Guignol à Paris, une présence de longue date
Alors que le théâtre conquiert sa liberté de 1789 à 1792, tout s’arrête brutalement avec le Premier Empire : la censure est réinstaurée et un décret limite à douze le nombre de théâtres dans la capitale, puis à huit.
C’est dans ce contexte que Guignol, une marionnette, est inventée fin 1808 à Lyon par Laurent Mourguet. Il lui donne une figure et un costume de canut, ouvrier tisseur de soie, ce qui est alors un symbole très fort à Lyon où cette activité vient d’être contrainte à l’arrêt définitif.

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Guignol est une incarnation de ces ouvriers. Il est vêtu d’un habit de drap marron à boutons d’or, coiffé d’un chapeau carré, cheveux nattés derrière la tête pour empêcher que des cheveux ne se mêlent aux fils de soie, l’air fin et distingué convenant à l’ouvrier d’une industrie de luxe.
Dès l’origine, Laurent Mourguet brode sur des canevas au grès d’une inspiration satyrique. L’expression « C’est guignolant ! » - empruntée à l’argot des tisseurs de soie pour s’exclamer « C’est drôle ! » - donne ainsi naissance au nom de ce personnage.
Issu du peuple ouvrier, Guignol en a tous les bons instincts et toutes les mauvaises habitudes : crédule parce qu’il est ignorant, confiant parce qu’il est de bonne foi, s’il se montre enclin à la gourmandise c’est parce qu’il a souvent jeûné, parfois emporté jusqu'à la violence il n’est jamais meurtrier. Il donne ainsi des coups de bâton, très vite surnommés de « coups d’suc de pommes » par le public.
Des représentations se font dans les cafés où elles divertissent un public majoritairement composé des familles frappées par le chômage de la soie. Guignol y tient aussi le rôle de gazette locale en commentant les événements quotidiens de la ville ou du quartier.
Guignol lit également à haute voix des articles de presse en donnant des nouvelles du pouvoir central qu’il ne se prive pas de commenter. Il informe ainsi un public majoritairement analphabète, avec lequel il entretient un dialogue critique sur l’actualité politique française.
Dès cette époque, il crée parallèlement des pièces destinées aux enfants. Il fait ainsi ses débuts en apparaissant un soir de Noël au milieu d’une crèche. Il s’engage alors aussi dans ce qui constitue son second répertoire.
Le style suscite des vocations, des troupes se créent dans tous les quartiers de Lyon, jouant indifféremment dans des cabarets, des cafés ou en extérieur. Dès le XIXe siècle des marionnettistes prennent également le chemin de Saint-Etienne, Roanne, Montbrison, Rive-de-Gier.
D’autres vocations se font jour dans plusieurs villes de France où cette marionnette trouve à la fois son public populaire et son jeune public.

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Guignol prend aussi le chemin de Paris. Avec la Restauration les dispositions liée à la liberté entrepreneuriale du théâtre sont rétablies. La censure est néanmoins maintenue, c’est depuis cette époque qu’elle s’abat régulièrement sur Guignol à Paris.
Guignol s’accommode aux milieux où il évolue, adoptant les costumes et le parler de chaque nouvelle région. A Paris, il incarne le type du gamin parisien, irrespectueux, malin et pratique, surnommé certaines fois Guillaume ou Guignolet.

