Ce 1er février a lieu à Buenos Aires l’une des plus importantes mobilisations populaires depuis l’arrivé au pouvoir du gouvernement d’extrême-droite dirigé par Javier Milei (10 décembre 2023). Les précédentes avaient pour consigne de protéger l’université ou, plus largement, l’enseignement public et gratuit.
Cette fois, la consigne principale est « contre le fascisme et le racisme ». La mobilisation est à l’initiative du mouvement LGTB+, qui a été rejoint par les partis politiques non-fascistes et les principaux syndicats. Cette configuration un peu étonnante s’explique par l’apathie des syndicats et politiques (trop occupés par leurs internes pour proposer un front commun contre l’extrême-droite) d’une part et, de l’autre, une intensification de la violence du discours de Milei contre les droits des personnes.
En effet, le déclencheur de cette mobilisation a été le discours du président argentin au Forum Economique Mondial de Davos, le 23 janvier. Milei n’a pratiquement pas évoqué son bilan ou ses perspectives économiques pour préférer attaquer les femmes, les féministes, les homosexuels -traités de pédophiles-, les trans, l’agenda « woke » et les gouvernements européens pour ne pas protéger leurs populations des « hordes d’émigrés ».
Deux jours plus tard, samedi dernier, le mouvement LGTB+ convoquait à un rassemblement au Parque Lezama (Buenos Aires). Outre bien plus de monde que prévu, la décision d’organiser une grande manifestation a été très rapidement prise. Nous y voilà.

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L’antifascisme historiquement peu mobilisateur en Argentine
La consigne antifasciste est loin d’être évidente à brandir en Argentine. Si l’antifascisme a été, comme en Europe, assez présent dans l’Entre-deux-Guerres, il a par la suite une histoire accidentée qui percute le péronisme. En effet, mouvement populaire lié à un leader charismatique, qui plus est surgi des rangs militaires, le péronisme a tôt fait d’être lu comme un fascisme local, comme le retrace le chercheur Humberto Cucchetti.
Aussi, à partir de 1945 (l’ascension de Perón) l’antifascisme s’associe assez facilement à l’anti-péronisme, c’est-à-dire une ligne globalement anti-populaire qui traverse aussi bien la gauche que la droite du spectre politique local.
Dans ces conditions, on comprend que la bannière de l’antifascisme ait été peu prisée, même à gauche. Ce n’est pourtant pas la première fois que le mouvement notamment homosexuel le brandit. Un historien des sexualités rebelles, Santiago joaquin Insausti, rappelle que le Front de Libération Homosexuel (cousin et contemporain du FHAR français), en 1975, se revendiquait déjà de l’antifascisme face aux extrême-droites (entre autres péronistes). Mouvement transversal à l’intérieur des gauches, le FLH a pu échapper à la bipolarité (péronisme versus anti-péronisme) pour planter le drapeau antifasciste.
Cinquante ans plus tard, les mouvements héritiers sont encore là. Fierté antifasciste.
London against fascism
Ce 1er février, à Londres aussi il y avait manif contre le fascisme. Convoquée pour contrer les fans de Tommy Robinson, le petit protégé britannique d’Elon Musk, qui se mobilisaient pour sa libération (en prison pour ses diffamations multiples, notamment contre des réfugiés), elle a reçu nombre d’autres causes, toutes unies par l’antifascisme.
Ainsi, la petite délégation argentine, voulant manifester sa solidarité avec les résistances qui se mobilisent à Buenos Aires, s’est solidarisée avec celles de Londres.

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Même pour des questions internes à chaque pays, le Front antifasciste doit être international. Notamment car l’extrême droite a un agenda, des réseaux et une diplomatie transnationaux. On ne peut ignorer que Musk intervient dans la politique britannique et que Milei défend le salut nazi de ce même Musk dans un forum international.
Éviter l’arrivée, que toujours plus de puissants médias présentent comme inéluctable, des Le Pen-Zemmour-Ciotti-Etc., c'est protéger les droits des personnes (appelez cela « État de droit », « démocratie » ou même « république »1, si ça vous chante) et lutter contre l’ingérence de Trump, en même temps.
L’antifascisme est notre cause commune, ici et là-bas, hier et maintenant. Et notre « anti » est une proposition infiniment plus positive que les haines et les saccages que nos ennemis prônent et réalisent.
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1. Il n’y a pas si longtemps, l’extrême-droite appelait la république « la gueuse ». Avant que la Vème "République", avec son monarque, vienne apporter une belle confusion sémantique, le républicain était surtout opposé au monarchique. Bref, la "chose publique" n'est pas obligatoirement synonyme d'islamophobie et paniques morales, comme ce sont acharnés à le faire croire -avec un certain succès, il faut l'admettre- les Printemps Républicain et autres droites.