handicap.
Ce sont donc les écoles privées qui doivent financer cette aide humaine.

Illustration 2


La Direction Diocésaine de l'Enseignement Catholique (DDEC) du Finistère a évalué les conséquences financières pour les établissements dépendant d'elle. 38 000 heures par an, 630.000 €.
Si cette question est particulièrement sensible, c'est que l'enseignement privé représente près de la moitié des élèves dans le département, mais aussi que la jurisprudence du Conseil d’État est intervenue à partir d'un litige concernant la commune de Plabennec (Finistère). Compte tenu de la décision du juge des référés du CE, l'inspection académique finance les AESH à la cantine depuis plus de 10 ans.
Et la CDAPH (instance décisionnaire à la MDPH) prend soin depuis longtemps de notifier le nombre d'heures d'accompagnement en péri-scolaire.

Compte tenu de la situation créée par le revirement de la jurisprudence, le rectorat d'académie a accepté de financer dans le Finistère les AESH péri-scolaires au moins jusqu'au 31/12/2021. En 2022, il n'y a pas que la question du financement qui se pose, mais aussi celle des contrats de travail.
Dans mon expérience dans l'autisme, il y a un nomadisme justifié pour trouver une école suffisamment « inclusive », qu'elle soit publique ou privée. S'il y a une conséquence financière, cela pourrait conduire à des rejets. La question concerne surtout les communes (sauf les plus grandes, qui acceptent plus facilement le financement).

Pour le Conseil Constitutionnel, il n'y avait pas de charges supplémentaires - pour les collectivités locales - non compensées par des ressources dans la modification du Code de l’Éducation concernant les AESH (ou AVS). On constate que ce n'est pas le cas.
Il semble que certaines communes du département du Finistère acceptent de financer – sans base légale – l'accompagnement par aide humaine dans les cantines des écoles privées.

La décision du Conseil d'Etat était proprement « réactionnaire », car elle refusait de faire porter sur l’État la responsabilité de services nécessaires à la scolarisation en cas de handicap. Elle a un effet imprévu pour l'enseignement privé catholique.
La solution n'est pas encore connue, mais il est important qu'en attendant, les CDAPH notifient bien le besoin d'aide humaine pour les temps péri-scolaires.

La notification CDAPH non opposable ?

La CNSA a demandé aux MDPH de ne plus notifier un temps d'accompagnement péri-scolaire, au motif que la CDAPH ne serait pas compétente pour notifier cet accompagnement. Elle pourrait le "préconiser", mais cette notification serait non opposable aux collectivités organisatrices de ces temps, qui ne seraient donc pas obligées de la mettre en œuvre.
C'est un sacré recul.

L'article L.917-1 du code de l'éducation pourtant commence bien par : "Des accompagnants des élèves en situation de handicap peuvent être recrutés pour exercer des fonctions d'aide à l'inclusion scolaire de ces élèves, y compris en dehors du temps scolaire."

L'article L 241-6 du code de l'action sociale et des familles précise que la CDAPH  "est compétente pour : 1° Se prononcer sur l'orientation de la personne handicapée et les mesures propres à assurer son insertion scolaire ou professionnelle et sociale ;"

Mais la CNSA se base sur une partie de l'argumentaire du Conseil d'Etat  (20/11/2020): "

  • Il résulte des dispositions qui viennent d'être citées, éclairées par leurs travaux préparatoires, notamment ceux de la loi du 30 avril 2003 relative aux assistants d'éducation et de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, que lorsque la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées constate qu'un enfant en situation de handicap scolarisé en milieu ordinaire doit bénéficier d'une aide humaine, elle lui alloue l'aide individuelle prévue à l'article L. 351-3 du code de l'éducation, à hauteur d'une quotité horaire qu'il lui revient de déterminer et qui, eu égard à son objet, ne peut concerner que le temps dédié à la scolarité.

Cet argumentaire contredit pourtant les deux articles cités plus haut et ne fait pas partie de la décision elle-même du Conseil d’État.
Sophie Cluzel, lorsqu'elle était présidente de la FNASEPH, s'était montrée hostile à l'intervention des AESH (ex-AVS) sur le temps périscolaire. Elle avait pourtant soutenu cette prise en charge par l’État pour la cantine dans une réponse à un député le 16/4/2019, mais le Ministre de l’Éducation Nationale avait fait appel des décisions des cours administratives. 

Et aujourd'hui, bien que çà ne figure que dans l'argumentaire ou les informations orales du Conseil d'Etat, les CDAPH auraient perdu leur droit à notifier les mesures nécessaires à l'insertion scolaire !

L'extension à la cantine de la décision du CE du 20 novembre 2020 résulte d'une décision du 30 décembre 2020 (concernant justement la commune de Plabennec) qui indique :

  • " Il résulte de tout ce qui vient d'être dit qu'en jugeant qu'il incombait à l'Etat, dès lors que la commission départementale des droits et de l'autonomie des personnes handicapées du Finistère avait décidé que l'enfant D... A... bénéficierait de l'aide individuelle prévue à l'article L. 351-3 du code de l'éducation durant le temps scolaire et durant le temps périscolaire, d'assurer la prise en charge financière du coût de l'accompagnant chargé d'assister cet enfant, y compris lorsque ce dernier intervient en dehors du temps scolaire, notamment lors des temps d'accueil et des temps d'activités que la commune de Plabennec organise, la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, le ministre de l'éducation nationale est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué."

L'arrêt admet donc que la CDAPH pouvait décider d'une aide individuelle "durant le temps périscolaire".

Le Conseil d’État a renvoyé l'affaire d'avant la cour administrative d'appel de Nantes.

La CNSA ne va-t-elle pas plus vite que la musique en dépouillant les CDAPH de leur pouvoir - et de leur obligation - de notifier les mesures destinées à l'insertion scolaire ?

NB : l'accompagnement par des AESH est plus important dans le département dans le Finistère, et il est noté en particulier dans le rapport de la Chambre régionale des Comptes sur les MDPH - voir page 30. Une explication peut provenir d'un tournant inclusif, avant la loi de 2005, de l'inspection d'académie du Finistère, qui a favorisé le développement des auxiliaires de vie scolaire (ancien nom des AESH). Nous en avons vu l'effet bénéfique pour la scolarisation des élèves autistes, avec le soutien du Centre de Ressources Autisme.


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