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Billet de blog 21 septembre 2025

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Journalisme à la parisienne : « Défendre ma liberté d’expression : ‘‘Fermez-la !’’ »

G. Erner a fait polémique en interrogeant la liberté d’expression. Les hasards de l’attribution du prénom « Charlie » l’ont fait rebondir d’un Charlie à l’autre, de Charlie Hebdo à Charlie Kirk. Ses arguments lui ont attiré les foudres de ses collègues de France Culture et il reprend, à son compte, le plaidoyer de… S. Paty. Du parisianisme au parislamisme ?

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L’humeur du jour est une courte prise de parole quotidienne qui tente d’apporter un regard décalé sur l’actualité ; tantôt par l’humour, tantôt par l’angle d’approche… Forcément, de tels exercices de style rencontrent des succès inégaux. Le billet polémique date du vendredi 12 septembre et peut être écouté dans sa version d’origine : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-humeur-du-matin-par-guillaume-erner/l-humeur-du-jour-emission-du-vendredi-12-septembre-2025-2734494

Premier fait significatif : son titre a été modifié. Ce n’est plus « D’un Charlie à l’autre », mais c’est devenu : « Qui est Charlie Kirk ? ». Ainsi, c’est dans la censure partielle que la rédaction de France Culture sauve l’honneur du journalisme de service public. Précision utile : la rédaction elle-même n’évoque pas publiquement ses débats, mais déplace vers les « auditeurs » l’impulsion décisive qui aboutit à ce choix éditorial. Nul doute que les protestations rapportées lors des excuses publiques de G. Erner le vendredi suivant, 19 septembre, sont réelles. Néanmoins, le tri effectué par la médiatrice de France Culture est nécessairement sujet à caution dans un tel contexte. A-t-il reçu des messages de soutien ? En voici un.

Pour information, Télérama ne fait remonter aucun trouble des auditeurs, mais il titre sur l’émoi des bien-pensants de France Culture. Ce faisant, il prend clairement leur parti : « Charlie Kirk et Charlie Hebdo : émoi à France Culture après un billet “du malaise et de la confusion” ». Certes, les arguments de l’accusé-coupable sont relayés, mais la sentence du journal culturel est sans appel.

Pour ceux qui n’auraient pas envie de consulter les 2’12’’ de G. Erner, Télérama a su résumer son propos : « Tout en admettant de nombreuses « différences » entre l’influenceur trumpiste assassiné le 10 septembre et l’hebdomadaire satirique décimé par une attaque djihadiste le 7 janvier 2015, le journaliste affirmait que Charlie Kirk n’avait « enfreint aucune loi américaine et était ouvert au dialogue ». « Et la parole, aussi dure soit-elle, n’est pas la violence. Il n’est pas possible d’être Charlie uniquement pour son Charlie à soi, autrement dit pour son opinion », ajoutait-il. « Le vrai Charlie se bat pour l’opinion de l’autre et désormais le “je suis Charlie” doit se conjuguer au pluriel ou bien se taire à jamais ». » ( https://www.telerama.fr/radio/charlie-kirk-et-charlie-hebdo-emoi-a-france-culture-apres-un-billet-du-malaise-et-de-la-confusion-7027438.php )

Là se sont déchaînés ceux qui voient dans Charlie Hebdo le camp du Bien, dans Charlie Kirk le camp du Mal. Tout parallèle de situation leur est apparu comme un amalgame immonde… Même s’il existe. Je compte parmi ces enfants qui ont essayé de suivre les brefs cours de dessin que Cabu donnait à la télévision. C’est un personnage qui m’a été très tôt familier et qui me reste sympathique. Mais dans le champ politique, il est aussi l’auteur du « beauf à la Cabu » chanté par Renault, devenu proverbial en tant « [qu’]imbécile et facho, mais heureusement cocu ».

Ce beauf, c’était la figure de l’ouvrier des années 1980. Cabu a ainsi donné aux « socio-traîtres » une figure à abattre, ainsi qu'une légitimité pour conduire la casse systématique d’un appareil industriel qui fait désormais défaut à la France. De la trahison du monde ouvrier à la trahison de la nation, nos bien-pensants ont franchi le pas sans complexe ces dernières décennies. Par ailleurs, les croyants de tous bords ont également essuyé des profanations souvent outrancières du journal satirique, allant de la scatologie à l'analyse poussée de rapports de pouvoir.

En écrivant cela, je garde parfaitement présent à l’esprit que le pire outrage n’est pas le dessin, mais le massacre de la rédaction du journal. Quitte à victimiser les uns ou les autres, autant afficher de manière synoptique les dessins de Mahomet incriminés, la photographie du carnage. Là, il serait possible d’évaluer sur pièces qui offense qui. Mais je reste dans mon sujet : en affirmant que Charlie Kirk ne saurait être Charlie car il professait, selon ses détracteurs, la violence… Mais c’est précisément en cela qu’il est Charlie ! Son engagement heurtait, et faute de réussir à lui opposer la plume, il a reçu des balles.

