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Billet de blog 30 août 2024

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Argentine. Tous contre tous et tous à droite toute (II)

Le gouvernement et le parti ultra-libéral (donc d'extrême-droite) de Javier Milei semblent se disloquer, sous la pression de contradictions internes. Second volet d'un texte qui essaye de réunir quelques éléments expliquant cette (ou ces) rupture(s), essentiellement entre le président et sa vice-présidente, Victoria Villarruel

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A quand remonte le différend entre Milei et sa vice-présidente ? Ces deux personnages ne s’appréciaient déjà pas beaucoup bien avant leur élection, ce qui n’empêcha pas leur mariage de raison (voir précédent envoi). Quoiqu’il en soit la relation s’est publiquement dégradée quelque part entre l’histoire du jambonneau en mars et la non-participation de Villarruel à un acte protocolaire militaire (domaine pour lequel elle affirme son goût et où elle revendique son expertise) à la mi-août.

Visiter des criminels contre l'humanité, une activité "humanitaire" des députés libertariens

D’ailleurs, la dernière photo qui met en scène leur entente remonte au 9 juillet (jour de l’Indépendance), dans laquelle Milei et Villarruel posent ensemble sur… un tank. Deux jours plus tard, un groupe de parlementaires de leur parti (La Libertad Avanza) s’est rendu à la prison de Ezeiza pour y visiter des militaires condamnés pour crimes contre l’humanité (dont le capitaine Alfredo Astiz, responsable de la séquestration des fondatrices des Mères de la Place de Mai -Azucena Villaflor, Esther Ballestrino et María Ponce de Bianco - et des deux religieuses françaises -Alice Domon et Léonie Duquet- durant la dictature).

Cette visite aux anciens militaires tortionnaires, assassins et violeurs a rapidement été rendu public, suscitant un scandale. Pour se défendre, l’un des organisateurs de la visite, le député Beltrán Benedit a requalifié les criminels en « ex-combattants qui ont mené des batailles contre la subversion marxiste », soit exactement le discours de la dictature. Ce discours est redevenu officiel cette année, le gouvernement l’ayant relayé le 24 mars (jour de la commémoration du coup d’Etat de 1976) à travers une vidéo.

Avant d’être député, Benedit était, dans la Province de Entre Ríos, le président de la Sociedad Rural. Censée défendre les intérêts de l’agriculture, celle-ci représente depuis la fin du XIXème siècle surtout l’oligarchie, toujours disposée à financer les pires crimes (génocide des indigènes, joliment appelé « conquête du désert », puis toutes les dictatures du XXème siècle). Autrement dit, Beltrán Benedit est un ultra-conservateur, secteur identifié à Victoria Villarruel, et moins à Milei.

Villarruel et Milei, deux nuances d'anticommunisme primaire

Bref, cette visite s’insère dans l’agenda de la vice-présidente, qui cherche à libérer et réhabiliter les tortionnaires de la dictature. Cela s’insère dans une perspective de lecture de l’histoire qui conçoit le coup d’Etat et les crimes (illégaux, y compris du point de vue officiel du régime dictatorial qui a occulté -puis nié- l'essentiel de la répression) de la dictature comme une réponse adéquate à une attaque subversive.

Quoiqu’elle ne soit pas centrale dans l’agenda de Milei, cette lecture lui convient dans la mesure où il conçoit le monde actuel de manière binaire, comme une bataille entre le capitalisme -dont il serait le chantre- et tous les autres sapés par les idées « socialistes » (de son point de vue, même le Forum Économique de Davos est miné par le socialisme).

Pour lui, la Guerre froide continue, il n’est pas sûr qu’il ait remarqué l’effondrement du bloc soviétique. Néanmoins, il ne voit guère d’intérêt à risquer son capital politique pour de vieux militaires, dont les crimes atroces révulsent la société. Alors que pour Villarruel, issue d’une famille militaire, la réhabilitation de ces criminels constitue sa raison d’être en politique. C’est son combat.

Télé-réalité libertarienne, de l'horreur au grotesque

Dès lors, une partie de La Libertad Avanza (dont des députés participant à la visite) a tâché de se désolidariser de cette visite aux tortionnaires, la dénonçant comme une entourloupe menée par le secteur de Villarruel. Cette dénonciation va jusqu’au grotesque d’une députée LLA essayant de faire croire qu’elle n’avait pas la moindre idée de qui est Astiz et s’affichant avec le livre Nunca Más (le premier rapport officiel sur les crimes de la dictature, l’original a été rédigé en 1984) entre les mains.

Même en prenant en compte le fait -très bien établi- de l’inculture crasse de la plupart des militants et élus LLA, cette méconnaissance est pratiquement impossible. Ignorer qui est Alfredo Astiz supposerait non seulement de n’avoir jamais ouvert un journal mais d’avoir aussi éviter de regarder la télé pendant des années. On peut croire que Lourdes Arrieta soit allergique aux journaux, pas à la télé. D’ailleurs, afin de bien prouver qu’elle a été victime d’une opération de ses collègues, elle a rendu public les échanges de la boucle Whatsapp qui prouvent… qu’elle ne pouvait ignorer qui le groupe visitait.

Quoiqu’il en soit, Lourdes Arrieta a été l’une des protagonistes, star de la télé-réalité libertarienne, des divisions internes de LLA, dont elle a été exclu cette semaine.

(To Be Continued)

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