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Billet de blog 12 mars 2011

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Terres ! les jeux du sable avec le feu

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Un pluriel exclamatif pour une affirmation singulière : Terres ! de Lise Martin

Spectacle rousseauiste (1), ce serait un genre créé, l’air de n’y pas toucher, par l’auteure (l’autrice ?) Lise Martin et l’équipe du metteur en scène Nino D’Introna. Attention !... dernières représentations ce week-end, après cette quinzaine de mars aux séances colorées et pleines d’éclat(s) – Prenez garde aux ides de mars !.. Le sujet est simple. On s’installe dans un lieu isolé en s’estimant chez soi, et… « Voilà, tout a commencé comme cela. Un voleur qui s’ignore, un homme volé qui se manifeste, un naïf au milieu. L’histoire est en marche. » Ce sont deux bons gars, Aride et Kétal. Dès le début, on les a vus marcher en rond, le second écrasé du fardeau (de la chimère ?) du premier, parti à la recherche d’une terre d’or, cet Eldorado au bout d’un désert qu’ils finissent par trouver au pied d’un arbre mort... d’où tombe, comme un fruit mûr, une femme !... Un fruit que le premier veut interdire en le rejetant et que le second, plus désirant, voudrait pouvoir garder : « J’ai choisi un jour de tout quitter pour errer, connaître l’absence… » Figure un tantinet énigmatique que cette demoiselle ; elle est d’une légèreté profonde ; elle va, court, vole, changeant de robe et de nom au gré du vent qui l’emporte, légère comme une Ariel dans la Tempête shakespearienne ; elle adresse au public familial les moments-clés où font charnière les étapes de tous les conflits dans ce monde depuis que l’homme est l’homme et peut-être avant. « Que peut-il bien se passer maintenant ?Le voleur qui s’ignore veut garder ce qu’il estime ne pas avoir volé, puisqu’il l’a acheté.Il dit qu’il l’a acheté. Est-ce vrai ? Peut-être l’a-t-il volé ?Comment savoir la vérité ?Ah oui ! On pourrait demander au naïf, le gentil Aride. Celui qui est parti sans savoir où aller, celui qui aime le vent.Et celui qui se fait appeler L’Autre, d’où vient-il ? Dit-il la vérité ? Qui l’a chassé de ses terres ?Sont-ce ses terres ? Sont-ce ses terres ?À qui est la terre ? Aux vers de terre peut-être.Souffle le vent de la discorde.Les hommes sont installés.Chez moi. Chez moi. Non, c’est chez moi.Ce n’est pas à toi. Au voleur ! Au voleur !Aiguise. Aiguise. C’est le destin qui souffle... » Jusqu’alors, les noms des personnages restaient un mystère : celui qui veut posséder la terre s’appelle Kétal (« Qué tal ?...», c’est la formule espagnole pour accueillir son interlocuteur en lui demandant comment ça va) et son compagnon est Aride. Madame Mue reviendra sous le nom de Zéphir, puis Neige, mais entretemps (et soudain)… Soudain, contretemps… Un personnage qui se fait appeler l’Autre est survenu pour revendiquer la propriété de ce lieu depuis des générations. Il est l’avant-garde de ses frères qui arriveront plus tard. Négociations. Il est éliminé. Ses frères arrivent ensuite. Combats. Ils sont repoussés. D’autres frères arrivent encore. Re-combtas. Ils tuent Kétal. La femme n’est pas parvenue à convaincre Aride de la suivre, et Aride, resté pour venger la mémoire de son ami, tombera entre les mains (sous la botte) des nouveaux possesseurs de la terre jaune désormais rougie de sang où s’ébattaient (se battaient) des êtres comme des enfants dans un bac à sable. « Personne n’écoute la parole de l’autre. » Pour le metteur en scène Nino D’Introna, le texte de Lise Martin est dans la droite ligne de son propre parcours de créateur : Frères de sable, Robinson & Crusoé, Terre Promise, dans lesquels l’histoire et la situation proposée posaient les problèmes de fond : le conflit entre les êtres humains pour vivre ensemble, pour partager un territoire, ou le désir de l’Autre et la peur de celui-ci. En janvier 2010, il déclarait ceci à la journaliste Blandine Dauvilaire : « Avez-vous déjà regardé calmement et longtemps une aire de jeux d’enfants ? Avez-vous regardé leurs dynamiques ? Avez-vous reconnu le socle de l’être humain dans ce contexte quotidien ludique ?Terres ! m’a montré tout cela dans un langage et des personnages “adultes”. Des adultes, mais comme des enfants qui se battent pour la propriété de leur jouet, de leur territoire... Ça, c’est à moi ! – Donne- moi ! – Non, c’est à moi ! – Maman, papa, il m’a pris mon jouet ! – Ils ne me laissent pas jouer avec eux ! – Ils m’ont dit d’aller jouer plus loin ! Combien de fois avons-nous assisté à des scènes pareilles ? Et combien de fois avons-nous souri pensant qu’on devait être pareil à cet âge… et comment, dans la vie des adultes, des Nations, des peuples, des Terres, la réalité est la même.– Seulement, l’échelle de gravité change !... » Question anthropologique plutôt que politique (Rousseau, encore Rousseau !...) Le spectacle est court et intense. Le casting est ambigu à souhait, par les tailles disparates des comédiens, par leurs physionomies, dont bien malin qui parviendrait à distinguer leurs origines qu’on dit “ethniques”. Et, question scénique, le jeu était enfantin, c’était bien le moins, tout le plaisir était pour le public. S’il est familial, il s’y reconnaîtra, en retrouvant la spontanéité des réactions des plus jeunes spectateurs... Et, en quittant la salle une fois les feux rallumés, reviennent du plus profond de soi ces moments de pure joie merveilleusement partagés avec les enfants que nous sommes restés : cette escapade à l’escarpolette où va se balancer la belle demoiselle, ou, encore, – beaucoup plus trouble, voire effrayante –, cette danse à deux qui la transforme en minuscule poupée désarticulée entre les bras du gigantesque Kétal, ou, également, ces jeux de sable / feux d’artifice envoyés en éclats d’or par-dessus la tête des personnages, puis, encore, encore, encore et toujours intrigants ces pas, ces pas recommencés au pas cadencé, ces pas qui marchent sur le gravier, et qui tournent autour, tout autour, et nous, au centre, dedans, comme pris au piège d’un dérisoire bac à sable.

Jean-Jacques M'µ

(1) Tout début du Discours sur les Inégalités, de Rousseau :

« Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne… »

(Jean-Jacques Rousseau : Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité entre les hommes, 1755, seconde partie).

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