
Depuis le début de cette rentrée théâtrale - économiquement périlleuse et menée dans un contexte politique agité -, on constate ici et là une résurgence soudaine des débats portant sur le théâtre populaire.
Si ce sujet est effectivement digne d’intérêt, il n’en demeure pas moins vrai qu’il se dit et qu’il s’écrit actuellement beaucoup d’énormités à ce sujet, ainsi qu’un certain nombre de contrevérités historiques.
Ce qui frappe principalement, c’est la curieuse façon dont est organisé ce débat.
Ainsi, il y est systématiquement question d’une époque (unique ?) où le théâtre populaire aurait existé, exactement comme s’il n’existait plus de nos jours.
On s’emploie aussi à lui coller des définitions faisant du théâtre populaire une forme datée, passée, périmée et structurellement à usage unique.
On formule aussi - sans rien détailler - ce qu’il aurait de revendicatif, pour mieux affirmer qu’il est absolument dépassé.
Qui plus est, on s’aventure souvent dans l’identification du public auquel il s’adresserait, comme pour mieux se porter au chevet de celui auquel il ne s’adresserait pas.
Enfin, bien sûr, on s’applique à lui attribuer de nouvelles définitions afin de mieux le vider de son sens (XXIe siècle obligeant…).
Chemin faisant, on est donc allé récemment jusqu’à se référer de façon tout à fait sérieuse à un « théâtre populaire élitaire pour tous » n’ayant en fait jamais été formulé par qui que ce soit en France.
Parmi les épisodes mis en avant par le récit national de l'histoire du théâtre français, il existe bien en 1911/12 le Théâtre National Ambulant de Firmin Gémier, qui aspire à un théâtre populaire en se déplaçant là où il n’existe pas de théâtre en jouant sous chapiteau, afin de rencontrer d’autres types de publics.
Puis il existe de 1920 à 1939 le Théâtre National Populaire de Firmin Gémier et Paul Abram, qui s’installe finalement au palais de Chaillot (Paris 16e) lors de sa dernière année d’existence. Ces deux artistes assumant en même temps la direction du Théâtre de l’Odéon.
A partir de 1951, l’aventure du Théâtre National Populaire reprend lorsque Jean Vilar lui redonne vie au palais de Chaillot.
C’est aussi là que Jean Vilar formule et définit le théâtre service public, au même titre que le gaz et l’électricité ; le service public étant alors un des fers de lance de la reconstruction de la France suite à la Seconde Guerre mondiale.
Puis en 1972, le Théâtre National Populaire est transféré à Villeurbanne, où il existe toujours.
Enfin, « le théâtre élitaire pour tous » c’est encore autre chose : il s’agit d’un concept formulé par Antoine Vitez alors qu’il dirige le Théâtre national de Chaillot (1981-1988).
Ainsi donc, « le théâtre populaire élitaire pour tous » n’a jamais été formulé ni revendiqué par personne en France, alors même qu’on s’y réfère actuellement en le mentionnant de façon tout à fait sérieuse.
A l’heure où la France est habitée par des ambitions politiques contraires, dont les démonstrations se font de plus en plus radicales et violentes, il est évident que le théâtre va être fortement secoué, plus qu’il ne l’est déjà.
Il n’est donc pas vain de débattre au sujet du théâtre populaire. Puisse-t-on seulement le faire avec les bonnes références, que ce soit pour les lustrer ou pour les piétiner.
En l’état actuel de ces débats pour le moins confus, on y mentionne souvent - tel un étendard - la prochaine création du Théâtre du Soleil, puisque son sous-titre mentionne : « Un grand spectacle populaire ».
Tandis que dans le même temps, ces mêmes débats ignorent (délibérément ?) l’existence du Nouveau Théâtre Populaire et son choix récent d’aller jouer hors de son village du Maine-et-Loire en menant une tournée à Marseille, Paris, Angers, Caen, Cherbourg, Aubervilliers.
Advienne que pourra.
Joël Cramesnil