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Billet de blog 14 avril 2023

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Grands médias : l'essoufflement ?

Alors que grèves, manifs, blocages et occupations se renouvellent chaque semaine, les grands médias jouent la petite musique de l' « essoufflement », de la « trêve », du « pourrissement ». Stratégie politique, sans doute, mais aussi paresse intellectuelle face à un mouvement qui dure, essaime, se décentralise et donc se complexifie. Face à cette complexité, certain·es journalistes s'essoufflent.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a eu janvier et février, avec leur cortège de manifestations, de positionnements intersyndicaux et d'analystes politiques. Des chiffres de manifestant.es en hausse, des communiqués de presse bien recopiés, des tweets solennels de personnalités politiques en vue.

Il y a eu mars, avec son imposant agenda parlementaire, ses dates-phares, ses incinérateurs éteints et sa capitale noyée sous des poubelles désormais impossibles à ignorer. Déjà, manifestations sauvages quotidiennes, blocages et actions de toute sorte venaient complexifier l'impressionnant paysage de l'opposition à la réforme des retraites d’Élisabeth Borne.

Et puis voilà avril, et le grand marronnier de l' « essoufflement » que se mettent à secouer nombre de grands médias. C'est la chasse aux « chiffres en berne », aux « fréquentations à la baisse » et autres « retour à l'apaisement ».

Ces formules ont une visée performative : elles peuvent traduire des stratégies politiques, consistant à dire que le mouvement se termine pour produire du découragement et le conduire en effet à sa fin. Elles traduisent aussi une forte paresse intellectuelle, au moment où l'on aurait le plus besoin d'analyses fines et synthétiques. En effet, le mouvement n'a jamais été aussi vivant – et c'est peut-être pour cela qu'il n'a jamais été aussi complexe. Des ports, des universités, des axes routiers, des dépôts pétroliers, des usines de traitement des déchets ne cessent d'être bloqués, débloqués, rebloqués. Paris a été nettoyée, mais Nantes croule sous des déchets non ramassés, incinérés au fil des manifestations. D'autres éboueur.ses sont en grève à Saint-Brieuc, Saint-Etienne, La Rochelle, Marseille, Varennes-Jarcy... Et s'y remettent à Paris. Quand des grèves s'éteignent par manque d'argent, usure ou réquisitions, des bloqueur.ses de tous horizons prennent le relais pour ralentir ou empêcher l'activité de reprendre ; quand i.els sont réprimé.es violemment, i.els passent le relais aux grévistes, ou bloquent ailleurs1 . Les incinérateurs s'éteignent, se rallument, s'éteignent à nouveau. C'est parfois pour tenir de tels piquets qu'il faut renoncer à participer aux manifestations. Des dizaines de boucles de messagerie instantanée, des tracts et réseaux sociaux en tout genre relaient des appels à action innombrables, souvent pour le jour même, parfois pour l'heure qui suit. Il faut aller loin de Paris pour y assister, il faut aller à la rencontre de toujours plus d'inconnu.es, il y a plusieurs manifestations le même jour, plusieurs cortèges pour une même manifestation, une commune a même connu la première manifestation de son histoire.

Bref, plus la lutte dure, plus elle crée, se diversifie, se complexifie. C'est cette complexité-là qui a besoin d'être exposée, enquêtée, synthétisée. Journalistes, tel est le travail qu'on peut attendre de vous. Vous ne le faites pas ? C'est donc vous qui vous essoufflez !

Illustration 1
© Jeanne Guien

1Voir cet article, pour le cas du centre d'incinération d'Ivry sur Seine.

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