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Billet de blog 18 novembre 2022

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Précisions sur les actrices Arletty et Danielle Darrieux durant l'occupation

Retour sur le traitement d'éléments biographiques des actrices Arletty et Danielle Darrieux durant l'occupation, à travers : une pièce de Koffi Kwahulé (2021), un téléfilm d'Arnaud Sélignac (2015), un documentaire de Clara Laurent et Pierre-Henri Gibert (2018).

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Précisions sur des évocations biographiques

faites au XXIe siècle sur les actrices Arletty et Danielle Darrieux

durant l'occupation de la France (1940-1944)

L'actrice Arletty et le lieutenant-colonel du IIIe Reich Hans Jürgen Soehring

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L'actrice Arletty et le lieutenant-colonel du IIe Reich Hans Jurgen Soehring durant l'occupation. © Collection particulière (DR)

Le 3 mars 1941 à Paris, Josée de Chambrun - fille de Pierre Laval - présente le lieutenant-colonel Hans Jürgen Soehring à l'actrice Arletty. Débute alors une relation amoureuse liant jusqu'en 1949 cet homme marié dont l'épouse ne vient alors jamais à Paris, âgé de trente-trois ans et natif d'Istanbul, à cette femme célibataire âgée de quarante-trois ans et native de Courbevoie. Ils vivent leur liaison au grand jour à Paris, ce dont Berlin est immédiatement informé.

L'actrice Arletty (1898-1992) a débuté dans la vie active comme secrétaire dans les années vingt. Puis elle devient d'abord mannequin, puis girl de revue chantant dans les beuglants datant du XIXe siècle, ainsi que dans les cafés et au music-hall. Elle se crée un style de scène de parisienne sans gêne ayant l'accent des faubourgs. En 1941, elle est une star du cinéma français ayant déjà à son actif une quarantaine de films produits sur une dizaine d'années.

Le 16 août 1943, le cinéaste Marcel Carné débute la réalisation du film Les Enfants du paradis sur un scénario de Jacques Prévert, qui va nécessiter dix mois. Ce films est d'abord tourné aux studios Victorine (Nice) puis aux studios Francœur (Paris) avec toutes les contraintes sécuritaires, techniques et économiques de cette période, incluant les suspensions de tournage engendrées par les bombardements ainsi que les rationnements alimentaires.

Ce chef-d'œuvre du cinéma français rend hommage au théâtre parisien du XIXe siècle et à son célèbre "boulevard du Crime". Il est fait de deux parties articulant deux époques : Le Boulevard du Crime et L'Homme blanc. Sont alors réunis par ce tournage : Arletty (Garance), Pierre Brasseur (Frédéric Lemaître), Jean-Louis Barrault (Baptiste Debureau), Maria Casarès (Nathalie), Jane Marken (Madame Hermine), Marcel Herrand (Pierre-François Lacenaire), Fabien Loris (Avril), Pierre Renoir (Jéricho), Louis Salou (comte de Montray), pour ne citer qu'eux.

En 1943 durant ce tournage, du fait de sa liaison avec l'actrice Arletty, le lieutenant-colonel Hans Jürgen Soehring est rétrogradé sous-officier puis envoyé au front en Italie l'année suivante.

Durant la libération de Paris, l'actrice Arletty est arrêtée à son domicile le 20 octobre 1944 par les Forces françaises de l'intérieur (FFI), non pour des faits de collaboration, mais en raison de sa liaison affichée avec Hans Jürgen Soehring. Elle est alors d'abord internée au camp de Drancy, puis durant deux mois à la prison de Fresnes, puis elle est en résidence surveillée durant dix-huit mois.

En 1945, tandis que l'actrice Arletty est sous la surveillance de la police, le film Les Enfants du paradis de Marcel Carné, dont le tournage s'est achevé le 20 juin 1944, sort en salle.

La pièce de théâtre Arletty comme un œuf dansant de Koffi Kwahulé (2021)

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Affiche du spectacle Arletty comme un œuf dansant, de Koffi Kwahulé, par Kristian Friedric (2021) © Lézards qui bougent

Pour des raisons qu'on ne s'explique pas, le comédien, metteur en scène, romancier et dramaturge Koffi Kwahulé laisse entendre que l'actrice Arletty a été tondue à la Libération, dans sa pièce Arletty, comme un œuf dansant au milieu des galets (éditions Théâtrales, 2021)
Cette pièce est créée au Lavoir Moderne Parisien (Paris, 18e) fin 2021, le rôle-titre est incarné par Julia Leblanc-Lacoste.

Sans doute s'agit-il d'une méprise de l'auteur, car l'actrice Arletty figurait bien depuis 1943 sur une liste nominative d'exécutions prévues à Paris par la Résistance intérieure française, ce qui apparait dans mon article consacré à Paul Abram.

Le téléfilm Arletty une passion coupable d'Arnaud Sélignac (2015)

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Arletty une passion coupable d'Arnaud Sélignac (2015) © Flash Film Production

On ne s'explique pas cette insinuation contenue dans le monologue précédemment cité, car dans le téléfilm diffusé six ans plus tôt - Arletty une passion coupable d'Arnaud Sélignac (Flash Film Production, 2015) - les scènes de son arrestation, de son incarcération, puis de sa résidence surveillée sont plus conformes à la réalité. C'est par ailleurs un film qui révèle également la bisexualité de l'actrice Arletty.