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Sous le Second Empire les jardins publics sont développés dans la capitale. Ils donnent lieu à de multiples activités artisanales - loueurs de bateaux, de chaises, vendeurs de bonbons - au sein desquels les marionnettistes trouvent un providentiel débouché. Ainsi, au niveau du Rond-Point des Champs-Elysées on alors dénombre pas moins d’une demi-douzaine de castelets.
Dans ce répertoire, les personnages les plus sympathiques ne sont ni les plus riches, ni les plus recommandables. Lorsqu’il pleut des coups ce sont généralement les représentants de l’autorité qui les reçoivent : « Les sujets de Guignol sont ceux que fournit le souci du logement, la peur du gendarme, la rue des coquins envers l’autorité » (JF Louis Merlet, Le Petit provençal, 28/05/29).
La police du Second Empire interdit régulièrement à Guignol le droit de jouer. Elle contraint les artistes à devoir préalablement soumettre leurs textes aux autorités préfectorales. Cette forme de censure s’avère idéale à l’encontre d’un genre ayant toujours reposé sur l’improvisation à base de petits scénarios. Guignol vit alors au rythme des fermetures, des amendes et des réouvertures, tandis que le public revient toujours vers lui.
Durant la Commune de Paris, Edmond de Goncourt assiste à une représentation de Guignol aux Champs-Elysées, dont il consigne ceci dans son Journal de l’année 1871 : « Tout ce qui reste encore à Paris de population est au bas des Champs-Élysées, sous les premiers arbres, où le rire joliment bruyant des enfants, assis devant les guignols, monte parfois sur la voix de la canonnade lointaine. »
Durant la Troisième République, à Lyon à partir de 1878 sous la houlette de Pierre Rousset, Guignol devient poli et parodie les succès comiques ou lyriques. Il joue dans des salons tandis qu’un piano droit est placé sous le cadre de scène du castelet pour l’accompagner.
Avec l’évolution de la société, Guignol perd progressivement de son mordant. Le public s’en détourne également du fait de la progression de l’alphabétisation, de la liberté de la presse et de l’abolition de la censure.
En 1908, la fête du centenaire de Guignol est saisie avec brio par les frères Neichthauser qui redonnent alors à Guignol son caractère frondeur et franc, tout en diversifiant le répertoire.
C’est à Paul Fournel que l’on doit la connaissance de la véritable histoire du Guignol lyonnais et c’est à Gérard Boilot que l’on doit celle de l’histoire de Guignol dans les parcs et les jardins de Paris.
Dans la capitale Guignol s’est installé de façon durable : dès 1818 au Carré Marigny des Champs-Elysées, dès 1892 au parc des Buttes Chaumont, dès 1898 au jardin du Luxembourg.
Il s’est aussi développé dans de multiples squares et jardins : Batignolles, Buttes-Chaumont, bois de Vincennes (lac de Saint-Mandé), Champ-de-Mars, Courcelles, Grévin, jardin d'Acclimatation, jardin des Plantes, Monceau, Montmartre, Montsouris, parc de Choisy, parc Georges Brassens, Ranelagh, Saint-Lambert, Tuileries, ... (liste non exhaustive).

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C’est en 1910 que la Ville de Paris fait construire un castelet au Champ-de-Mars. En 1952 elle l’attribue sur concours à Luigi Tirelli (1928-2018) qui a alors vingt-quatre ans et qui fonde ainsi les Marionnettes du Champ-de-Mars.
En 1976, ce guignoliste finance et construit un bâtiment permettant d'abriter ce castelet afin de pouvoir y jouer tout au long de l’année, car depuis son origine il se tenait à ciel ouvert.

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Voici ce que Luigi Tirelli disait de Guignol en 1991 : "Guignol a perdu de son côté politique et satirique devenant progressivement une sorte de Scapin pour les gosses, à la fois Gavroche, d’Artagnan, Zorro… La philosophie n’a pas changé : contraindre les méchants à rentrer dans le droit chemin." (interview de Frank-Olivier Rousseau, Matin de Paris).
Depuis 2018 les Marionnettes du Champ-de-Mars sont dirigées par Julien Sommer, qui en 2001 à l'âge de quinze ans a intégré cette troupe, au sein de laquelle il alors été formé.
Voici ce qu'il me disait de Guignol le 9 mars dernier : « Guignol est souvent un des premiers accès à la culture. Je soigne beaucoup les costumes, dont les costumes historiques, ainsi que la musique classique que je choisis. On m’en fait souvent la remarque, pour la qualité du vocabulaire aussi. »
Lorsqu'il exerce son métier dans toute son ampleur, le marionnettiste est à la fois : chef d'entreprise (direction et exploitation d'un théâtre), artisan d'art (fabrication des marionnettes, des accessoires, des décors), metteur en scène régisseur machiniste (manipulation des marionnettes, des accessoires et des décors), acteur auteur (adaptation ou création des pièces du répertoire, improvisation sur canevas ou interprétation d'un texte).
Le 15 mai, le Théâtre des Marionnettes du Champ-de-Mars aura 70 ans.
Le 3 mars dernier, la Mairie de Paris lui a annoncé la nécessité de devoir fermer ses portes le 1er juin prochain, durant quatre mois, pour permettre la tenue de Paris 2024.
Vous pouvez lire ici l’article très complet que j'ai consacré à ce sujet.
Joël Cramesnil

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