A ce stade, nous n’en sommes qu’aux niaiseries parisiennes ordinaires, dont les médias de masse nous inondent. G. Erner est clairement plus fin que la moyenne du PAF et n’a certainement pas une mémoire de poisson rouge. Il pourrait ainsi s’être souvenu des déboires de S. Paty durant les semaines ayant précédé sa mise à mort par un islamiste. Est-ce en conscience qu'il a adopté la même ligne de défense dans des circonstances analogues ( Cf https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-rendez-vous-de-la-mediatrice/l-humeur-du-matin-par-guillaume-erner-sur-charlie-kirk-9790042 ) ? Non seulement cet enseignant avait essuyé une cabale menée par des parents et collègues, mais encore il avait dû s’excuser lors d’une réunion publique, précisément avec cet argument selon lequel ( je reformule ) si des idiots ne l’avaient pas compris, c’était parce qu’il avait mal fait son travail ; mais en aucun cas parce qu’il s’agissait d’idiots dont la raison d'être est précisément de ne rien comprendre. Le parallèle est tellement évident que ces nullités qui gouvernent nos ondes ne l’ont pas vu.

S’agissant de l’idiotie inquisitoriale que je nomme, et que bien sûr les intéressés ne dénoncent pas dans leur acte de contrition publique, il faut bien s’entendre sur sa nature. Elle a même affecté la novlangue des jeunes générations : « Je suis choqué ». Être choqué devient l’alpha et l’oméga de la critique réflexive de l’actualité, politique ou autre. Être choqué, c’est être dans une position inconfortable jugée illégitime, qui appelle la sanction du responsable de l’événement choquant. Là encore, n’importe quel lycéen de terminale saurait, en suivant d’une oreille distraite ses cours de philosophie, que de tels chocs impliquent par nature une co-responsabilité : celle de la personne au principe de l’action, celle de la personne qui reçoit ainsi cette action. En effet, cette dernière est libre d’agir sur ses représentations pour la percevoir autrement. Même si des provocations sont parfois gratuites et malfaisantes, ou mal élaborées, faire réfléchir le destinataire est généralement le but avoué de l’exercice… Exercice quotidien de G. Erner.

Pour rappel tout de même, le principe de la réflexion, de l’effet miroir, ce n’est pas ( uniquement ) de s’admirer ; c’est de se critiquer dans un dédoublement de soi par l’image : image ressentie, image renvoyée. De ce choc peut naître une étincelle d’intelligence, pourvu que la bulle d’enfermement narcissique ait éclaté. Pour rappel, un tel enfermement était la jolie définition qu’un psychiatre donnait de la connerie, ce qui clôt mon allusion aux inquisiteurs idiots, incapables de surmonter le choc pour atteindre un premier palier de pensée réflexive et critique.

Ces derniers matins, dans son miroir, G. Erner a sans doute vu le visage de S. Paty, et il n'en est que plus "Charlie". Bien sûr, selon toute vraisemblance, il vivra pour voir ses enfants grandir. Mais il sait désormais qu’il compte dans son entourage professionnel la même engeance qui a créé l’émulation meurtrière de nébuleuses islamistes. Leurs visions politiques les séparent, leur approche inquisitoriale de la vérité les rassemble. Ses inquisiteurs n’ont pas de bras armé ; pas encore ? Autant s’en réjouir pour lui. En revanche, confier le débat public à de tels Torquemada attente à l’exigence de service public, voire à tout ce que doit garantir ce service public d’information : le libre exercice ( = l'exercice éclairé ) de la souveraineté populaire…

Ces faits, anecdotiques, font écho à un petit rappel de notions journalistiques pour journaleux professionnels qui ont le nombril tellement sur-développé qu’il a pris la place du cerveau ( https://blogs.mediapart.fr/jrm-morel/blog/140925/des-polemiques-journalistiques-de-mauvaise-foi-quelques-notions-du-metier ). Il se pourrait que le journalisme français crève, non pas d’être engagé, mais d’être niaisement militant. Quand toute parole journalistique résonne comme un bêlement d’appel au troupeau, quand des arguties byzantines se résument à « j’aime » et « j’aime pô », « c’est nous, ou eux »… Comment peut-on être authentiquement et sincèrement investi dans une cause quand on dénonce en bloc l’adversaire, y compris lorsqu’il la reprend à son compte ?

Admettre une convergence avec un adversaire, c’est faire passer la politique avant le carriérisme et le népotisme. Cela revient-il à trahir les siens ? Si la fonction des organes politiques se résume à leur accès du pouvoir, sans considération aucune pour les transformations de société à engager, alors oui, le troupeau prime, tandis que la ligne partisane se résume à un chœur de bêlements. Il n'en reste pas moins qu'un média de service public n'a pas vocation à être un organe politique. Dans cette affaire comme en toutes celles qui parviennent au peuple par médias interposés, c’est toujours le même déficit de matière grise qui noircit le tableau et les perspectives. Le PAF, un vaste troupeau de moutons qui se veulent blancs et s’unissent contre le mouton noir, alors qu’ils sont ( presque ? ) tous daltoniens et crottés ?

J. Morel.

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