Dans ce téléfilm, Marie-Josée Croze incarne avec brio une Antoinette d'Harcourt liant fiévreusement passion secrète et engagement politique (amante de l'actrice Arletty mais aussi résistante), Joséphine Draï donne à Marie une bonhommie franchouillarde irrésistible (aide main et de vie de l'actrice Arletty) et Natalia Dontcheva donne au personnage de Josée de Chambrun (fille de Pierre Laval) d'incroyables nuances de retenue froide et d'exubérance festive. A leurs côtés, Ken Duken apporte une séduction torride au personnage de Hans Jürgen Soehring (ce que le bonhomme n'avait pas de son vivant), Xavier Laffite incarne Jean-Louis Barrault avec une fraîcheur inégalée, tandis que Marc Citti incarnant Jacques Prévert rend perceptible les battements de cœur de ce poète.

Le scénario de grande tenue de ce téléfilm nous plonge aussi dans des scènes de tournage du film Les Enfants du paradis de Marcel Carné

A cette liste non exhaustive d'interprètes il convient aussi d'ajouter le talentueux acteur - aussi chanteur, metteur en scène de théâtre et d'opéra français - Michel Fau incarnant Sacha Guitry. Ce dramaturge, acteur, metteur en scène, réalisateur et scénariste apparaît dans deux scènes où le réalisateur soigne aussi le traitement des faits historiques attestés. Il s'agit de cette audience que Sacha Guitry, accompagné de l'actrice Arletty pour son appui, obtient des autorités allemandes pour demander la libération de Tristan Bernard. Ce romancier et auteur dramatique est arrêté avec son épouse en décembre 1943. Ils sont internés au camp de Drancy dont lui et son épouse sont alors libérés le 21 octobre 1943.

Enfin l'actrice, mannequin et réalisatrice Laetitia Casta incarne avec courage, il convient de le reconnaître, le rôle-titre de ce téléfilm avec le talent qu'on lui connait. Antérieurement, elle s'était déjà illustrée en incarnant des rôles placés au centre de l'action dans des films ayant pour contextes d'autres périodes historico-politiques.

D'abord en 2008 dans Nés en 68 d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau dont le scénario est l'histoire d'une femme à partir de mai 1968 et qui fonde ensuite une communauté, ce scénario conduisant jusqu'à avril 2002 et portant aussi pour la première fois à l'écran les débuts d'Act-Up Paris. Puis en 2014 avec Les Lendemains qui chantent de Nicolas Castro, dont le scénario est l'histoire d'une femme décidant de s'engager en politique suite à l'élection de François Mitterrand, un choix qui dès son origine la met en relation avec deux frères qui eux aussi choisiront de venir à Paris, l'histoire se déroulant en France de mai 1981 à avril 2002.

Pour autant, lors d'une séquence d'interview télévisuelle ayant eu lieu durant la promotion de ce téléfilm, où l'actrice Laetitia Casta s'emploie alors à rendre compréhensible les choix de vie de l'actrice Arletty, elle tient des propos nécessitant d'être complétés. En effet, elle affirme que l'actrice Danielle Darrieux a collaboré avec l'occupant. Pour ce faire, l'actrice Laetitia Casta indique qu'elle participe au voyage d'artistes du cinéma français qui est organisé à destination de Berlin, mais sans en dire plus.

Cette opération de propagande est organisée en mars 1942 dans le but de valoriser l'entente culturelle transfrontalière de cette époque. L'actrice Danielle Darrieux y participe effectivement, ainsi que de nombreux acteurs français célèbres à cette époque, qui tout comme elle sont alors sous contrat avec la Continental Films, dite la Continental, société de production cinématographique créée en 1940 par Joseph Goebbels. En histoire sociale et syndicale du cinéma français au XXe siècle, ce transport est appelé "le train de la honte".

Le documentaire Danielle Darrieux - Il est poli d'être gai de Pierre Henri Gibert (2018)

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Danielle Darrieux - Il est poli d'être gai, de Pierre Henri Gibert © Les Films d'ici

Cité de cette façon, dans le flot d'une interview télévisuelle s'engageant alors dans des éclairages historiques multiples, cet élément biographique relatif à Danielle Darrieux nécessitait d'être complété par l'intéressée.

En 2018 l'actrice Danielle Darrieux a témoigné de ces faits dans le documentaire Danielle Darrieux - Il est poli d'être gai écrit par Clara Laurent et réalisé par Pierre-Henri Gibert (Les Films d'ici).

Elle y explique qu’elle n'est partie en Allemagne qu'après l'obtention d'un accord l'assurant de pouvoir rencontrer son fiancé Porfirio Rubirosa alors déporté en camp de travail. Un voyage qu'on lui reproche durant toute sa carrière.

Une fois son fiancé libéré, l'actrice Danielle Darrieux rompt son contrat avec la Continental.

En septembre 1942 les amants s'épousent à Vichy. Ils passent la fin de la guerre en résidence surveillée à Megève puis sous un faux nom dans la région parisienne.

A la Libération elle n'est pas inquiétée, notamment grâce au statut diplomatique de son époux.

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